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CONCERT DE MORNING STAR
MAINS D'OEUVRE, 30 SEPTEMBRE 2005
THEE, STRANDED HORSE

Thee, Stranded Horse est le nouveau projet, solo, de Yann Tambour, qui, rappelons-le, est aussi le leader du groupe Encre. Dès que le jeune musicien aux allures de Kurt Cobain a commencé à jouer, Aurélie et moi avons été saisies par la beauté de son jeu, souvent en arpèges, tantôt à la guitare, tantôt sur sa Cora, sorte de harpe d'Afrique occidentale.
Avec sa seule guitare, une "La Patrie" acoustique toute simple, et sa voix, un peu nasillarde, mais tout aussi émouvante, il s'exprime tout en subtilité. Il ne joue quasiment que des arpèges mais à aucun moment ça ne semble monotone : ses arpèges à lui ont un vrai relief.
De sa façon d'attaquer les cordes, faisant particulièrement résonner la basse ou la dominante de l'accord à son utilisation des crescendo et decrescendo, en passant par les accélérations et les silences bien dosés, Yann fait une démonstration époustouflante de sa maîtrise de l'arpège.
Je m'approche de la scène pour mieux observer son jeu qui me surprend. Quelle rigueur, quelle précision, quelle régularité...quelle crispation presque ! Les doigts sont tellement mécaniques dans leur mouvement qu'on dirait qu'ils vont craquer! C'est précisément ce paradoxe qui me fascine : comment d'une telle "rigidité" peut sortir une telle émotion?
On a là la preuve vivante que la parfaite maîtrise technique est le meilleur moyen de faire exprimer à son instrument tout ce que l'on veut : il dose parfaitement l'intensité de chaque note, son rythme, les effets... Il saupoudre son jeu de silences, en particulier lorsqu'il joue sur sa Cora, de telle façon que sa musique respire, chaque silence nous plonge dans un instant de méditation. Mais surtout, on se rend compte que tout le public se tait, et qu'une intense concentration envahit la salle: tout le monde est suspendu à son souffle en attendant la suite.
La sensibilité de son jeu est relayée par son attitude corporelle : sa tête est souvent baissée dans une concentration extrême, son corps complètement immobile lors des silences, et son visage qui semble presque souffrir, laisse deviner des larmes derrière ses paupières fermées.
J'ai rarement été aussi émue par une prestation live avec une seule guitare (ou Cora) et une voix.

FABIO VISCOGLIOSI

Changement d'ambiance avec Fabio Viscogliosi, avec un set beaucoup plus pêchu. Fabio, c'est un mélange fascinant : tout le charme italien, mais sans le côté mièvre et trop stéréotypé des chanteurs romantiques de la botte. C'est aussi un mix raffiné de vieux sons très sixties - de sa guitare à la batterie en passant par les lignes de basse assez présentes - et de technologie moderne, avec l'utilisation de nombreux playbacks et samples de sa propre guitare et autres effets en touts genres. Mais sa voix, à elle seule, fait ressortir de nombreuses influences : dès les premières notes, et de manière omniprésente, beaucoup de choses nous rappellent Lou Reed, son timbre, ses intonations, sa diction et sa nonchalance. Mais sur certaines chansons plus lentes, vraies ballades romantiques, Fabio pose des vibratos frêles et légers sur la fin de ses phrases, de quoi le qualifier de Carla Bruni au masculin !... sauf que lui, il sait s'énerver quand il le faut ! Quelque part, il y a aussi quelque chose de Paolo Conte. Et justement, au moment où l'on pensait à lui, il entonne Boogie, dans une attitude à la fois sensuelle et désabusée, s'accompagnant de sa guitare électrique, avec un jeu très sec et très rythmé et beaucoup d'effet, il joue surtout de sa pédale Wah-Wah. Bref, un vrai renouveau du rock à l'italienne !

MORNING STAR

La première chose à laquelle j'ai pensé quand j'ai vu ce groupe monter sur scène, c'est à la comédie musicale que jouaient mes camarades de classe lorsque j'habitais dans le Kansas, qui s'appelait O'klahoma ! C'est peut-être ce look un peu champêtre, surtout celui de Kat (chœurs, banjo, trompette…) avec sa robe de fermière et ses pieds nus, ou peut-être le fait qu'elle joue du banjo ? Peut-être aussi le côté folk et même par moment country de la musique de Morning Star ?
Je vous avoue qu'au départ, j'ai eu un peu peur : moi qui ne suis pas une grande fan de country, j'ai eu une petite appréhension… Mais j'aurai eu à peine le temps de finir de formuler cette inquiétude, que déjà, un sourire béat envahissait mon visage devant la beauté des mélodies de Morning Star. Entre les très beaux arpèges de Kat sur son banjo qu'elle manie avec une dextérité impressionnante, le jeu de guitare de Jesse qui souvent, gratte, ou devrais-je dire, frôle les cordes tout doucement sans médiator, mais surtout les harmonies vocales, pour lesquelles le groupe tout entier joint ses talents, et quels talents ! Kat en particulier, a une voix sublime, fraîche, veloutée, parfois diaphane, en tout cas peu commune.
Sur Black Swan en particulier, les voix se mêlent les unes aux autres sous la forme d'un canon pas très rigoureux : les voix se répondent et s'emmêlent, sur un fond rythmique très lent, on ferme les yeux, et l'on nage dans une sorte de liquide amniotique, dans une douce insouciance… la musique s'arrête presque mais au moment où l'on allait partir dans les bras de Morphée, la douce berceuse se brise dans un déferlement soudain de guitares saturées, qui font repartir le morceau avec une force rageuse. Jesse martèle ses basses et alterne avec des solos suraigus. Sur la fin du morceau, la distorsion triomphe. Cette chanson est un mélange incongru de beaucoup de choses, mais c'est très réussi. Le groupe aborde avec toujours autant d'aisance à peu près tous les genres musicaux. Great Day sonne comme une des chansons des débuts de Bob Marley, entre yé-yé et reggae.
Le morceau Morning Star très doux avec sa rythmique et ses chœurs bossa/ jazz, de la trompette et un break rock nous fait encore la preuve du sublime sens de la mélodie du groupe.

Mais le plus fort, c'est que Morning Star fait de la musique avec tout le monde, et le public n'est pas là pour décorer, ni pour flatter l'ego de ces [Morning] Stars en devenir ! Il est sollicité à plusieurs reprises, et en particulier sur Too Much Love où une vraie chorale s'organise avec une division de la salle en trois parties pour chanter des voix différentes et créer un ensemble harmonieux. Tout le monde se prête au jeu et va même au-delà en tapant des mains, au final, on est une vraie chorale gospel…

L'humour n'est pas exclu non plus de ce set. Sur Invisible Man, d'inspiration très " Rolling Stones ", le banjo en plus, le groupe nous sert une chorégraphie bien synchronisée, mais un peu caricaturale, pleine d'auto-dérision : tantôt ils sont face au public, tantôt, ils se retournent en rythme, et enflamment la salle (en particulier, tout le fan-club américain qui est là !).
Jesse nous fait aussi beaucoup rire quand il tente de parler français. Il a intérêt à s'y mettre, il paraît qu'il s'est installé à Paris pour quelques mois !! Mais pour l'instant, c'est pas encore ça, à vrai dire, on ne comprend pas grand-chose, et Kat vient à sa rescousse dès qu'elle le peut ! Mais quoi de plus craquant qu'un américain qui tente de parler français, avec un gros accent et beaucoup de fautes !!

Christine le 11/11/2005