Mai,
le mois du Festival de Cannes.
Vous le savez, les strass et les paillettes n'ont jamais été
mon truc, alors, en marge de la grande mascarade des marches, je
vous propose ma petite remise de prix un brin dissidente, spécialement
adressée à nos amis tatoués à cheveux
longs.
En tête
de la sélection, le nouvel album de Psykup, We Love You All,
sorti le 7 mars dernier chez Season of Mist, le nouveau label du
quintette toulousainnng qui n'a peur de rien (vous allez comprendre
pourquoi en lisant la suite). Pour cet "album de la maturité",
plus que jamais, on peut qualifier l'écriture de Psykup de
cinématographique, avec des morceaux "qui se découpent
plus en storyboard qu'en couplet-refrain".
Meilleur
scenario :
Psykup, c'est
un univers comme aucun autre, une approche bien particulière
de la musique, des convictions, une intégrité artistique
sans faille, et bien sûr une passion inaltérable qui
transpire par tous les pores de leur son.
Et à
chaque album, le groupe semble mettre un point d'honneur à
enfoncer un peu plus le clou.
Le fil conducteur
de la (pour l'instant) trilogie du groupe tourne entre autres autour
de la question de la signification d'être un artiste aujourd'hui,
dans une société oô la valeur d'un bien est
forcément monétaire
ou n'est pas
Une des
obsessions du groupe est de dénoncer la difficulté
de survivre financièrement en tant qu'artiste. C'est notamment
le sujet du morceau en plusieurs parties En Vivre Libre Ou Mourir,
en collaboration avec Khod Breaker.
La monotonie instrumentale de ce morceau sur deux accords semble
traduire l'indifférence générale dans laquelle
se déroule la lente déchéance des artistes.
Les deux choix de ces derniers sont : crever de faim, ou se prostituer
pour en vivre, c'est-à-dire sacrifier son art.
Meilleurs
décors :
Comme chacun
sait, même sans avoir fait HEC ou même le moindre BTS
action commerciale, pour bien vendre un produit, il faut un bel
emballage.
C'est ce que nous propose Psykup !
De belles images clinquantes, comme à l'âge d'or du
cinéma américain, à la grande époque
de l'actors' studio, à l'apogée du glamour d'Hollywood
un brushing qui reste en place, même lors d'une course poursuite
en Ford Mustang décapotable
oui, mais finalement, en
regardant de plus près, oô est l'arnaque ? C'est un
des leitmotiv de Psykup : "tout ce qui brille n'est pas d'or"
(d'ailleurs la parole ne brille pas).
L'univers de Psykup (aussi bien musical que visuel) a quelque chose
d'éminemment grinçant, à l'instar de la pochette
de L'Ombre et la Proie (deuxième album, sorti en 2005 chez
Jerkov, sur lequel on trouvait l'énormissime "tube"
Love is Dead) qui mettait en scène un joli carrousel au milieu
duquel, en guise d'unique cheval de bois, trônait une chaise
électrique (mais attention, ce petit détail ne sautait
pas au yeux, et de loin, il ne gâchait en rien l'apparence
inoffensive et même ennivrante du manège !).
Une manière de nous mettre en garde contre tout ce qui est
trop lisse et nous enferme insidieusement dans une norme aliénante,
contre le manichéisme et les étiquettes que nous avons
tendance à coller sur tout par fainéantise : tout
n'est pas bon ou mauvais, blanc ou noir
Comme le dit Color
me Blood Red, le premier morceau de l'album, la vraie couleur de
la vie, c'est le rouge, la couleur du sang qui nous différencie
des machines, la couleur des révolutions qui nous empêchent
de nous endormir
Meilleur
montage :
Refusant de
brader le statut d'artiste àl'industrie musicale, Psykup
envoie bouler toutes les conventions et les normes. Complètement
à côté de la plaque en termes de format FM,
l'album est en réalité un double album (+ un DVD),
avec 6 morceaux sur chaque CD
. Ah oui, mais forcément,
quand on fait des morceaux de 10 mn
vous l'aurez compris,
c'est pas dans We Love You All que vous trouverez le tube de l'été
!!
Vous me direz : "mais ça doit être chiant, des
morceaux de 10mn
" et c'est là que Psykup réussit
le pari de nous faire appréhender la musique autrement.
Comme on disait en 68 (tiens, en mai aussi !) : "Oublier tout
ce que vous avez appris, commencer par rêver". Ne cherchez
pas les couplets et les refrains, laissez-vous plutôt porter
par le cours imprévisible des morceaux.
