Interview Emilie Chedid, le
9 décembre 2005 - Version longue
LG : Pouvez vous nous présenter
votre parcours professionnel avant le projet des "Leçons
de Musique " ?
Emilie
Chedid : Je suis issue de ce milieu du vidéo-clip en
tant que réalisatrice : depuis dix quinze ans au moins, je
réalise des clips et des documentaires. J'ai été
assistante mise en scène pendant de nombreuses années.
Ensuite, j'ai commencé à réaliser des films.
Le premier que j'ai réalisé et qui m'a permis de faire
des clips est le premier clip de Mathieu Boogaerts qui s'appelle
" Ondulé ". Ce qui nous a permis à l'un
et l'autre d'être découverts. Lui de signer dans une
maison de disques et de faire des albums et moi d'être représentée
par des producteurs à l'époque et de faire des clips.
J'ai du en faire une bonne vingtaine aujourd'hui, pour beaucoup
d'artistes notamment pour Mathieu Boogaerts, Keren Ann, -M-, Tryo,
Pauline Croze . Ce sont des artistes très différents
mais en même temps qui restent dans une image de la nouvelle
vague française. Ce ne sont pas des artistes issus de la
grosse variété française, mais plutôt
de très bons paroliers et musiciens. J'ai très peu
travaillé avec des chanteurs uniquement interprètes.
J'ai beaucoup aussi travaillé avec mon frère avant,
pendant et après sa réussite. J'ai du faire cinq ou
six clips pour Matthieu, cinq pour Keren Ann. A chaque fois que
j'ai eu des coups de cur amicaux au-delà du professionnel,
il y a un coté assez fidèle. Alors, j'ai été
amenée à travailler de manière assez fidèle
et de manière récurrente avec certains artistes. Je
réalise les clips, j'écris les histoires, je dirige
les acteurs et les artistes. Je produis et réalise mes films
aujourd'hui au sein de La Bohème Films qui est une petite
structure.
J'ai aussi l'expérience
d'avoir fait des captations de concert. Le premier dvd du tour de
-M-, la captation du concert de Matthieu où j'étais
à la fois réalisatrice de la captation et directrice
artistique de tous les contenus des bonus
J'ai fait aussi
un dvd pour Juliette Gréco.
LG : Comment est né
le concept des " Leçons de musique " ?
Emilie Chedid : Le concept est né lorsque j'étais
en train de réaliser le tour de -M-. Au-delà de la
captation de concert qui était le projet le plus important
dans le DVD, il y avait beaucoup de bonus à concevoir. J'avais
des making-of et énormément d'images d'archives que
j'avais faites de Matthieu depuis une dizaine d'années. Donc
j'ai pu faire plein de bouts de concerts complètement inédits,
comme son premier concert guitare-voix dans un petit café
à Paris.
Pour un bonus, j'ai proposé à Matthieu qu'on fasse
une petite leçon de musique car je trouvais cela assez rigolo.
Cela a été nos premières armes. Là,
avec des moyens dérisoires, on a fait une leçon du
titre "Faut oublier". Ce qui a été très
drôle c'est qu'on a eu beaucoup de retours de fans à
l'époque où ce petit bonus pour eux était un
vrai cadeau à la fois inventif et utile. Face à ces
avis cela m'a donné beaucoup d'énergie pour commencer
à essayer de monter vraiment des projets particuliers dédiés
à des leçons de musique. Ce qui a été
très difficile car à l'époque et même
encore aujourd'hui, les maisons de disques et les distributeurs
sont assez perplexes face à ce projet, dans la mesure où
cela ne rentre pas dans une case. C'est un DVD hybride où
on fait appel à un artiste ou à un instrumentiste
chanteur, un acteur de la scène française important
a priori. En même temps, ce n'est ni une captation de concert
ni un florilège de tous ses clips ou des choses qu'on voit
traditionnellement.
Donc c'est un peu complexe parce que c'est un produit qui a un coût.
