Tout
transpire l'authenticité chez Pierre Lapointe. Sans être
vraiment de la chanson ou de la pop mais tout à la fois.
Et cette voix douce et légère sait comme personne
donner des frissons. Rencontre lunaire ponctuée d'éclats
de rire avec cette étoile montante de la scène québécoise.
Votre instrument
de prédilection est le piano. Comment l'avez vous découvert
?
Pierre Lapointe : Mes parents voulaient m'inscrire à
un cours de musique. Je voulais instinctivement apprendre le piano.
Comme mes parents n'étaient pas très fortunés,
ils m'ont inscrit à des cours de violon. Je ne sais pas quel
a été le lien ! (rires) En tout cas, le violon a été
très bon pour mon approche musicale pendant six ans. C'est
à douze ans que j'ai décidé de travailler dans
le magasin de mes parents pour m'acheter un piano. J'ai eu une relation
presque amoureuse avec le piano. Je ne dormais pratiquement plus.
Je pouvais répèter la même note des heures dans
le noir, la tête posée sur le piano. J'ai senti mon
instrument. Vers treize ans, j'ai commencé à faire
de la musique consciemment. Avec le piano, j'ai un rapport très
sensuel. Il est omniprésent dans ma musique, comme il l'est
dans ma vie.
Cette symbiose vous amène-t-elle à composer directement
au piano ?
P.L. : Souvent, c'est sans instrument. J'ai une phrase que
je transpose en musique. A un moment donné, mon but était
de faire des mélodies constamment. A chaque fois, mon but
était d'écrire des évènements de ma
vie et de le transposer en musique. J'ai une personnalité
assez obsessionnelle. J'avais tendance à me fixer sur le
même élément sans m'arrêter. C'est ce
que j'ai fait avec la musique. Sans m'en rendre compte, je suis
devenu mélodiste. J'ai passé mon adolescence à
m'autodiscipliner dans la musique parce que cela me procurait beaucoup
de plaisir. Cela me faisait oublier un peu l'adolescence qui est
un moment triste et pénible pour à peu près
tout le monde.
Comment parvenez
vous à rendre une légèreté sonore, ce
côté pop lunaire ?
P.L. : Mon premier disque était très «
chanson française » influencé par Barbara, Gainsbourg,
Moustaki... Pour mon deuxième disque « la Forêt
des mal aimés », j'ai voulu faire un univers pop. C'était
volontaire de faire des chansons plus concrètes et plus faciles
dans la construction. Souvent, j'ai mis des textes introspectifs
et personnels sur une mélodie volontairement accrocheuse.
Ce qui produit un clash. Les gens accrochent sans vraiment savoir
de quoi je parle. Lorsqu'ils prennent le temps d'écouter
les textes, ils tombent sur des paroles d'extrêmement sombres
et personnelles. Non seulement j'ai composé des mélodies
à la base pop mais je les ai aussi renforcées avec
des arrangements accrocheurs et faciles d'accès. Comme pour
« Deux par deux rassemblés » je suis parti de
l'idée de récupèrer les mélodies du
Parti Communiste de l'URSS des années 60, des chants rassembleurs
qui parlent avec les tripes pour en faire un hymne national des
célibataires. Il m'est arrivé de faire pleurer le
public juste en la jouant au clavecin. Grâce aux arrangements,
je manipule la compréhension des gens.
A quel moment sait-on qu'on a atteint l'émotion juste
?
P.L. : Je n'essaye jamais de me concentrer sur un point précis.
Dans mes chansons, j'essaye toujours de complexifier le texte et
la poésie afin que les gens ne comprennent pas du premier
coup ce dont je parle. Ils saisissent d'abord l'énergie générale
et une sensation très forte. Les mots finissent par couler
de cette émotion-là et donner une précision
tout en restant vague. Cette sensation n'est pas dictée.
Les gens se l'approprient et se font leurs propres idées
du texte.
Tout en restant accessible dès la première écoute...
P.L. : C'est le travail des mélodies et des arrangements.
Dans la chanson « Lion imberbe », l'ambiance tamisée
est amplifiée grâce aux arrangements notamment à
la basse fréquence tout le long et au gros scratch de vinyle.
Comment appréhendez-vous la scène avec votre univers
ahurissant ?
