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Interview réalisé par Arnaud Stefani au Festival de Guitare de Nice en Mai 2003

Intuite est ton premier album entièrement solo, sans effets ni re-recordings, ni voix.

J'ai été encouragé à réaliser ce travail solo à force d'écouter le travail d'autres musiciens qui ont eux aussi fait la démarche de proposer un travail basé sur l'instrument et uniquement l'instrument. Je me suis rendu compte que j'écoutais cela volontiers et que ce n'était pas rébarbatif ni austère, tout dépend de ce qui est proposé, du concept et de la musique. J'ai tenté de relever le défi, et pour cela j'ai beaucoup réfléchi dans un axe « guitare seule », y compris au niveau de l'écriture. C'est après Intuite que j'ai réalisé à quel point j'aimais la guitare et plus précisément la guitare acoustique. Alors qu'habituellement je joue électro-acoustique, pour Intuite je me suis juste enregistré, sans être branché, avec deux micros, sans casque, et ce n'est qu'à la réécoute que j'ai ajouté un peu de réverbération de ci de là. J'ai beaucoup apprécié cette façon de travailler ; jouer sans effets m'a permis de me concentrer sur le son au moment où la musique était produite, avoir davantage d'interactions avec le son et la manière de jouer, bref à tout ce à quoi l'on pense moins lorsque l'on joue avec un son plus élaboré.

Cela correspond-il à une approche de la musique plus épurée ?

Oui, il est évident que plus je vais écrire plus je vais tenter d'être le plus épuré possible. Je ne sais pas si j'en ai définitivement terminé avec les effets, les loops et autres gadgets technologiques, mais je n'en ai pas besoin pour jouer. Cela relève davantage de la distraction, en ce qui me concerne. A une époque cela m'a nourri, amusé et inspiré mais pour l'instant la page est tournée. Il me semble que le seul travail d'écriture, d'exploration harmonique et sonore de l'instrument acoustique est déjà à lui seul colossal.

Cela correspond-il à une certaine maturité venue avec le temps ?

Je l'ignore Ce sont les autres qui peuvent percevoir une éventuelle maturité. Je ne sais pas si je suis plus mûr mais je suis en tout cas plus serein pour aborder la musique. Je me rends compte qu'il faut parfois moins de choses que l'on croit pour que la musique existe, apparaisse, et qu'auparavant je l'ai parfois masquée au lieu de simplement la révéler. Au-delà de la technique, comme tout musicien mon but est de parvenir à exprimer musicalement mes idées avec la guitare, à pouvoir improviser tout en conservant un langage fluide, comme lorsque l'on s'exprime avec des mots. Parvenir à faire de la guitare un véritable instrument, littéralement.

On trouve sur l'album « Live au new morning » deux morceaux dont tu n'as présenté des versions studios que plus tard (dans le disque Intuite) : L'alchimiste et Intuite (en introduction de Agadiramadan). Est-ce que tes morceaux ont toujours une vie sur scène avant d'être finalisés en studio ?

Intuite est né d'une improvisation en tournée avec Didier Malherbe. J'en ai ensuite repris l'idée, que j'ai ensuite retravaillée et enrichie jusqu'à en faire une pièce à part entière. Pendant cette tournée, il était assez fréquent d'entamer des morceaux par des introductions plus ou moins longues et généreuses en fonction du son et de notre ressenti du moment. Et parfois ces introductions contiennent suffisamment de matière pour donner ensuite vie à des morceaux complets.

Plus généralement au niveau de la composition et de l'évolution d'un morceau, la réaction du public est évidemment importante, c'est un repère, mais j'écoute d'abord mes sensations propres avant même la scène. Certains morceaux demandent à être joués beaucoup sur scène avant que je ne commence à les écrire, il y a également des morceaux que je joue quelques fois sur scène seulement avant de retourner au plus vite dans mon intimité pour les finaliser ; enfin certains sont issues d'improvisations totales, parfois issues de concerts enregistrés que je redécouvre des mois voire des années plus tard, et que je retravaille et redéveloppe.

Tes morceaux ne semblent jamais figés. Par exemple, au fil de ta discographie on trouve trois versions différentes du titre Agadiramadan, la première avec un arrangement de groupes sur Spices, la seconde très libre et improvisée en duo avec Didier Malherbe et enfin, la plus récente sur Intuite en solo.

J'ai intégré Agadiramadan dans le disque Intuite car je voulais que le public entende ce morceau dans une version solo, tel qu'il est né, tel que je le joue la plupart du temps. Mes expériences en duo ou en groupe représentent globalement peu de temps, un peu plus de deux ans sur un total de plus de vingt-cinq années.

