Sur son dernier album " Vertiges
des lenteurs ", Marcel Kanche mêle richesses des mots
et musiques recherchées. Présent à la trentième
édition du Printemps de Bourges, il a bien voulu répondre
à mes questions avant son concert
Laguitare.com
: Comment vous vous définiriez musicalement?
Marcel Kanche : Comme je recherche l'indéfinissable,
je n'ai pas envie de me définir. Je recherche quelque chose
de plutôt organique. Ma conception des instruments en découle
en les concevant plutôt en tant que matière qu'en tant
qu'objet purement musical. La musique c'est la matière.
Pour un matiériste tel que je le suis, la guitare est un
très bon instrument. Les grands virtuoses de la guitare me
fatiguent. D'ailleurs, les guitaristes me fatiguent (rires). Il
est vrai que je suis plutôt à l'écoute de guitaristes
chercheurs et des triturateurs tel que Fred Frith.
Il en est de même pour la batterie. Mon intérêt
ne se porte pas sur la batterie mais sur le son qu'elle peut produire.
Laguitare.com : Etes vous
toujours intéressé par cette recherche du son ?
Marcel Kanche : Cette recherche du son est très importante.
Elle ne s'accompagne pas des effets. Sur une guitare il faut que
l'accord sonne. Hier soir, je faisais un concert avec un big band.
(Le concert des vingt ans de Label bleu à La Cigale du 24
avril 2006). Un guitariste relisait une de mes chansons. J'ai dû
lui montrer la manière dont on jouait les accords. Même
si les accords sont connus de tous, il existe mille manières
de faire un accord. Le plus curieux est que je suis un piètre
instrumentiste. Cela ne m'intéresse pas de travailler l'instrument.
Mon jeu de la guitare est particulier à tel point personne
n'arrive à jouer comme moi. C'était la même
chose lorsque j'ai travaillé avec Matthieu Chedid. Il peut
jouer la guitare propre qui sonne parfaitement sauf qu'elle ne sonnera
jamais comme la mienne. Ma façon de jouer est tellement rustre,
rustique et terrienne qu'elle en est assez inimitable.
Laguitare.com : Est-ce que
votre particularité vous vient de votre style et votre façon
de jouer ?
Marcel Kanche : Bien sûr. Mais elle vient aussi de
mon envie d'entendre : la manière d'étouffer les cordes
par exemple. D'ailleurs, en matière de guitares, je suis
un anti collecteur. Je ne possède que deux guitares : une
électrique et une acoustique. Par contre, j'ai mis quarante
ans à les trouver.
Laguitare.com : Vous recherchiez
un son particulier de guitare ?
Marcel Kanche : En fait, je n'ai jamais acheté de
guitare. Les guitares m'ont toujours été prêtées
par des gens connus ou moins connus. Je ne supporterais pas d'essayer
des guitares dans des magasins. C'est du bavardage lorsque ils sont
tous là à gratouiller je ne sais quoi.
Un jour, je suis allé à Noirmoutier chez Cyril
Guérin mon luthier préféré. M me
l'avait présenté Je ne me servais uniquement que d'une
vieille guitare classique. Lorsque j'ai demandé à
Cyril de me prêter une guitare, il m'en a fait essayer beaucoup.
Mais le son de la plus vieille de son stock qu'il n'avait jamais
pu vendre m'a plu d'emblé. Pourtant elle n'est pas très
jolie Dit on c'est pour cela qu'il ne la pas vendu sûrement.
(rires). Le soir lorsque j'ai joué sur cette guitare, elle
est devenue ma guitare.
Laguitare.com : Est ce le
son qui vous a plu ?
Marcel Kanche : Sa sonorité me convient bien sûr.
J'aime les sons ronds un peu mous sans trop de brillance. Cette
guitare est une rencontre. De la même manière qu'on
rencontre une personne, il faut rencontrer les instruments. J'ai
rencontré ma guitare à cinquante ans
Laguitare.com : Pouvez vous
nous parler de votre guitare électrique?
Marcel Kanche : Ma guitare
électrique est une Ovation électrique de 1975. Un
jour, un ami Pierre Payant du groupe La Tordue me l'a offert. D'ailleurs,
cette guitare lui avait déjà été offerte
par Les Têtes Raides. Lorsque je l'ai reçu, elle était
dans un état lamentable ses micros étaient cassés.
Son esthétique ne me plaisait pas car sa forme est étonnante.
Le manche me convient parfaitement. Ensuite elle a été
restaurée. Ce modèle n'existe plus Je suis le dernier
à jouer sur cette guitare. Cette guitare me convient à
tel point que je ne peux ni la vendre ni en avoir une autre.