P.L. : Curieusement, je ne parle seulement qu'à deux
endroits du spectacle. Ces moments rares prennent énormémement
de place comme je suis drôle tout en arrivant avec des thèmes
graves. J'ai commencé à faire des spectacles avant
même de faire de la chanson. J'étais parti du mouvement
dada et de l'art visuel surréaliste. Alors loin de l'idée
de faire de la chanson. Ce que je faisais était assez vaporeux
et peu construit de façon conventionnelle. Il n'y avait ni
couplets ni refrains. J'ai opté pour un personnage très
« chien », plein de lui-même qui se trouve beau...
Le rire amenait le public à être ouvert ce qui me permettait
d'arriver avec des thèmes plus pointus. Ce côté-là
est resté. Si je parle, c'est pour faire rire. Lorque le
public rit, il est prêt à tout recevoir. J'ai un bon
sens du timing qui me permet ce jeu. Dès le départ,
j'avais la facilité à pouvoir faire rire le public
et l'émouvoir. Le spectacle est arrivé deux ans avant
la sortie de « la Forêt des mal aimés ».
A la sortie de mon premier disque, j'ai tout changé sur scène
avec de nouveaux arrangements et de nouvelles couleurs. Le premier
album résultait de deux années de spectacle. Dans
ma tête, je voulais passer à autre chose. C'était
très risqué. L'album rencontrait un succès.
C'était un début assez imposant pour un jeune artiste.
Sans être extraodinaire, ce choix était rare. Personne
ne comprenait que je propose un show avec des chansons différentes
de l'album que le public aimait. J'avais déjà de nouvelles
chansons. Comme j'ai un temps de gestation rapide pour la musique,
je peux composer un album en moins d'un an. Cela vient de ma façon
de travailler qui est très physique et répétitive.
J'ai construit le spectacle en suivant l'état du public à
quel moment il est charmé, à un autre il est déstabilisé.
Ce sont constamment des étapes pour arriver à la goutte
au bord de l'oeil. C'est un jeu de manipulation. Comme je suis un
fan de graphisme, je fais de l'art visuel en faisant de la mise
en scène. (rires)
La pochette
de l'album participe aussi à votre passion pour l'art visuel...
P. L : Idéalement, je voulais faire six pochettes
différentes. Mais ma maison de disques n'était pas
d'accord.(rires) On a fait la pochette québécoise
six mois avant la sortie française. On n'était même
pas encore rentré en studio. Je voulais déjà
élaborer un visuel. J'ai travaillé avec un collectif
d'art contemporain BGL et le photographe Mathieu Doyon. Ce collectif
îconoclaste rit des conventions. Je me reconnaissais dans
leur démarche. On a fait une pochette étrange avec
une idée très solennelle. Les clichés ont été
pris dans les bois. Je ne suis pas aller voir le photographe mode.
Des photos de moi mannequins : j'en ai ! (rires) Cela m'intéressait
pas. Pour la pochette française, j'ai pu travailler avec
le grand photographe Pascal Grandmaison. Son point fort est le travail
des lumières. J'ai réussi à convaincre ma maison
de disques de sortir des pochettes différentes pour le vinyl
et le remix. Au final, pour « la Forêt des mal aimés
», il y a eu quatre visuels différents. J'aime les
collaborations avec des personnalités extrêmement fortes.
Ma maison de disque me le permet.
La scène québécoise est des plus flamboyantes.
Y a-t-il un secret ?
P.L. : Au Québec, les jeunes de ma génération
écoutent pleins de choses. On est des consommateurs de bonne
musique. J'écoute aussi bien du rap, du jazz, de rock, de
la pop, de la musique indienne, de la chanson française...
Il en est de même pour les rencontres. J'ai travaillé
avec Ghislain Poirier, un collaborateur de TTC. On a envie d'être
animé
par d'autres univers. J'ai collaboré aussi avec le grouge
de rock indé Malajube. C'est le meilleur groupe que le Québec
ait connu depuis très longtemps. Rien à voir avec
Pierre Lapointe qui fait des trucs pop. Il y a Ariane Moffatt aussi...Tous
ces artistes ont des personnalités extrêmement fortes.
Personne ne se ressemble. C'est juste dû à une ouverture
d'esprit et un désir de jouer. A Montréal, il y a
un non stress. (rires) L'industrie du disques québécoise
est très ouverte et permet toutes ces collaborations.
PIERRE LAPOINTE
« La Forêt des Mal aimés » (V2 Music)
Propos recueillis
par Emmanuelle Libert
le 20 avril 2007
www.pierrelapointe.com/
|