Bon nombre de tes morceaux se caractérisent par des mélodies particulièrement riches et abouties

Je serais bien incapable d'expliquer comment viennent les mélodies ou, plus généralement, l'inspiration. Cela se produit fréquemment à des moments où, justement, je ne joue pas, où je suis loin de ma guitare, où je suis occupé par la vie de tous les jours, à la maison ou en marchant. C'est parfois lorsque l'on est entièrement détaché des contraintes techniques inhérentes à l'instrument, lorsque l'on pense ou fait autre chose, que les idées viennent et reviennent, parfois longtemps avant d'être posées sur l'instrument. Mais il n'y a pas de règle générale. Les idées peuvent également naître sur l'instrument. Parfois, même une improvisation peut être la mise en forme d'une idée qui a peu à peu germé en moi.

Tu tournes le plus souvent seul mais on t'a aussi vu en groupe, ou en duo, soit en tant qu'accompagnant avec Didier Malherbe (flûtes, saxophones et autres « tuyauteries soufflantes ») ou en tant que soliste avec Emmanuel Binet (basse). Que t'apporte ces différents rôles selon la formation dans laquelle tu évolues ?

Il est plus difficile d'improviser seul, mais c'est possible après un long et indispensable travail très particulier de développement d'un univers personnel car en solo on emmène tout avec soi, musique, harmonie, accords alors qu'avec, par exemple, un bassiste, on conjugue à la fois une plus grande liberté et une nécessité de respecter et de ne pas interférer avec l'espace d'expression du partenaire. Etre seul est un « tour de force » mais cela reste très beau et intéressant car cela permet de jouer par abstraction ou suggestion, de jouer avec la présence et l'absence, selon l'information harmonique, rythmique et mélodique que l'on donne. Tout est très interactif. C'est très difficile mais c'est passionnant, là aussi j'essaie de tendre vers une épure maximale et je m'entraîne beaucoup, lors des improvisations mélodiques, à toujours parfaitement maîtriser mentalement le déroulement harmonique du morceau, ce qui me permet d'égrener ici un accord, là une basse et ainsi de rompre, en quelque sorte, la solitude. L'essentiel est que, lorsque l'on commence à chanter - par la voix ou l'instrument - , il n'y ait pas de trou, de manque.

J'adore jouer avec les autres car cela me fait travailler différemment, mais j'adore également être seul, voyager seul, c'est mon côté un peu sauvage. Diriger, ou faire partie d'un groupe demande une grande énergie, la capacité à composer humainement avec les autres, c'est une source de grandes joies mais c'est également épuisant. J'aime bien passer de l'un à l'autre, de la solitude au partage. Ces dernières années ont été marquées par de nombreuses rencontres, extraordinaires, qui m'ont énormément apporté en tant que musicien, mais chaque fois j'ai également éprouvé un plaisir intense à me retrouver ensuite seul. Pour développer et faire vivre à ma manière, en moi, ce que les autres m'ont apporté.

Tu portes une grande importance à la pédagogie puisque, au-delà des masterclasses que tu animes parfois au cours de tes tournées, tu as également créé des séminaires de guitare où tu accueilles les musiciens chez toi pour des cours étalés sur une dizaine de jours. Que t'apporte l'enseignement ?

Avant tout je ne me considère pas comme un enseignant - car je n'ai jamais travaillé la pédagogie en tant que tel. Disons plutôt que je suis une sorte de passeur, un passeur qui observe et qui fait part de ses observations. J'essaie de faciliter les choses, de mettre une sorte de miroir devant les gens car il est souvent difficile de s'observer soi-même lorsque l'on est seul. Je tente d'indiquer quelles voies explorer, de donner des clés pour ouvrir des portes qui donnent accès à de nouveaux horizons. Je regarde d'un ¦il impartial mais sans complaisance. Ce n'est pas facile, cela exige d'apprendre la tolérance, l'écoute, de trouver les mots pour dire les choses.

Par ailleurs cela me contraint à formuler mon savoir et à vérifier, en les appliquant moi-même, que les conseils que je donne sont justes ; j'apprends aussi à savoir d'où viennent les gens du point de vue de leur expérience musicale, à comprendre ce qu'ils sont prêts à entendre. Au-delà de la transmission de mon expérience et de mes conseils, les séminaires sont pour moi un formidable travail de communication. Et en ce qui concerne les participants, mon objectif est simple : les faire continuer à aimer faire de la musique, leur apporter une grande motivation et l'envie de se donner du mal pour continuer à faire la musique. Mais bien souvent tout est déjà là, il suffit d'un léger souffle et le feu prend tout seul.

Quels sont tes projets ?

Je travaille actuellement sur un modèle signature avec Kevin Ryan ; j'ai aussi acheté, pour la première fois, une guitare classique, fabriquée par le luthier Juan Miguel Carmona. C'est tout nouveau pour moi, je dois en apprivoiser le son, la jouer beaucoup pour composer spécifiquement dans une approche « nylon », sans refaire sur cette guitare ce que j'ai déjà fait avec des cordes en métal.

J'ai également en tête un nouveau disque, peut-être en solo, un peu dans le même esprit que Intuite mais avec également de la voix, et des reprises de mes propres morceaux.

 

- Interview réalisée par Arnaud Stefani
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