On
est surpris lorsqu'on entend dire pour la première fois que
le célèbre luthier de violons Antonio Stradivari
a fabriqué des guitares, ainsi que les luths, mandolines,
harpes
Alors qu'on recense aujourd'hui environ 600 instruments à
archet Stradivari, seules quelques guitares et mandolines, ainsi
qu'une harpe, ont survécu.
Il resterait six guitares Stradivari : deux dans des collections
privées en Italie ( la " Sabionari " de 1679 et
la " Giustiniani " de 1681) , une dans un Musée
du Dakota du Sud ( la " Rawlins " de 1700), une de 1688
dans la collection " Hill " du Musée Ashmolean
d'Oxford, la " Canobio Pagliari " de 1681, et enfin la
" Vuillaume " de 1711 au Musée de la Musique de
Paris.
Cette dernière tient son nom du luthier de violons du 19ème
siècle Jean Baptiste Vuillaume, à qui elle a appartenu.
L'apparition de luthiers spécialisés
en guitares est assez récente ; en France elle date du XIXème
siècle avec des noms comme Lacotte.
Les luthiers de Crémone, au XVIIème et XVIIIème,
pouvaient produire différents instruments. On sait par exemple,
grâce à des documents de l'époque, qu'Amati
et Guarneri, ont aussi fabriqué des guitares.
Malheureusement, parmi les guitares de Crémone, seules quelques
Stradivarius ont survécu.
Parmi les explications possibles, on peut supposer que les guitares
jouissaient d'un prestige moindre, et qu'un instrument sobre, dénué
d'éléments décoratifs sophistiqués comme
on en trouve sur d'autres guitares luxueuses du XVIIème,
ne suscitait pas le besoin de conservation. Le prestige et la cote
de Stradivarius auraient pu, déjà à l'époque,
conduire à quelques exceptions.
La guitare du Musée de la Musique
est une guitare baroque, à cinq churs ( cinq cordes
doubles).
Ce type d'instrument a succédé à partir de
la fin du XVIème siècle aux plus petites guitares
renaissance à quatre churs et à la vihuela espagnole.
L'adjonction d'une sixième corde basse et le passage à
des cordes simples datent du XVIIIème. Puis c'est Torrès
au XIXème siècle qui a inventé la guitare classique
moderne.
Le diapason de cette guitare frappe
particulièrement: 72.6 cm, contre 65 cm pour la guitare moderne.
Ces dimensions se retrouvent à peu de choses près
sur les autres guitares Stradivari ( 74 cm sur la " Hill ").
On peut donc s'interroger sur les difficultés techniques
qu'impliquait un tel instrument, mais aussi sur la hauteur pour
l'accordage. Parce que des gabarits plus petits sont conservés,
on sait que Stradivari a probablement fabriqué des guitares
de taille inférieure. Des compositeurs du XVIIème
comme Giovanni Paolo Foscarini et Carlo Calvi ont
décrit des ensembles de guitares qui s'accordaient à
des hauteurs différentes, avec" chitarra grande",
" chitarra mezana "( moyenne), " chitarra piccola
" (petite). La guitare Stradivari s'inscrit ainsi dans une
époque où coexistaient des guitares de taille différente.
Le répertoire de ces instruments reste en partie à
étudier ou à redécouvrir.
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Citons quelques caractéristiques
de la guitare :
- table en épicéa, éclisses et fond en cyprès,
manche en chêne, chevalet en palissandre, chevillier en placage
d'ébène et de buis, chevilles en palissandre, rosace
en bois sculpté, incrustation au revers du chevillier : "
ANTsSTRADIVARIUS/CREMONs FI.
- 11 frettes + 5 sur la table ( les frettes sur la table doivent
être en ébène)
Devant des instruments aussi anciens,
on peut se demander si des réparations ou des modifications
ont été effectuées au fil du temps, et quelle
est leur ampleur. Sur la " Giustiniani " par exemple,
le manche a été raccourci de 80 mm et l'instrument
transformé en guitare à six cordes simples, vers la
fin du XVIIIème. Les transformations successives, l'état
de conservation souvent problématique des guitares, ne permettent
pas à priori de jouer un instrument tel qu'il était.
C'est sans doute la grande différence avec le violon, dont
la structure permet une meilleure conservation dans le temps. Difficile
de dire par exemple si des éléments comme la table
ont été changés. Laissons ces analyses aux
experts qui ne sont pas tous d'accord entre eux, certains d'ailleurs
vont jusqu'à mettre en doute l'authenticité de tel
ou tel instrument.
Il reste un sentiment de mystère
et de fascination devant ces instruments. Impossible d'en connaître
le son original. Inévitablement, quand on a entendu sonner
de grands violons Stradivarius, l'imagination s'en mêle et
on espère secrètement que des guitares merveilleuses
ont existé.
Edouard
H.
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