Laguitare.com cherche un repreneur pour faire revivre le site autour de son contenu dédié à la lutherie et à la guitare haut de gamme. Pour plus d'infos, contacter Jean-Michel Langé par email : jml (arobase) guitariste.com
Habituellement, c'est à Montréal pendant le salon de la guitare que je découvre des instruments de luthiers étrangers
chaque année début juillet. Le reste de mon temps est consacré aux luthiers artisans français et à leur travail que je suis maintenant depuis plus de dix ans et que j'essaye de vous faire découvrir dans les pages de laguitare.com.
Il ne s'agit pas ici d'un banc d'essai mais de la présentation d'une guitare qui, comme vous l'entendrez dans la première vidéo ci-dessous mérite bien que l'on s'arrête quelques instants pour en présenter les caractéristiques et en développer certaines très intéressantes ici.
Le luthier.
L'histoire de David J. Pace est semblable à celle de beaucoup de luthiers que je connais. Guitariste depuis l'âge de 14 ans et n'ayant pas les moyens de s'acheter une guitare de luthier, il décide alors d'en construire une de manière autodidacte. Après un voyage en Espagne où il prend conscience d'une nouvelle passion, il apprendra beaucoup aux côtés du luthier américain Ross Gutmeler.
C'est à Baltimore aux Etats-unis qu'il installe alors son atelier pour se concentrer sur son modèle de concert qu'il propose en plusieurs déclinaisons.
Lors du précédent festival de guitare de Paris (festival dédié à la guitare classique et uniquement, dommage) il répond à l'invitation de Tania Chagnot (concertiste et responsable du festival) pour y exposer son oeuvre. Depuis, son modèle a séduit. Un banc d'essai est disponible dans la revue "Guitare Classique" rédigé par Philippe Spinosi et Jean-Baptiste Casteluccia a décidé de représenter ses guitares en France dans sa boutique rue de Constantinople dans le 8ème à Paris.
Guitare de concert David J. Pace
Le modèle présenté est déjà de toute beauté avec une table en cèdre assez claire pourvue de fils très serrés.
Le dos et les éclisses sont réalisés en ébène de Macassar. Quand on connaît la difficulté de travailler cette essence, on n'ose imaginer ce que le pliage des éclisses a dû représenter comme effort et d'attention. Le résultat est ici sublime et digne du plus figuré des palissandres de Rio.
Le manche quant à lui est un traditionnel Cedro du Honduras avec une touche en ébène.
Si jusqu'ici tout semble traditionnel, comme le diapason de 650 mm, l'ouie sur table et le chevalet tout à fait classique, il faut rentrer au coeur de l'instrument pour y découvrir des choses pas si traditionnelles.
La première et non négligeable est la structure de la table, un sandwich de deux pièces de cédre avec, au milieu, un matériau ultra-léger recouvert de Kevlar. David J. Pace s'est inspiré de cette technologie qu'il a connue à travers le travail du luthier allemand Matthias Dammann à la fin des années 1980. Cette technique s'est démocratisée que ce soit dans la guitare classique ou folk mais aussi dans le violon et le piano avec des résultats très probants mais quil est nécessaire de développer un peu plus.
La table d'harmonie.
Il n'est plus utile de vous rappeler que la table d'harmonie réceptionne les vibrations de la corde et rayonne ainsi dans l'air de par sa large surface concentrée sur sa partie vibrante (voir schéma sur cette page).
Les fonctions mécaniques de cette table doivent répondre à des critères précis. Le choix de l'essence est déjà primordial et c'est pour cette raison que les bois utilisés sont nommés "bois de résonance". Ils doivent offrir
une forte rigidité longitudinale pour une très faible densité, et de faibles facteurs d'atténuation de bruit et des vibrations (phénomène viscoélastique).
Si l'épicéa et le cèdre sont les bois les plus utilisés pour la table d'harmonie de part leurs fonctions
acoustiques et mécaniques, il faut se rendre à l'évidence qu'ils n'offrent pas la structure optimale pour en favoriser les mouvements. Car la table vit et bouge suite aux vibrations qu'elle réceptionne. Si on ne peut le voir à l'oeil nu, il faut se l'imaginer effectuant un mouvement de haut en bas.
"Les mouvements de la table d'harmonie d'une guitare sont décomposés sur ses modes élémentaires de vibrations. Il en existe une infinité. Ci-dessus les cinq premiers modes calculés par notre modèle. La couleur verte indique le niveau de la surface médiane, le rouge une surélévation (bosse) et le bleu un abaissement (creux). "
Il suffit d'un peu d'imagination pour visualiser les bosses et les creux représentés ici par les couleurs bleues et rouges.
Une table d'harmonie en composite.
En général, une table en composite est un ensemble en trois parties : une première feuille de bois de résonance, un matériau généralement en forme de nid d'abeilles
et une autre feuille de bois de résonance. Il faut s'imaginer cet ensemble comme un sandwich.
Comment va se comporter cette table composite pendant les mouvements vus ci-dessus ?
Quand la table descend et provoque un creux, la base de l'alvéole va s'écarter, s'élargir, tandis que le haut de celle-ci va se resserrer. Le principe opposé va s'appliquer quand la table provoque une bosse.
Cela va donc créer un phénomène dynamique qui se vulgarise de la façon suivante : " quand l'alvéole s'ouvre, elle tend à se refermer et inversement". Cette réaction stimule très fortement les mouvements de la table d'harmonie générés par la vibration de la corde.
L'autre implication non négligeable de ce type de structure s'inscrit dans le vieillissement de la table.
La table d'harmonie d'une guitare (contrairement à celle d'un violon) est activement sollicitée et va subir pendant les années où elle sera jouée une altération qui va progressivement briser les fibres du bois et donc ses fonctions mécaniques. Vous obtiendrez donc une guitare avec de moins en moins de dynamique, de mordant, d'attaque pour finir par avoir un instrument qui sonnera comme "du carton".
Mon hypothèse (et celle ci n'engage que moi) est que sur une structure en composite les fibres ne sont pas altérées comme si la table était nue puisque l'âme centrale de la table représentée par le nid d'abeilles va faciliter les mouvements de celle-ci et absorber en quelque sorte les vibrations.
Compte tenu des avantages d'une table composite on comprend mieux la forte dynamique de cette guitare avec un spectre général très puissant et qui lui procure un "gros" son.
Rigidifier la caisse.
La deuxième particularité intéressante du modèle de David J. Pace est sa volonté de rigidifier la caisse par ces contreforts d'éclisses (voir photo ci-contre).
Si la table d'harmonie doit être libre d'effectuer ses mouvements, il est indipsensable que tout le reste de la caisse
soit le plus rigide possible et le moins mobile afin qu'éclisses et dos ne puissent se mettre en vibration, sinon ils absorberont une partie de l'énergie qui doit être consacrée à la table.
Afin d'augmenter la rigidité des parois internes des éclisses, David J. Pace colle deux barres en forme de V. (Voir photo ci-contre tirée de la 2ème vidéo ci-dessous).
Je ne sais pas si ce système permet comme le dit David dans la 2ème vidéo
de prolonger la longévité de l'instrument et d'éviter la déflection dans le temps mais cela mérite d'approfondir la question.
Un grand merci à Gérard et à Jean-Baptiste. Bravo et merci à Valérie pour cette magnifique interprétation de la valse en la mineur KK IV n°11 de Frédéric Chopin.
Descriptif du modèle concert de David J. Pace
Table en cèdre;
Fond et éclisse en ébène de Macassar;
Manche en cédro du Honduras;
Vernis au tampon;
Diapason de 650 mm
Prix : 6 000 euros environ