LUTHERIE - Interview de Vidal de Teresa Paredes - MADINTER |
REDACTEUR : JACQUES CARBONNEAUX |
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Nouvelle réglementation sur l'utilisation des bois tropicaux, nouvel avenir pour les fabricants d'instruments
C'est la panique à bord du navire de la facture instrumentale depuis le mois d'octobre avec l'inscription en annexe II de la CITES de tous les palissandres (Dalbergia), Bubinga, Kevazingo, Bois de rose d'Afrique mais les choses se précisent, les questions trouvent leurs réponses et les associations se mobilisent pour obtenir toutes les informations liées à cette nouvelle réglementation qui sera appliquée le 02 janvier 2017 (date confirmée).
Les membres de la CSFI, de l'APLG, du GLAAF et de l'ALADFI mais aussi des luthiers, fabricants industriels, fournisseurs de bois et d'accessoires de lutherie se sont tous réunis autour de la table du Ministère de l'environnement le 16 novembre pour obtenir des réponses aux nombreuses questions que beaucoup de fabricants d'instruments de musique se posent. A noter la présence du ministère de la Culture et de l'économie.
Un compte rendu très précis sera prochainement disponsible sur LaGuitare.com mais aussi sur le site de APLG
et de la CSFI.
Lire l'article "comment déclarer son stock de bois CITES"
En attendant, j'ai souhaité réaliser une interview d'un acteur que tous les luthiers connaissent, puisqu'il s'agit de Vidal de Teresa Paredes de chez Madinter (fournisseur de bois) qui joue un rôle très actif dans des projets de gestion durable de l'exploitation des forêts de bois tropicaux. Il était également présent à la réunion du 16 novembre.
A propos de Madinter
Madinter, fondée en 2001, est une société espagnole basée à Cerceda, Madrid, qui se spécialise dans la fourniture de bois pour la fabrication d'instruments de musique. La musique est le meilleur écho à leur activité : des violons, des guitares et d'autres instruments à cordes ne pouvaient pas avoir été réalisés sans les possibilités offertes par les variétés de bois que propose Madinter. La valeur de ses produits est le résultat d'une volonté de maximiser l'efficacité de la fabrication et du traitement approprié du bois.
Jacques Carbonneaux - le 08 novembre
2016 - Le site de Madinter
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1 - Quelle est la part, en pourcentage, qu'occupe la facture instrumentale, par rapport à l'ensemble des secteurs d'activités, dans l'utilisation du bois comme matériau ?
Vidal de Teresa Paredes : Il est très difficile de donner des chiffres précis et concrets sur la quantité de bois consommé par l'industrie de la musique car nous ne disposons pas de données statistiques pour notre pays à l'heure actuelle.
En terme absolu, je ne pense pas que nous atteignons 1% du commerce total des produits issus de bois. Néanmoins en terme relatif nous pouvons parler d'une consommation plus élevée. Je fais référence au commerce de bois d'utilisation très exclusive au sein de notre industrie, comme l'ébène, le palissandre indien, l'érable... cependant nous ne disposons pas de données disponibles à ce sujet.
Nous connaitrons avec plus d'exactitude la quantité de bois de ce type consommé ainsi que son utilisation à l'échelle mondiale avec son incorporation en CITES II.
Bien que sa consommation soit moins élevée en comparaison à d'autres secteurs, notre activité bénéficie d'une grande répercussion dans les médias de par son lien avec la musique. De ce fait, nous disposons d'une grande répercussion et visibilité. Ainsi, nous nous devons d'être des entreprises modèles dans la gestion et commercialisation des ressources naturelles, de promouvoir la certification forestière mais aussi l'application et la constitution de lois en faveur de la protection de nos forêts et ressources naturelles.
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2 - Quelles sont les conséquences concrètes sur le marché des instruments si à la suite de la Cop 17 il est adopté que le produit fini soit intégré en Annexe II ?
Les parties CITES ont ajouté l'ensemble du genre Dalbergia à l'annexe II CITES, à l'exception des feuilles, fleurs, pollen, fruits et semences. Ceci implique donc que tout instrument musical qui contient ne serait-ce qu'une quantité minime de palissandre indien, par exemple, aura besoin d'un permis pour leurs exportations et importations.