A la fois c'est une semaine de tournage avec des gros moyens, c'est
multi-caméras comme une captation de concert. En plus, on
tourne dans un studio d'enregistrement avec ingénieur du
son et mastering. C'est hybride dans la mesure où il y a
les images et c'est comme un album. Cela demande les mêmes
expériences et les mêmes coûts budgétaires
qu'un album car ce sont des versions inédites : on réenregistre
chaque morceau. Ce n'est pas comme si on allait chercher dans un
album la version déjà existante. Tout cela a été
un peu compliqué à monter. Grâce au succès
du premier numéro qu'on a autoproduit et qu'on a distribué
en licence chez Polydor, ce projet a vraiment eu de très
bons retours. On a eu une victoire de la Musique qui nous a vraiment
beaucoup aidés, c'était tellement imprévu !
On ne pouvait pas s'attendre à tellement de réponses.
En l'espace de quatre mois, on a vendu cinquante cinq mille exemplaires
de notre DVD ce qui est énorme en France actuellement. On
ne pouvait pas imaginer que cela allait marcher comme cela.
Mon leitmotiv c'est de pouvoir sortir un numéro au moins
une fois par an. Cela demande beaucoup de temps : c'est six mois
de post production. C'est un énorme truc : entre quatre heures
trente et sept heures trente de programmes. C'est colossal comme
travail.
J'aimerais en sortir un numéro tous les ans pour fidéliser
et parce que j'ai l'impression que c'est utile ce qu'on fait. Il
y a une démarche de transmission.
LG : Ce concept s'inscrit dans un
renouveau pédagogique avec ses nouvelles technologies dvd,
cd rom, captations vidéo... Avez-vous été assistés
par un professeur de musique ?
Emilie Chedid : On n'a pas été assistés
par un prof de musique mais effectivement il y a toute une partie
de transcription musicale. Pour l'instant, nous nous sommes axés
sur la guitare, même si pour le premier numéro il y
avait la basse, la batterie, une petite partie piano et violoncelle.
C'était très ouvert. Pour ce second numéro
avec Maxime Le Forestier qui chante Brassens on a joué le
parti pris de se dire que c'était génial de donner
les clés pour quelqu'un, avec sa guitare et sa voix, puisse
jouer seul les chansons. Donc on s'est axés sur la guitare.
Evidemment, il y a un monsieur très important pour nous,
dans les créations de ces dvd, qui s'appelle Patrick Moulou.
Il a une société qui s'appelle "bookmakers".
Ils sont spécialisés dans tout ce qui est songbook
français. Leurs noms reviennent de façon très
récurrente.
Patrick Moulou s'occupe de beaucoup de songbooks, de beaucoup de
chanteurs en règle générale. C'est lui qui
retranscrit la musique à partir de mes vidéos et il
fait les partitions qui sont dans le livret du dvd et qui défilent
à l'écran sur dvd. On a vraiment un support technique
musical et quelqu'un qui s'en occupe et dont la charge est vraiment
de faire que les petites clés pédagogiques soient
relativement accessibles à tous, qu'on ne soit pas obligé
de connaître le solfège pour comprendre. C'était
un vrai désir que j'avais car j'estime qu'on peut avoir beaucoup
d'oreille sans connaître le solfège. Beaucoup de gens
ne savent pas et ne souhaitent pas apprendre le solfège.
LG : Et vous-même êtes-vous
musicienne ?
Emilie Chedid : Je suis un peu musicienne. Par exemple, je
ne sais pas lire une partition puisque je n'ai pas appris le solfège
mais j'ai beaucoup d'oreille. Si je me mets devant une guitare,
une basse ou piano, je joue très mal mais je pourrais à
l'oreille retrouver un truc. Justement je voulais ouvrir à
tous ceux qui n'ont pas les clés, qui n'ont pas eu l'argent
pour se payer des cours particuliers, qui à l'école
n'ont pas eu les cours de musique, ou des profs aigris la plupart
du temps
en tout cas c'est ce que j'ai pu vivre : des profs
qui ne donnent pas envie d'apprendre.
