Le
mardi 7 février, le Réservoir a donné,
pour la deuxième fois, carte blanche à Franck Monnet
le temps d'une soirée.
Ce concept original permet de mettre en lumière certains
artistes moins connus.
Pour la première partie, la
scène est confiée à Derrière la Cravate,
un trio dans la pure tradition des bistrots parisiens, composé
du chanteur qui est aussi guitariste, d'un accordéoniste
et d'un clarinettiste.
La guitare est une Cuenca avec des cordes en nylon, jouée
sans médiator, pour un son sans fioriture et assez rond.
Le chanteur a un jeu assez rythmé et marqué, il varie
les styles. C'est bien sûr la chanson qui domine : une guitare
d'accompagnement, structurant les morceaux, un accordéon
chaud et convivial et une clarinette qui apporte une petite touche
jazz.
Les morceaux ont une authentique saveur d'autrefois, que ce soit
dans le son, dans les paroles un peu désuètes, ou
encore dans le look (le chanteur est coiffé d'un béret
qui n'est pas sans rappeler les représentations stéréotypées
du bon français par les américains - il ne manque
que la baguette et le saucisson !)
Mais parfois, la guitare sort de cette fonction basique pour nous
emmener sur des terrains plus exotiques, avec des accents flamenco
ou orientaux dans les mélodies et dans le rythme. Le groupe
nous interprète aussi une très belle chanson qui célèbre
Paris, pleine de bohème et de poésie.
De la chanson donc, mais pas poussiéreuse,
bien au contraire, et le public est très réceptif
au rythme, à la vie et à l'humour du groupe, comme
dans Faut Que Tu Te Dépêches ou L'Amour En
Plein Air, un morceau très rafraîchissant qui fait
un peu penser à Une Partie De Campagne de Maupassant
ou au Déjeuner des Canotiers de Renoir. L'ambiance
est à son comble quand le groupe se débranche complètement
pour aller jouer unplugged au milieu du public, dans un esprit bon
enfant pour un morceau qui s'intitule justement L'Enfance, plein
de nostalgie.
Un très bon moment que cette première partie, par
un groupe qui gagne à être connu. La salle, bien chauffée,
est prête à accueillir Franck Monnet et ses compères
!
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Derrière
la cravate
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Francois
Lasserre
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Abel k1
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Le groupe fait une entrée en
matière instrumentale : Franck Monnet à la basse,
François Lasserre à la guitare et Franck
M'Bouéké à la batterie, qu'il fait frissonner,
comme pour nous faire entrer dans une nouvelle dimension, mystérieuse.
On est déjà dedans. Mais Franck ne peut s'empêcher
de commencer immédiatement ses pitreries. Il se met à
siffloter un petit air ridicule et le public, visiblement composé
d'une bonne partie de " fidèles ", ne se laisse
pas déconcerter et lui fait écho. Franck marque un
temps d'arrêt, comme surpris par cette participation si spontanée.
Mais passons aux choses sérieuses, le groupe entonne Les
Bancs, qui nous entraîne tout de suite dans l'univers
poétique de l'artiste. François a un jeu très
mélodique, aux accents blues qui ressortent parfaitement
sur sa Gretsch, sur laquelle il utilise un son tantôt clair,
tantôt plus crunchy, et surtout un léger tremolo pour
agrémenter le tout.
Franck, sur sa basse Fender Precision, nous gratifie d'un jeu assez
puissant, comme sur L'Orgue Hammond, où il joue au
médiator.
L'ambiance rock gagne un public un brin timide. Très vite,
il ne rechigne plus à swinguer au rythme de la batterie,
irrésistiblement entraînante.
La vague rageuse du groupe déferle sur le public sur des
morceaux comme Soliloque, pour lequel François lâche
sa Gretsch et attrape sa Gibson SG pour un son plus puissant, plus
crunchy et résolument plus rock. Franck s'enflamme avec ses
paroles absurdes " Même si j'avais tort, je ne serais
pas d'accord, or je n'ai pas tort ", François part
dans un solo fou, à coups de disto et de wah-wah, sur fond
de batterie dévastatrice.
La Routine, titre-phare du dernier album, est également
à ranger dans la catégorie rock bien énergique,
avec François qui scie littéralement les cordes graves
de sa guitare et nous gratifie encore de quelques très beaux
riffs incisifs.
Mais Franck est aussi excellent dans un registre plus émotionnel.
Pour T'aimer, il s'empare de sa guitare acoustique et François
et Franck l'accompagnent admirablement aux churs.
On a également droit à un morceau qui paraîtra
sur le nouvel album (sortie à guetter cet été),
Trop de Lichen, qui séduit immédiatement toute
la salle.
Sur Malidor, fortement empreinte de sonorités africaines,
non seulement à travers les percussions, mais aussi dans
les churs doux et spirituels. Franck joue en picking et module
magnifiquement sa voix, qu'il étouffe par moments. Un très
beau morceau, coloré et gorgé de soleil, mis en relief
par le son brillant des riffs de François.
