Pour
parler de ce disque, une remarque évidente s'impose
: l'Amérique est bel et bien le pays de tous les
contrastes "monstrueux", souvent incompréhensibles
pour nous Européens. Comment juger une administration
paranoïaque, va-t-en guerre, libérale à
faire passer A.Madelin pour le dernier communiste ; un Texas
et ses couloirs de la mort engendrés par des juges
et politiciens corrompus à faire passer J.Chirac
pour l'abbé Pierre (à ce sujet lire tous les
romans du meilleur des écrivains de polar actuel
James Crumley) ; les gaspillages écologiques
suicidaires à donner des idées à Roselyne
Bachelot ; les serial-killers en couche-culottes, 22 long
riffle à la naissance, Kalachnikov à Noël
; ce sniper psychopathe face aux Frank Zappa, Velvet underground
en passant par Pavement, Ween, Beck ou Jonathan Richman
et maintenant ce groupe hors norme "Supersuckers"
? (rien que le nom ne peut qu'interpeller). Ce n'est plus
du grand écart, c'est de la prestidigitation.
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Ce quartet, dont l'album
"Must've Been High" à la country
énergique, débridée et décoiffante,
enregistré en novembre 2001, a déconcerté
ses fans de la première heure. En effet, les Supersuckers
"meilleur groupe du monde" comme ils se surnomment eux-mêmes,
bien qu'originaires de Tucson ne donnent pas habituellement dans
ce genre musical.
Fans d'AC/DC, des Ramones et de Motorhead,
(ils tourneront avec ces 3 groupes), leur bassiste, chanteur,
leader, aurait pu s'appeler, modestement et discrètement,
comme tout un chacun, Paul McCartney, ou Corinne
de Téléphone (groupe ringard depuis l'arrivée
des portables). Au lieu de cela, il porte le doux patronyme de
Eddie Spaghetti (ça ne s'invente pas !) et n'est
pas du genre bonne pâte (Ah ! Ah !).
Adepte du satanisme (à la Ozzy Osbourne)
et des drogues, dont la seule licite est la bière en tonneau,
les Supersuckers, ensemble depuis le lycée, doivent leur
carrière à un pile ou face plus que chanceux. En
1989, désireux de quitter Tucson, la face de la pièce
les emmènera vers le Seattle pré-grunge. (Bon tirage,
car l'autre face les aurait embarqués vers New-Orleans
!). Ils pataugeront en tête dans la mare grunge avec leurs
collègues de Nirvana, se forgeront un noyau de fans
inconditionnels et une belle popularité outre-atlantique.
Et puis, telle une improbable lueur d'humanité dans
les yeux d'un CRS, les Supersuckers vont sortir ce disque inconcevable
et extraordinaire. Imaginez les Sex Pistols attaquant le
répertoire des Tindersticks et vous aurez une petite
idée de la volte-face de ce groupe. Loin de leur musique
originelle, mais proches de leurs racines (Arizona), Eddie et
sa bande vont donc transposer leur rythme et leurs 3 accords grunge
de base sur des tempos folk et des guitares acoustiques, et sortir,
avec une sincérité évidente, et sans opportunisme
(face au renouveau du genre) un des meilleurs disques de country
de ces dernières années.
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La voix d'Eddie
est ténébreuse, caverneuse et poussiéreuse
à souhait. Les Supersuckers sont visiblement plus
qu'à l'aise dans leur nouveau genre musical. La section
rythmique et le vibrato de la guitare électrique
font souvent penser à un Calexico sauvage. Pour ce
faire, ils ont su s'entourer de musiciens du meilleur cru
country-folk. La voix d'Amy Nelson (fille
de Willie) en duo sur la ballade "Hungover
Together" rappelle les grands moments des duos
folk des 70's.
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L'harmonica de Mickey
Raphael (harmoniciste du même Willie) est omniprésent.
Le banjo devient fou furieux (comme du temps des Pogues)
et la pedal-steel, un avion à réaction. A noter
aussi la présence du peu folkeux Audley Freed
guitariste des Black Crowes. L'enregistrement est effectué
live, c'est pourquoi Eddie ne joue pas de la basse, peu compatible
avec ce chant country, mais fort bien de la guitare acoustique.
Ces prises directes accentuent la profondeur des compositions
et le ton de l'album.
A l'arrivée, le résultat est un album truffé
de cordes, acoustiques, électriques, wah wah, slide, pedal-steel,
banjo qui ravira les amateurs du genre folk et country tout en
leur donnant un sacré coup de fouet. Avec 2 dernières
minutes de grunge furieux et d'un solo supersonique en fin d'album,
histoire de remettre les pendules à l'heure. Chassez le
naturel
Enfin, pour rassurer les amateurs
de la première heure, sachez que le dernier album des Supersuckers
"Splitsville Vol. 1I" a repris la direction punk-grunge
d'origine.
Comme Eddie a lui même prévenu "ceux qui viendront
aux prochains concerts pour entendre de la country peuvent passer
leur chemin". Dommage, pour ma part, car j'aurais aimé
assister à une démonstration live. Pour consolation,
il nous reste ce disque ovni, fortement conseillé.
Jph
le 09 novembre 2002
site
: http://www.supersuckers.com/
Must've Been High : Supersuckers
01- Must've Been High
02- Dead in the Water Country
03- Barricade
04- Roamin' 'round
05- Hungover Together
06- Non-Addictive Marijuana
0 7- The Captain
0 8- Blow You Away
0 9- Roadworn and Weary
10- Hangin' Out With Me
11- Juicy Pureballs country
12- One Cigarette Away
13- Hangliders
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