Je suis tombé sur une
véritable Œuvre d'Art. L'expression peut sembler au pire exagérée,
au mieux désuète, pourtant elle convient à merveille à ce dernier
disque de Gary
Lucas "The Edge of Heaven".
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D'abord par l'objet
lui-même. Ce digipack est hors norme. Le label Indigo (Label
Bleu) a amoureusement mis en valeur ce disque (pochette et
livret). A en regretter le grand format de nos 33 t. Comble du
raffinement et du respect, le livret intérieur est traduit en
Français. On y découvrira une courte bio de Bai Kwong et Chow
Hsuan ainsi que deux pages de notes de Gary en personne. Ou l'on
y apprend le pourquoi et le comment de sa passion pour cette musique
chinoise des années 40 / 50.
Mais une belle pochette et un beau livret ne sont
pas forcément le gage d'un disque réussi. Ce peut-être aussi une
manière de détourner l'attention. Quand on connaît Gary Lucas,
personnage tellement humble et abordable, ce genre de réflexion
ne vous traverse même pas l'esprit. Gary, loin des considérations
commerciales, ne fait que ce qu'il aime et aime surtout le faire
partager. La matière de ce CD est encore plus dense en émotion
que ce que l'emballage pouvait laisser prévoir. Beauté pure.
Par chance, j'ai pu voir deux fois Gary Lucas sur
scène. A chacune de ses prestations, nous avions eu droit à un
ou deux morceaux de ces musiques chinoises qu'il affectionne.
Que ce soit sur son "National Steel" ou sur sa Gibson acoustique
hors d'age, ces interprétations m'ont fichu une chair de poule
comme rarement, voire jamais, je n'en ai en concert. La sensualité
dégagée par ces morceaux est une torpille qui vous atteint le
cœur en une fraction de seconde. A moins de ne pas avoir de cœur,
bien sur.
Et cette sensualité, souvent masquée en studio, est
la, bien présente dans ce disque à la production soignée.
On y retrouve les morceaux instrumentaux interprétés
sur scène : le splendide et pudique "Please allow me to look at
you again" (ce titre !), tout en picking fin et délicat, l'impressionnant
"The Wall" (rien à voir avec le Floyd) à la mélodie entêtante,
ainsi que l'aérien et mélancolique "Old Dreams" qui ouvre l'album.
Mais le grand choc arrive avec les versions chantées.
Six morceaux sur les treize de l'album, avec notamment "Please
allow me to look at you again" et "The Wall" qui tous deux prennent
une dimension inédite. Deux voix de femmes très différentes (Celest
Chong et Gisburg) viennent habiter (hanter) ces chansons. On est
loin des clichés des mélodies chinoises (hormis "Songstress on
the edge of heaven"). Ecoutez "I wait for your return", c'est
fascinant. On jurerait du folk/blues US mais avec un je-ne-sais-quoi
d'indescriptible dans le chant, la prononciation, la mélodie,
qui vous faire perdre pas mal de repères musicaux.
Et Gary Lucas, qui a transcrit ces morceaux à l'oreille,
y apporte une touche unique. Le jeu de guitare, essentiellement
acoustique (National et Gibson acoustique), est exemplaire. La
"patte" Lucas est immédiatement reconnaissable. Parfois, assez
curieusement, on est quasi dans du picking US traditionnel "Pretense",
ou dans le véritable petit bijou qu'est "If i'm without you".
Il réussit même la prouesse de nous offrir un morceau limite rock
"Where is my home", tout en slide.
Gary, dans ses notes,
nous explique son parcours initiatique et amoureux par rapport
à cette musique. La joie qu'il a toujours eu de faire découvrir
ces morceaux. L'accueil extraordinaire que tout le monde réserve
à ces chansons. Aujourd'hui, sans aucune attente commerciale,
il nous offre un joyau (et bravo au label Indigo de permettre
de telle sortie). Bien lui en a pris. Plus qu'un disque, c'est
un véritable pont qu'a jeté Gary entre ces deux géants méfiants,
USA et Chine, que tout semble séparer et qui, ici, se retrouvent
étrangement proches.