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Croque Notes          - Texte de Jean-Pol D'hulst - Illustration Thierry Lamouche
Les (mauvaises) pensées cachées d'un guitariste rythmique


Au début, c'était bien. Ca groovait sec sur ces vieux standards. Les morceaux s'enchaînaient à l'aise, les deux guitares se mariaient bien. Un bonheur de guitariste rythmique. J'arrive même à faire la nique au soliste sur "Proud Mary". Il est infoutu de jouer un solo, genre arpège et surtout en son clair. Normal, la moindre fausse note et ça plonge dur. Alors, c'est moi qui me dévoue. "Honky tonk woman" et "Over and over" furent des petits modèles de travail d'équipe. Et sur "throw down the sworld" de Wishbone Ash, je croyais l'affaire entendue. J'en avais même largué le médiator sur "Sympathy for the devil" pour mieux appuyer notre soliste qui commençait à se lâcher. Et puis, petit à petit, avec l'arrivée de "Get Back", et sa multitude d'accords compliqués (un la, un ré !?!?) l'ennui me gagne. Et je ne suis pas le seul. Sur les 3 minutes du morceau, le batteur doit taper 3 fois au maximum ailleurs que sur sa caisse claire, par moment il arrive même à regarder sa montre. Le bassiste ne prend même plus la peine de quitte le la, et on est obligé de se taper le solo notes pour notes. A la rythmique, j'angoisse déjà en pensant au final que cela va engendrer. C'est inévitable.

 


"Quant à moi, depuis cette mémorable soirée, je fais du picking tout seul dans mon coin."

Et paf ! J'en étais sur. Le soliste nous vrombit un la majeur, le batteur et le bassiste se regardent et en avant l'artillerie lourde. Un gros boogie à la ZZ top. J'embraye des la, do, ré sans conviction en regardant les doigts en folie sur la strat du soliste. Tiens, je vais passer le la en barré, histoire de changer. Bof ! Allez ! un la en barré 12 ème case. Un peu aigu. Essayons en position de ré. Houps ! j'ai passé un sol. Personne n'a entendu. Hou la ! Si ! Punaise, le regard du batteur. Bon ! Ok ! je dévie plus d'un pouce.

Au bout de 15 minutes à cette allure, ça fatigue chez mes collègues. Notre guitar hero a éclusé toutes les combinaisons de notes, et le batteur est au bord de l'épuisement. Un dernier break bien baveux et on exécute la fin sur un interminable boucan de fin du monde.

C'est au moment, ou la cymbale s'arrête net que j'en profite pour relancer le riff. Exprès. C'est l'affolement dans la section rythmique. Mais malgré la surprise et l'épuisement, et leurs regards de tueurs, ils me suivent, because le public. Notre Clapton des familles à court d'idées et surtout avec la corde si explosée me fait des signes de panique pour que je prenne le solo. Ah ! Mais pas question ! Depuis qu'ils m'ont viré des solos parce que j'essayais toujours de passer des trucs style folkore irlando-breton sur les boogies, je refuse toutes les propositions. Chacun ses problèmes, mon bonhomme.

Bref ! Après 15 minutes de mur du son supplémentaires, on est enfin sorti de scène sauf le batteur évanoui sur la grosse caisse. Les 17 ampoules aux doigts du bassiste sont disparues en moins de deux mois et le soliste est passé au trombone à coulisse.

Quant à moi, depuis cette mémorable soirée, je fais du picking tout seul dans mon coin.


JPH
- Thierry Lamouche