Laguitare.com cherche un repreneur pour faire revivre le site autour de son contenu dédié à la lutherie et à la guitare haut de gamme. Pour plus d'infos, contacter Jean-Michel Langé par email : jml (arobase) guitariste.com
HOMMAGE - PANDIT RAVI SHANKAR - Une lumière qui s'éteint
REDACTEUR : JACQUES CARBONNEAUX - MICHEL GENTILS - SHYAMAL MAITRA
Ravi Shankar s'est éteint le 11 décembre 2012 à l'âge de 92 ans. Son nom est inscrit à jamais dans l'histoire de la musique parmi les plus grands musiciens...
Joueur de Sitar, il a représenté la culture indienne à travers sa musique bien au delà des frontières de l'Inde, il a été son ambassadeur dans le monde entier et a initié un engouement pour le Sitar dans la musique occidentale faisant ainsi connaître ce magnifique instrument à cordes pincées à bon nombre de musiciens.
Il a bien sûr influencé et formé George Harrison au Sitar mais ses rencontres avec le flutiste Jean-Pierre Rampal, le violoniste Yehudi Menuhin et le compositeur John Coltrane ont permis, entre autres, à différentes cultures musicales de se cotoyer et de se mélanger.
Les cultures indienne et occidentale se sont croisées dans la musique mais également à travers la non-violence dont le MahatmaGandhi a été le messager et qui a été reprise comme arme politique par le mouvement hippie. La musique de Ravi Shankar symbolisait alors ce rapprochement culturel. Il a d'ailleurs composé et interprété la musique du film de Richard Attenborough en hommage à Gandhi.
Il a été pour moi, comme pour beaucoup de personnes de ma génération, un musicien dont les disques côtoyaient ceux de Frank Zappa, Jimi Hendrix, NeilYoung ou Vivaldi dans mon antre d'ado.
Pour rendre hommage à ce grand homme, j'ai demandé à deux musiciens qui ont croisé sa route d'écrire quelques mots à son sujet.
Merci à Michel Gentils et à
Shyamal Maitra pour leur témoignage poignant.
Jacques Carbonneaux
- le 14 décembre 2012
Lorsqu'un être humain parvient à embrasser l'humanité, c'est l'humanité toute entière qui est orpheline quand il s'éteint.
Pour une telle absence, une seule consolation, en forme de vœu : qu'au moins notre espèce parvienne à transmettre le merveilleux de la vie - qui est potentiellement en chacun de nous mais n'a été vécu et mis en lumière que par quelques-uns de nos ancêtres - et qu'elle continue à accoucher de personnes de leur dimension, qui nous ferons encore meilleurs.
Ainsi va la vie, inexorable, invincible...
Ravi Shankar n'était pas seulement le musicien indien parvenu à une notoriété mondiale pour avoir rencontré les Beatles dans la mouvance des hippies. Pour devenir le patriarche des musiciens de l'Inde toute entière, un pays d'un milliard d'âmes et de 5000 ans de culture, il lui a fallu une grande qualité d'humanité.
C'est cette qualité qui nous impressionne - au sens propre du terme, car elle laisse des traces indélébiles chez ceux qui restent – , et qui nous élève. C'est elle que je cherche à travers la musique, et, pour le peu que j'ai pu parfois l'effleurer, c'est elle qui m'a tout appris et me guide.
Puisque la musique est une expression de la vie, une meilleure vie fait meilleure musique. Autrement dit : pour être un bon musicien, il faut être un bon homme.
Cela se voit : les grands musiciens ont des vies humbles et souriantes. Ils sont très rares. On est toujours bien avec eux. Par leur simple façon d'être, ils savent nous mettre à l'aise pour mieux nous propulser à un plus haut niveau d'exigence et de joie.
Ravi Shankar, je ne l'ai vu qu'une seule fois, en 1984, en concert au Festival de Musique classique indienne de Bénarès.
Mais ce souvenir est gravé à vie : il a commencé son concert tout doucement, vers 10 heures du soir, et comme il se sentait bien, le concert a duré... jusqu'à sept heures du matin !
Baigner autant d'heures dans une telle douceur de vivre, quitte à s'endormir et se réveiller plusieurs fois dans la nuit, ce qui d'ailleurs ne gêne personne (en Inde, on sait bien que la musique nous traverse pendant le sommeil, qu'elle fait son effet), cela vous met dans état de disponibilité heureuse et d'efficacité précise inexprimables.
Cet état particulier, je ne l'ai jamais revécu tel quel, mais pourtant, depuis plus d'un quart de siècle, il balise mon chemin avec bonheur.
Voyez comment sont les Maîtres : par leur seule façon d'être, ils posent en vous une information indélébile, ils vous transforment.
Quant à lui, déjà âgé à l'époque, je me suis longtemps demandé d'où il avait pu tirer toute cette énergie.
Puis j'ai cru comprendre qu'un musicien n'est autre qu'une sorte de transformateur d'énergie subtile quand il parvient à se rendre assez transparent, que la musique crée un transfert d'énergie entre les êtres, que plus on se donne, plus le public et le monde lui-même vous rechargent et cela fait du bien à tout le monde, que c'est en s'oubliant que l'on se ressemble le plus et que l'inspiration vient.
Tout ça, c'est bien de l'amour en barre, non ?
"Quand je joue, je perds tout contact avec le monde extérieur, j'essaie de ressentir les choses hors de moi, et je suis pris d'une infinie tristesse, celle de ne pas pouvoir atteindre ce que je voudrais. Puis j'essaie de m'en approcher, et plus je m'en approche au fil des notes, plus je me sens en paix"..."jouer, c'est comme faire l'amour". (NDLR : Propos de Ravi Shankar tirés du Monde du 13/12/2012 )
En tout domaine, cette fragile excellence est extrêmement précieuse par les temps qui courent. Elle doit être protégée, chérie, même, car c'est par elle que nous pouvons nous sortir de notre marasme et enfin jouir du merveilleux de notre vie.
Une fragile excellence que Ravi Shankar avait bien su chérir, lui qui l'avait reçue de son Maître Ustad Allauddin Khan, un homme étonnant dont les quelques disciples sont devenus les plus grands de leur génération en Inde, chacun sur son instrument.
J'ai eu le privilège et l'honneur de rencontrer Raviji à plusieurs reprises. D'abord chez mes parents à Calcutta grâce à mon oncle, Pandit Radhika Mohan Maitra, le célébre joueur de Sarod. Mon oncle et Raviji appartenaient à la même Gharana (tradition musicale) qui s'appelle Senya Gharana et avaient le même Maitre, Ustad Allauddin Khan.
Puis dans les années 80, je l'ai rencontré et accompagné à Paris et à Amsterdam. J'ai pu écouter attentivement ses conseils concernant l'accompagnement.
Tous les deux, nous sommes nés un 7 Avril et cela nous faisait sourire.
Je me souviens de ce qu'il a dit aprés un concert à Amsterdam à propos de moi : "Il doit suivre et cultiver sa différence! C'est cela sa force!"
Ces mots m'accompagnent toujours...
Malgré ce moment de tristesse et de chagrin, qui nous afflige, le temps est aussi venu pour nous de remercier et d'être reconnaissant d'avoir eu ce musicien et être exceptionnel parmi nous.
Son esprit et son héritage vivront pour toujours dans nos coeurs et dans le monde de la musique.