On parle souvent, et c'est normal, du travail de fabrication du luthier mais rarement de celui de la réparation. Pourtant pour certains luthiers, c'est un élément essentiel du chiffre d'affaire mais pas seulement. La réparation est une étape indispensable dans la carrière d'un luthier et il est souvent de l'ordre du miracle de voir des guitares renaître d'un terrible accident.
Dans le cas que je vous présente, c'est une Martin D28 de 1974 appartenant à Christian Laborde dont la table s'est déformée et a rendu toute pratique impossible. L'opération classique pour ce genre d'accident est un "reset neck" qui consiste, en désolidarisant le manche de la caisse, à retrouver un angle manche/caisse correct.
Jusque là, rien de bien méchant mais vous connaissez les artistes ! Dès qu'ils rentrent dans un atelier de lutherie, toutes les idées les plus folles leur viennent en tête, croyant, à tort ou à raison, qu'un luthier est une sorte de magicien. Parfois, c'est le contraire. C'est le luthier qui est plus fou que l'artiste !
Dans le cas présent, l'artiste, Christian donc, eut l'idée très raisonnable de profiter du reset neck pour changer le manche afin de le remplacer par un autre plus large. Eh oui ! les finger-stylistes préfèrent les manches plus larges.
Le luthier, Franck Cheval, a pris le souhait de Christian en considération mais lui a proposé, après quelques jours de réflexion, une idée qui allait stupéfier l'artiste : garder le même manche en l'élargissant !
Il n'est plus nécessaire de faire l'éloge des talents de Franck Cheval et on comprend aisément que remplacer un manche d'origine d'une guitare de légende comme la D28 est pour un luthier une chose inconcevable pour peu que ce manche soit encore en bonne santé.
Bref, je vais arrêter de blablater et je vous invite à visionner la vidéo sur laquelle Chrisitan explique, lors du dernier festival à Issoudun, avec passion cette aventure. Je vous conseille de regarder la vidéo avant de lire toute la partie technique rédiger ci-dessous par Franck !!
Jacques Carbonneaux - le 12 mars 2009
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La demande de Christian était d’augmenter à partir du sillet la largeur du manche de 3mm.
Pour cela il a fallu enlever les barrettes, prendre un peu sur soi en commencant par affiner la touche et poncer suffisamment les bords pour obtenir une surface de collage indispensable à la greffe. Le manche dans cet état là était plus proche de 38/39mm que les 46mm souhaités.
Puis, suivi le collage des greffes constituées d’un morceau d’acajou et d’ébène de chaque côté de la touche.
Partant du sillet, les pièces de bois furent affinées en biseau jusqu’à 0 vers la caisse. Le manche typique des Martin étant légèrement en V, le raclage du profil fuyant vers l’axe sous la touche réduisît au maximum la partie acajou.
En façade, ébène contre ébène permis un collage invisible. L’absence de filet facilita aussi l’opération.
Le raccord vers la tête était un peu délicat mais le sillet en os partant en trapèze à l’arrière, le nouveau sillet s’adapta à cette nouvelle largeur sans que j’eus besoin d’élargir le placage en palissandre.
Après planife de la touche, il ne resta plus qu’à refaire le frettage et revernir entièrement le manche. La couleur cigare classique du modèle cacha également la ligne de collage de l’acajou.
Dans l’ensemble, le résultat de l’intervention fut discret et Christian me confirma d’être ainsi plus à l’aise dans sa technique de main gauche.
Franck Cheval - le 12 mars 2009
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