Laguitare.com : Vous avez vraiment
deux guitares particulières
Marcel Kanche : Ce sont surtout deux rencontres. Cette guitare
électrique je l'aime vraiment autant je l'avais trouvé
pourrie au début. Cette guitare est un personnage ! Hier
soir je l'ai même embrassé. Un spécialiste sur
un site Ovation m'a donné l'origine de ma guitare. Cette
personne m'a dit que j'étais la dernière à
jouer de cette guitare. Ovation a cessé de fabriquer des
guitares électriques. Toutes ces vielles guitares que tous
les guitaristes veulent comme Matthieu Chedid ou comme Sébastien
Martel ne m'intéressent pas du tout. Même les guitares
acoustiques comme les Martins qu'on me présente ne m'emballent
pas.
Pour en revenir à Cyril Guérin, c'est un être
magnifique d'une grande sagesse. Avant de fabriquer les guitares
pour les gens il faut qu'il les rencontre. Il a besoin de rencontrer
et de comprendre l'autre pour faire sa guitare. C'est plus qu'un
luthier. Je le considère comme un prêtre de la guitare
qui initierait les gens à leurs guitares en les faisant pour
eux. Si je veux une autre guitare, c'est lui que j'irais voir
Laguitare.com
: Vous avez parlé du son rond qu'on retrouve notamment
chez Cyril Guérin
Marcel Kanche : Cyril Guérin fabrique des guitares
au son plus brillant que la mienne. D'ailleurs il fabrique de plus
belles guitares sonnant mieux que les nouvelles Martin.. En plus
j'adore l'idée assez belle et intemporelle de l'artisan dans
son île.
lorsque j'étais jeune, j'ai rencontré une Guild. Je
suis très amoureux des Guilds. Piers Faccini a une magnifique
Guild électrique. Malheureusement ces guitares deviennent
très chères. A l'époque je n'avais pas pu m'acheter
cette guitare. Comme je n'avais jamais trouvé d'équivalent
à ce modèle rencontré, je ne me suis jamais
acheté de guitares. Il m'était impossible d'acheter
une guitare inférieure à celle que j'avais déjà
rencontré
Laguitare.com : Etes vous
un idéaliste de la guitare en recherchant un certain son
?
Marcel Kanche : Ce n'est pas vraiment de l'idéal.
Il faut que cela me corresponde. Lorsque j'écris un texte,
les mots doivent tomber précisément. Il en est de
même pour la guitare et le piano. En aucun cas j'achèterais
une guitare pour son esthétique ou sa grande marque. La guitare
doit correspondre à ce que j'ai envie d'entendre. En plus
je suis très fidèle avec les personnes et les objets.
Comme je disais à Cyril Guérin, si je n'avais pas
persisté dans la musique je serais devenu luthier. Je rachète
des vieux harmoniums sur les brocantes et les répare pour
que l'objet revivre. L'harmonium est mon instrument de prédilection.
Il m'est difficile de concevoir de jeter un instrument. C'est pour
cela aussi que j'aime mon Ovation qui avait même pris feu.
Après l'avoir faite entièrement restaurer, elle est
repartie pour une autre vie.
Laguitare.com : Quand êtes
vous venu au Printemps de Bourges ?
Marcel Kanche : Il y a quinze ans, le théâtre
Jacques Cur m'a laissé un beau souvenir. J'vais vu
un grand guitariste, Jean François Pauvros, un guitariste
de jazz magnifique et vraiment barré. c'est un guitariste
hors pair resté improvisateur. Cette fois là, il a
pratiquement joué dans la rue. Un artiste comme lui devrait
être au sommet.
Laguitare.com : C'est un
guitariste instrumental ?
Marcel Kanche : Bien qu'il ait une voix magnifique, je l'ai
rarement entendu chanter. Récemment j'ai rencontré
Jeff Morin qui est inconnu. Je l'ai invité à une émission
live. Sans répétition, il est venu jouer. C'est un
timide introverti .Il joue des choses très simples très
pleines et très belles. Son doigté est précis
et d'une élégance rare. Rares sont les guitaristes
comme Artho linsay, robert frip .Mark Ribbot qui était le
guitariste de Tom Waits. Et l'incontournable Hendrix.
Laguitare.com : Souvent on
vous compare un à Alain Bashung version underground. Qu'en
pensez vous ?
Marcel Kanche : Nous sommes très amis. Nous sommes
en accord dans nos écoutes et un peu dans la même veine
sauf qu'Alain est plus dans la lumière que moi. C'est de
l'ombre qu'on voit le mieux la lumière. Je suis un être
heureux si j'ai mes deux guitares et un harmonium
(Rires)
Propos recueillis par Emmanuelle
Libert le 28/04/2006 au printemps de Bourges
Le site
de Marcel Kanche
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