Face à cela, je me suis dit qu'il était intéressant
pour des jeunes de donner ce support visuel et écrit et toutes
les clés possibles. Ensuite, ils ont le choix d'apprendre
seuls. Soit ce sont des "perroquets visuels" et ils vont
essayer de mémoriser les trucs en regardant la vidéo,
soit ils vont retrouver à l'oreille un son, soit en regardant
un diagramme, soit en regardant le livret avec les partitions de
base pour tous les instruments. Les uns comme les autres, on est
tous différents, on a tous des velléités différentes.
Peut être que cela va convenir à tout le monde. En
même temps c'était assez difficile : c'est à
dire que je ne voulais pas faire des initiations pédagogiques.
Il était hors de question que je demande aux artistes que
je sollicite qu'ils s'adaptent aux débutants. Au contraire,
l'idée était de proposer quelque chose d'inaccessible
au départ à un débutant mais de proposer des
clés simples d'adaptation. Même s'il ne joue pas les
arpèges, avec deux accords le débutant peut jouer
la chanson.
Il fallait donner des clés d'adaptation, donner des clés
simples pour les débutants et aussi s'adresser en même
temps à des instrumentistes qui sont un peu ouverts et qui
ont envie d'en faire un métier ou, même si ce sont
des musiciens du dimanche, d'avoir envie d'aller plus haut que ce
qu'ils sont maintenant, et qu'ils apprennent aussi.
A la sortie, après avoir gratté avec Maxime ou Matthieu,
ils auront fait des progrès. On n'avait pas envie d'être
au ras des pâquerettes. Puis, il existe pleins de dvd pédagogiques
d'initiation de musique et ils sont fait pour cela. On propose quelque
chose de différent : faire de la musique avec des artistes
connus. C'est une autre démarche, ce sont des masters class
en quelque sorte. A priori je ne vais pas faire de leçons
de musique avec quelqu'un qui ne chante pas. Je veux faire valoir
aussi un instrumentiste qui maitrise un instrument mais qui arrive
à chanter en même temps car c'est très important
pour les jeunes de dissocier les deux. C'est très difficile
de bien jouer en chantant.
LG : Quelles ont été
les plus grosses difficultés rencontrées dans la réalisation
des deux DVD ?
Emilie Chedid : On se confronte à une réalité
économique grandissante où bien sûr même
si on a des très bonnes idées comme celle-ci, (parce
que c'est une très bonne idée, sans orgueil mal placé
car c'est une très bonne idée et simple). Tout le
monde aurait pu y penser mais c'est moi qui l'ai fait. Maintenant
qu'il y a des retours très positifs, les gens disent qu'ils
avaient déjà eu l'idée de cela il y a quinze
ans. Sauf que je comprends pourquoi personne ne l'a fait ! Car c'est
très pénible à monter. Pour faire un dvd on
est obligé de travailler pendant un an comme des brutes.
LG : Parce qu'il faut un an pour
faire un dvd ?
Emilie Chedid : Il faut entrer en contact avec un artiste
puis avec sa maison de disques. Ensuite on voit si sur le plan financier
c'est possible ou pas. Il peut s'écouler entre trois et cinq
mois. Après c'est très compliqué pour concrétiser
un contrat. On touche aux lignes éditoriales. On doit demander
une autorisation à la maison de disques car c'est la maison
d'édition et la maison de disques qui sont en jeu. L'artiste
évidemment est au milieu de cela et ensuite il y a nous,
nos distributeurs et nos points de vente. Tout le monde est très
gourmand face à cela. Quoiqu'il arrive, ce projet coûte
très cher et il est difficilement rentable. Par rapport à
cela nous sommes dans un état d'esprit de production. On
a envie que ce projet existe alors nous, on aimerait arriver à
un point mort. Que cela se rentabilise au point mort. Rentabiliser
sans gagner d'argent forcément. C'est ce qui se passe aujourd'hui.
Il faut en vendre quarante cinq mille exemplaires si ce n'est plus
pour arriver au point mort ; ce qui est colossal aujourd'hui. C'est
une collection à part. Elle n'est pas du tout rentable. Il
s agit plus d'une collection de prestige et de passion aussi. C'est
comme cela que cela fonctionne. C'est assez difficile à monter.