Véritable
scénario aux multiples rebondissements, et au suspens captivant,
l'album nous balade à travers différentes ambiances
et ne cesse de nous dérouter : au détour de chaque
riff, on peut être surpris par un déferlement de double
pédale et de basse violemment slappée ou envoûté
par un passage planant
on ne sait jamais ce qui va se passer
la seconde suivante
A des scènes d'horreur terrifiantes
succèdent des passages dramatiques émouvants ou encore
des parodies caustiques jubilatoires, comme dans My Toy, My Satan
qui tourne en dérision le satanisme (et si Lucifer n'aimait
pas le noir ? Si le Diable détestait le métal, et
s'il n'écoutait du jazz ?)
Plaidant pour
une conscience de la valeur intrinsèque de l'art, l'album
vise aussi àparticiper au réveil des "consommateurs".
Nous ne sommes pas obligés d'obéir à un destin
qu'on nous impose, nous avons la main sur notre vie et un certain
pouvoir sur l'industrie musicale et sur la société
de consommation en général.
C'est ce que traduit La vie dont vous êtes le héro,
morceau interactif en plusieurs parties. Après un prologue
et un énoncé du choix où une voix interpelle
l'auditeur, ce dernier choisit le dénouement qui lui plaît
(sur le même principe que les livres ou les jeux videos où
différentes fins sont possibles en fonction des choix effectués
tout au long de l'aventure
comme dans la vraie vie aussi
!)
Meilleurs acteurs :
Un casting énorme
!
Des harmonies vocales à faire pâlir Serj Tankian et
des rugissements à vous défriser, des riffs de gratte
tranchants succédant à des divagations jazzy géniales,
un couple basse-batterie d'une précision et d'une efficacité
redoutables
la technique est impressionnante à tous
les niveaux. On a décidément rien à envier
aux meilleurs groupes de metal, même à l'international.
Les instrumentistes de tous poils y trouveront leur compte, le quintette
se balade dans tous les registres qu'il aborde ; et c'est vaste
: si le groupe a toujours fusionné les styles avec une grande
aisance, il va encore plus loin cette fois, en mélangeant,
bien entendu le metal à tendance death avec le jazz, mais
aussi le funk et même la bossa nova, comme dans La vie dont
vous êtes le héros (pile).
Mais
la technique n'occulte pas le groove, les morceaux respirent, les
enchaînements sont fluides, malgré des compositions
complexes, l'équilibre et parfait. Chaque membre de Psykup
est à sa place (c'est aussi absolument vrai sur scène,
cf. l'interview video), c'est- à-dire qu'il occupe largement
son espace, mais sans empiéter sur celui des autres, le talent
de chacun n'est là que pour souligner celui des autres.
Petite mention
spéciale pour les bassistes : j'attire votre attention sur
l'arrivée de Pelo àla basse sur ce nouvel album. En
effet, si la composition des albums précédents, y
compris pour les lignes de basses, partait toujours d'une base à
la guitare, Pelo a su donner une nouvelle dimension à la
basse dans Psykup.
Et puis comme
un bon film, We Love You All est un album qu'on peut écouter
et réécouter, sans jamais se lasser. A chaque nouvelle
écoute, on découvre de nouveaux détails, on
admire la mise en place absolument parfaite, la subtilité
des ambiances, la puissance et l'intensité des scènes
dramatiques, la justesse du jeu, jamais surfait, toujours vibrant
de sensibilité.
Allez, j'me
fait un p'tit REWIND !
Meilleur documentaire :
Pour couronner
le tout et parfaire ce magnifique package, vous trouverez enfin
un DVD qui continue dans le thème de la dure vie d'artiste,
si bien qu'un des chapitres se nomme "en vivre est un problème"
: le DVD nous sensibilise à la réalité de la
vie d'un "petit" groupe en France : les km dans le camion,
le manque de sommeil, les petits cachets, les doutes
mais
surtout la foi qui fait que malgré tous les obstacles, on
continue à faire de la musique.
Vous trouverez aussi dans ce DVD l'histoire de l'enregistrement
de l'Ombre et la Proie, accompagnée de nombreux extraits
d'interviews qui donnent quelques explications sur l'album, et de
nombreuses anecdotes qui vous donneront une bonne idée de
la véritable personnalité de ces 5 psykupathes en
puissance
Christine
Moussot, 25/05/2008
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