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Franck
Monnet
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Vincent
Delerm
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Franck
Monnet
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Mais l'univers de Franck Monnet, aussi
poétique soit-il, est aussi imprégné d'un humour
caustique omniprésent. On rit beaucoup mais on est un peu
dérangé par la véracité de certains
sarcasmes. En somme, Franck est le roi des changements de tons ou
de leur mélange, alternativement doux et enragé, triste
et drôle, il esquisse une vision de la nature humaine qui
lui est propre, avec une dérision délicieuse. On passe
du rire aux larmes
aux larmes de rire
sur des morceaux
mélangeant paroles ironiques et mélodies à
la tonalité parfois inquiétante, comme dans Douce
Douce Vanité, qui raconte l'histoire d'un couple avec
une différence d'âge " un rien visible "
ou dans J'adore T'écrire, chanson dédiée
" aux gens qui ne répondent pas ", à la
fois pathétique et cruellement drôle. Il nous interprète
également son morceau Journal Intime qu'il avait déjà
joué lors de son concert du 29 janvier dernier à la
Maroquinerie et dont les paroles semblent en interpeller plus d'un
dans la salle (ça sent le vécu !!)
Bien sûr, la part belle est faite aux invités, dont
les interventions s'intercalent avec le reste du concert. Le premier
invité, Abel K1, sur sa Takamine acoustique, est un
peu dans le même ton que Franck Monnet, avec des paroles à
la fois drôles et désolantes, en particulier sur Je
Suis L'Idiot, où il est accompagné par Franck
à la basse et François à la guitare électrique.
Un peu plus tard, Franck accueille chaleureusement Jul, pour
qui il a écrit plusieurs textes. Jul joue lui aussi sur une
Takamine acoustique, toujours avec Franck à la basse et François
sur sa Gibson. Ce Jul a une présence assez singulière,
à la fois douce et écorchée, sa voix rappelle
un peu celle de Bertrand Cantat. Il chante Langoureuse Emilie,
en l'honneur de l'anniversaire d'une certaine Emilie qui n'est pas
là
(aucun intérêt ! il aurait mieux fait
de chanter Langoureuse Emma ou Langoureuse Christine, nous on était
là au moins !!). Il nous interprète ensuite Les
Bateaux, une chanson au rythme assez binaire qui ressemble un
peu à Lemon Tree de Fool's Garden (si vous
vous en souvenez !) que Jul joue en picking et en muting. En préambule
de cette chanson, il nous explique que Franck et lui ont mis plus
d'un an et demi à l'écrire (avis à tous ceux
qui galèrent : finalement, vous n'êtes pas tout seuls
!)
Le troisième invité de la soirée est Vic
Moan, un multi-instrumentiste de génie habitué
de ce genre de rendez-vous musical, que nous avons déjà
vu sur scène aux côtés de Bumcello et
de Sébastien Martel, entre autres. Ce soir, il joue
de la mandoline sur L'Insolence, aux sonorités cha-cha
et sur The Face Of Another où il joue seul avec le
batteur.
Enfin, l'arrivée de Vincent Delerm surprend la salle.
Il arrive tout modestement de derrière la scène en
chantant Le Baiser de Modiano, et on le reconnaît immédiatement
avant même de le voir entrer dans la lumière : il chante
avec sa nonchalance et sa désinvolture habituelles. Puis
il reprend, au piano, une chanson de Franck Monnet que le public
réclamait depuis un moment : Les Embellies de Mai.
Les paroles un peu torturées de cette chanson prennent encore
plus de sens sur scène, illustrées par les petits
sourires en coin de Vincent.
Tout au long de ce concert, l'interaction
avec le public étai très forte. Dans un esprit toujours
décontracté et plein d'humour, Franck - et ses invités
- communique en permanence avec son public, et ce plus particulièrement
lors du rappel qui s'éternise, pour notre plus grand bonheur.
Sur Sa Chambre Est Allumée, il fait dire des paroles
surréalistes au public et organise les churs entre
les hommes qui doivent chanter " ferme la fenêtre,
ferme la fenêtre, c'est qui ce con ? " et les femmes
qui doivent répondre " laisse les volets ouverts
mon chéri ". Il va jusqu'à nous coacher en
nous donnant des conseils d'interprétation : " faites-la
un peu maniaco-dépressif "
!!
Cesare Pavese, un sublime morceau rempli de mélancolie,
joué tout en unplugged, rappelant les chants corses, est
joué en exclusivité puisqu'il fait également
partie de l'album à venir cet été.
Enfin, Franck termine par une berceuse, Gros Cur :
" il est encore gros, mais plus petit qu'hier ton cur
", qu'il nous fait chanter tous ensemble et qui se termine
dans un chuchotement que personne n'ose troubler. Tout le monde
retient son souffle jusqu'à la fin absolue de la chanson.
Bonne nuit, les petits
!
L'enthousiasme général
à la sortie du concert est une preuve irréfutable
de l'excellente initiative que constituent ces soirées où
la scène est partagée avec d'autres artistes pour
des bufs en live, et nous espérons vivement que cette
façon de concevoir la musique et la scène, qui fait
la part belle aux échanges, à l'improvisation et à
la créativité, continuera de se propager sur la scène
française.
Christine
et Emma
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