La Bohème Films qui est une structure artisanale a beaucoup
de mérite dans la mesure où cela demande une énergie
énorme et il y a beaucoup de contraintes. Ce n'est pas donné
à tout le monde de faire ce qu'on fait. Sans orgueil mal
placé c'est juste que c'est beaucoup de travail pour pas
beaucoup d'argent en définitive.
LG : Quels sont les artistes que
vous souhaiteriez voir participer aux prochains DVD ?
Emilie Chedid : J'ai une liste colossale qu'on met à
jour régulièrement de plein de choses. Pour l'instant
on fait nos armes ici. La guitare est un instrument très
fédérateur. Il y a énormément de jeunes
instrumentistes qui ont les moyens de s'offrir une guitare plutôt
qu'un piano ou un violoncelle ou même une batterie qui coûte
bien plus cher. La guitare est un instrument que les chanteurs utilisent
beaucoup en règle générale. Cette collection
est libre car j'en suis à l'origine, donc je n'ai aucune
contrainte par rapport à un catalogue. Je décide.
J'aimerais faire des leçons avec des pianistes, ce serait
le deuxième instrument de prédilection. Sinon par
rapport à la liste, il y a des tonnes de gens, beaucoup de
gens. A quoi cela sert de les citer dans la mesure où il
y en aura un par an a priori ?
Bien sûr, il y en a des tonnes. Il y en a plein avec qui j'aimerais
le faire mais cela ne peut pas se faire.
LG : Comme par exemple ?
Emilie Chedid : Je ne peux pas le dire. C'est pas bien de
le dire puisque cela ne met pas en jeu que moi ce n'est pas bien
de le dire car cela met en jeu les maisons de disques et les gens
qui bloquent les choses par rapport au budget. Je ne peux pas cracher
dessus parce que chacun a ses priorités. C'est tant pis pour
eux car il y a beaucoup d'artistes qui voudraient le faire mais
il y a pas mal de maisons de disques qui bloquent en ce moment.
C est pas grave, même si on arrive à en sortir un tous
les ans ce serait magnifique. Mais ce n est pas grave, je pense
surtout à ceux qui l'achètent. Celui de Matthieu,
ils ont appris les trucs. Là il y a celui de Maxime qui est
sorti. Ils en ont pour six ou huit mois pour des débutants
et moyens niveaux. Deux par an ce serait parfait mais nous n'avons
pas les moyens.
LG : A présent pour le prochain
vous ne savez pas ??
Emilie Chedid : Le prochain, il y a des possibilités
mais je ne peux pas vous en dire plus. En fait, on sera vraiment
fixés fin février. Il y en a plusieurs mais tant que
ce n'est pas encore contractuel et c'est différentes majors.
Je n'aimerais pas commencer à citer des choses qui ne seraient
pas dans le bon ordre et commencer à me piéger. Ce
n'est pas du tout de la parano, c'est juste par rapport à
certains artistes et une volonté d'être précurseur.
Je n'ai pas envie d'être déplacée par rapport
à certaines choses. Parce que c'est tellement difficile à
monter ce projet, je n'ai pas envie qu'ils apprennent sur le site
" tiens ton prochain tu le fais avec machin" alors que
je le ferai peut être avec quelqu'un d'autre, je ne veux pas
de cela.
LG : Avez vous des anecdotes marrantes
sur les deux phases d'enregistrements des dvd ?
Emilie Chedid : C'est vrai que le premier dvd des leçons
de musique on l'a fait de façon "home made". Personne
n'y croyait à l'époque. Heureusement mon frère
Matthieu était le seul à y croire et c'est grâce
à lui que cela a existé et parce qu'il m'a donné
une semaine de sa vie gratuitement à l'époque en me
disant : " on le fait ". On a enregistré pendant
une semaine. J'ai complètement auto-produit ce projet. Ce
qui était très rigolo c'est que tout le monde faisait
ses armes. C'est à dire que c'était la première
fois que cela se faisait, on n'a pu copier sur personne. J'avais
acheté des cd rom et trucs du genre mais rien ne me convenait.
De tout ce que j'ai pu voir dans les initiations musicales, rien
ne me convenait. Il a fallu concevoir ce projet tout seul de A à
Z. Ce qui était drôle, c'est qu'on a tourné
cela dans un studio à la campagne. L'anecdote que j'ai sur
le premier numéro c'est qu'on l'a auto-produit comme un court
métrage. On avait une semaine de tournage. Un matin, au petit
déjeuner, je dis à Stéphane, qui travaille
avec moi : "j adorerais que Matthieu te donne un cours de guitare
pour un bonus". Stéphane, qui est l'assistant de production,
est comédien n'a jamais touché une guitare de sa vie,
c'est vérité totale
Stéphane : Ah oui !
Emilie Chedid : Ce petit bonus
a été super drôle. Il a été tourné
dans l'improvisation totale où Stéphane a pris un
cours de guitare avec Matthieu. Ce bonus existe sur le dvd où
on était pliés en douze parce que ce qui était
très drôle, c'est qu'à la fois, au-delà
de ses velléités de comédien où évidemment
il a un sens de la repartie, il était vraiment dans le personnage
du mec complètement nul qui sait rien faire. Il y a un vrai
comique de situation auquel on croit.
A la sortie du dvd beaucoup de
gens se sont dit " oh la la ce mec qui prend un cours avec
Matthieu mais il est génial ". Cela fait partie des
très bonnes surprises et des anecdotes rigolotes. Nous l'avons
fait un peu " private joke " en pensant que cela n'allait
faire rire que nous et en définitive cela a fait rire plein
de gens.
Pour Maxime, le grand moment qu'on
a vécu est aussi pour les bonus. Le tournage était
aussi assez exceptionnel puisqu'on se retrouve dans un studio avec
l'artiste qui reprend les chansons. Il fait deux trois versions,
tout d'un coup sa voix déraille. Tout cela est en direct
il n'a pas de réplique comme sur un album où on peut
tricher et retoucher. C'est très franc du collier et c'est
très courageux pour un artiste de jouer ce jeu là
parce qu'on peut faire des fausses notes à la guitare et
à la voix. . Il faut être suffisamment armé
pour lâcher prise sur le truc totalement perfectible car on
ne peut jamais être parfait dans ces cas là. C'est
une très jolie leçon à donner aux jeunes de
leur montrer que des artistes confirmés font des fausses
notes. On l'a laissé, c'est très intentionnel. Ce
sont toutes les fragilités dans le direct qui sont belles.
Pour Maxime le moment fort dans les
bonus qui n est que sur le double dvd la série limitée
il y a un bonus exceptionnel, on a rencontré à Gibraltar
Pierre Onteniente qui a été le secrétaire particulier
de Georges Brassens pendant toute sa vie. C'est un monsieur qui
doit avoir pas loin de quatre vingt dix ans aujourd'hui, un mec
génial humainement.
Il nous a ouvert sa maison. C'est un
moment très beau que je garderai toute ma vie parce que ce
monsieur nous a donné quelque chose d'exceptionnel.
LG : Est-ce que les prochains dvd
garderont la même structure pédagogique ou est-ce qu'elle
va évoluer, car il semblerait que les bonus eux vont évoluer
en fonction de l'artiste?
Emilie Chedid : Je pense que dans tous les cas, d'un point
de vue purement technique aujourd'hui, on a beaucoup réfléchi
au delà de l'arborescence. On a poussé jusqu'au bout
l'authoring du dvd.. Aujourdhui, personne ne sait faire ce qu'on
fait. A l'époque, quand je savais que je voulais faire des
multi-angles et faire passer des partitions, j'ai sollicité
une dizaine de boites à Paris spécialisées
dans l'authoring des dvd en leur expliquant mon arborescence
LG : Vous avez pensé à
Eric Boell, CNP Music ?
Emilie Chedid : CNP, je connais on les a sollicités.
Mais les gens à l'époque disaient que c'était
impossible et que cela allait bugger partout.
Maintenant tout le monde peut le faire. A l'époque on a mis
six mois à mettre en place cet authoring. On a fait énormément
de tests car il y avait beaucoup de choses qui ne fonctionnaient
pas. Donc je ne pense pas que sur ce support on puisse aller au-delà
d'où on a été. Le support est très restreint
sur dvd ce n'est pas comme un cd rom. Un cd rom propose plus de
possibilités mais après avec la vidéo ce n'est
pas intéressant du tout par rapport à ce qu'on fait.
C'est vrai que le support du dvd est assez restrictif. On ne pourra
pas faire plus que ce qu'on a et qui fonctionne très bien.
Parce que d'un point de vue fonctionnalité il y avait des
choses compliquées : quand on change d'angle, tout d'un coup,
il y avait plus de son, or ce sont des choses qui peuvent être
possibles. On a fait aussi des choix pour qu'au point de vue navigation
ce soit fluide. On a choisi d'être le plus clairs possible
pour que ce ne soit pas trop compliqué à utiliser.
En règle générale il n'y a pas beaucoup de
gens qui savent se servir d'une commande de dvd.
LG : C'est vrai que les menus sur
dvd sont très mal faits souvent
Emilie Chedid : Voilà ! On a essayé d être
accessibles pour tout le monde. On peut s'adresser à des
enfants de dix ans comme à des gens de quarante ou cinquante
ans.
Je ne pense pas que cela va changer malgré tout. On a trouvé
une façon assez claire de faire valoir les partitions et
le défilement, et tout cela fonctionne. Je pense que c'est
assez accessible.
Après ce qui peut changer, ce sont les instruments. Là,
pour le coup, leurs places seront différentes et comme vous
le disiez, les bonus sont assez libres.
Les bonus sont tout à fait libres
par rapport à l'artiste. C'est-à-dire que je me les
réserve.
Pour Maxime qui chante des chansons de Brassens, on a axé
les bonus sur le langage et l'écriture. On a fait appel à
un linguiste qui s'appelle Louis-Jean Calvet, qui est aussi biographe
et qui a fait entre autres une biographie sur Brassens qui est très
bien.
L'écriture de Brassens est assez exceptionnelle, les mots,
le vocabulaire. Même les adultes ne savent pas la signification
de certains mots.
Même moi, j'ai appris énormément de choses,
j ai fait des relevés de mots un peu difficiles et de toutes
les chansons. On a fait un dictionnaire là-dessus. On a fait
des explications de textes avec Maxime et Louis-Jean Calvet qui
explique les tournures des mots, comment Brassens a fait des tournures
alambiquées avec des jeux de mots dans le mot. Cela c'est
très beau aussi. C'est très intéressant de
montrer que la langue française a une richesse énorme
et que par rapport à cela, il y a eu beaucoup d'auteurs qui
ont détourné certains sens.
Je trouvais que c'était incontournable de parler du langage
avec un Brassens.
LG : Donc il n'y a pas que l'instrument
qui a été mis en valeur, il y a aussi le texte
Emilie Chedid : Le texte et la composition. On a toujours
tendance à penser que Brassens avait des compositions très
naïves et très simples à la guitare. La référence
c'est toujours le Gorille avec ré la ré la pendant
quatre heures et en fait non.
LG : Il faut le chanter aussi
Emilie Chedid : Il faut le chanter ! Brassens écrivait
au départ. Puis il a pris une guitare pour chanter ses chansons.
Il ne voulait pas du tout être sur scène mais il voulait
écrire pour les autres. Par des concours de circonstances
qu'on découvre sur le dvd, il a fini un jour par passer sur
scène et cela a été un énorme tabac
parce qu'à l'époque il était très subversif,
il y a eu plus de quinze chansons de Brassens qui ont été
interdites et censurées à l'époque. C'est ainsi
qu'il s'y est mis. Ce qui est drôle, c'est qu'au départ,
il était très mauvais musicien. Nous on a trié
les douze chansons par ordre chronologique. Ce qui est très
drôle, c'est de voir sa progression notoire à la guitare.
A la fin, il fait des arpèges alambiqués et cela passe
entre couplet refrain. Cela devient vraiment de la grande musique,
c'est de la grande guitare. C'était aussi pour montrer que
Brassens est un grand guitariste et Maxime est un grand guitariste.
Maxime s'est imprégné de ces chansons et il les chante
depuis plus de dix ans. Il le fait très bien et de façon
très humble. Sa voix est extraordinaire. Je trouve que Maxime,
à la fois à la guitare et au niveau du chant et au
niveau de la diction, il y a quelque chose de très fort et
puis on sent qu'il n y a pas de racolage par rapport à cela.
Il y a une envie de transmettre, une envie de remettre en mémoire
qui est Georges Brassens pour tous ces jeunes. Il y a plein de gens
qui ne savent plus qui est Brassens, qui ont appris un texte à
l'école il y a longtemps.
Quand on relit des textes on se rend compte que c'est quelqu'un
qui a pris des risques énormes. Il a dit des choses très
graves et très drôles très cyniques et très
subversives.
Je trouve que c'est un empêcheur de tourner en rond. Si on
le remet dans son époque.
LG : Pour en revenir au dvd, y aurait-il
un autre instrument privilégié que le piano comme
vous l'avez dit ?
Emilie Chedid : Mis à
part David Halliday qui chante et joue de la batterie, je ne connais
pas beaucoup de gens qui chantent et jouent de la batterie en France.
Malheureusement la collection s'adresse vraiment aux francophones.
Pour le moment on fait nos armes ici.
Si je pouvais en faire un avec Paul Mac Cartney ou Prince, c'est
sûr cela fait partie de mes premières envies. Sauf
qu'en ce moment ce n'est pas possible et envisageable. C'est encore
autre chose c'est un deuxième niveau.
Pour le moment on fait nos armes ici et on montre que c'est possible,
que cela existe et qu'il y a une vraie envie et que des gens sont
ravis du résultat.
Je pense que c'est un dvd qui se garde, qui se transmet de père
en fils. C'est un peu comme un bouquin. J'ose imaginer que c'est
un peu comme un bouquin, que c'est un truc qui se prête, se
donne ou s'échange. J'ose imaginer que des cinquantenaires
qui jouent de la guitare vont peut être acheter le dvd de
Maxime et vont dire à leurs enfants et leur petits enfants
" Tu as envie de jouer de la guitare ? Tiens
"
LG : C'est un projet qui vous prend
tout votre temps ?
Emilie Chedid : Non, je fais d autres choses quand même.
C'est vrai que ce projet est un projet qui vient de nous, construit
et élaboré par nous. Sinon je continue à faire
beaucoup de clips.
Je n'ai pas refait de captation de concerts car je n'en ai pas eu
le temps, parce que cela me prend beaucoup de temps à côté.
Un peu de pub, des clips et pas mal de choses à côté
parce que cela me fait plaisir.
Peut être qu'un jour je passerais au long métrage,
car j'adore raconter des histoires. Je suis une personne de la fiction,
j'aime travailler avec des acteurs.
En ce moment, je mets en scène une pièce de théâtre
C'est vrai que je fais d'autres choses à côté
! Je suis une cinéaste et metteuse en scène, ce sont
mes qualités. Donc, c'est pour cela que les leçons
de musique sont aussi bien faites d'un point de vue packaging. J'ai
un souci du détail, du fond de couleur qui va être
derrière Matthieu ou Maxime, des petits décors que
je vais faire... J'ai envie à la fois de respecter l'univers
de l'artiste avec qui je fais ce projet, d'être cohérente
et à la fois que ce soit beau. J'ai envie que ce soit beau,
je n'ai pas envie de faire des leçons de musique pour faire
des leçons de musique. J'ai envie de faire de jolis produits
qu'on a envie de regarder. Il y a des parties plus libres comme
le karaoké. J'avais envie que ce soit agréable à
regarder même pour ceux qui ne font pas de musique.
Emmanuelle
Libert et Jacques
Carbonneaux -
Retranscription : Emmanuelle Libert, Marianne et Marie-Victoire
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