Nous sommes définitivement en faveur du contrôle des espèces menacées d'extinction et nous soutenons fortement toutes mesures mises en œuvre dans ce sens.
Cependant, l'appendice II inclus les espèces dans le but de contrôler leur commerce mais aussi d'éviter une utilisation incompatible avec leur survie, et nous avons la sensation qu'il serait suffisant de contrôler les mouvements des grumes, bois sciés et placages, comme cela était déjà le cas avec le Cocobolo, le palissandre d'Honduras et l'Acajou américain.
En tant qu'exportateurs et importateurs de bois nous sommes familiarisés avec la gestion des espèces listées en CITES, mais maintenant les luthiers du monde entier désirant exporter ou importer un instrument vont devoir commencer à solliciter des permis, ce qui demande une connaissance, ainsi qu'un investissement de temps et bien évidement financier.
Un autre élément à prendre en considération est la quantité de travail que ceci va générer pour les autorités CITES, et en toute honnêteté, je ne sais pas si ces dernières ont connaissance du grand nombre d'instruments musicaux contenant du palissandre exportés quotidiennement, et que chacun d'entre eux va désormais requérir un permis de réexportation ou d'importation. Nous devons être reconnaissants de l'ajout du genre Dalbergia à la convention CITES car il va permettre la réduction d'extraction de bois illégal, néanmoins en incluant les produits finis, je redoute que tous les membres du secteur ne souffrent des délais plus importants, autant pour la sortie des matières premières du pays d'origine que pour la vente d'instruments.
La bonne nouvelle est qu'il existe une autre exception. En effet, un permis ne sera pas nécessaire pour l'exportation de type non commerciale de 10 kilos maximum. Cette disposition a été prise afin de permettre aux instruments de musique et produits artisanaux d'être transportés, tant qu'ils ne sont pas issus d'une transaction commerciale.
Ainsi, un musicien voyageant avec sa guitare n'aura pas besoin de permis.
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Chez Madinter, nous offrons notre aide aux clients concernant les questions sur la convention CITES et l'obtention des permis, même s'il s'agit de bois qui n'a pas été acquis via notre intermédiaire, et nous continuerons d'autant plus à partir de maintenant. Les guitares en Palissandre pourront toujours être fabriquées et vendues, avec une exigence administrative supplémentaire. Et pour ceux ne souhaitant pas passer par la gestion de permis CITES, d'autres alternatives devront être envisagées.
3 - Quand on parle de planter un arbre pour un arbre abattu, est-ce que cela suffit comme projet de reboisement de certaines forêts ?
Une bonne gestion des forêts en général n'est pas forcement synonyme de replantation systématique.
En d'autres termes, une forêt gérée de manière durable se régénèrera de manière naturelle. Pour cela, le respect d'une série de mesures de gestion connues parfaitement par les ingénieurs forestiers est fondamentale, comme par exemple la conservation des arbres reproducteurs, dans le but de faciliter la dissémination de graines, les normes de diamètre minimum, le non abattage en zones limitrophes avec les rivières et ruisseaux...
Avec une gestion durable, l'objectif est que la forêt puisse régénérer de manière naturelle le même volume (ou plus) de bois extrait annuellement. Le meilleur ami de la forêt est l'activité forestière durable et responsable. N'oublions pas qu'il existe d'autres menaces pour les forêts tels que l'augmentation des terres pour l'agriculture ou l'élevage d'animaux, l'activité minière ou encore l'étalement urbain.
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4 - Existe-t-il des projets de replantation et comment les fabricants d'instruments et les associations peuvent-ils s'y investir activement ?
Nous pouvons heureusement dire qu'ils existent et se répandent de plus en plus. Au Brésil, il existe des plans de replantation pour le Pernambuco qui est utilisé pour la fabrication des archers de violons, en Amérique centrale l'acajou est cultivé pour les manches de guitare acoustique ainsi que les corps de guitare électrique. A Hawaï, Taylor Guitars mène un projet agroforestier pour la culture du Koa.
Dans notre scierie au Cameroun, nous avons un vivier et un projet agro-forestier ambitieux avec lequel nous espérons l'obtention de plus de 15.000 plants d'ébène que nous allons réintroduire dans les forêts avec l'aide de communautés locales. Pour ce projet, 800.000 dollars vont être investis dans les 2 prochaines années. Ce dernier est piloté par l'université UCLA (California) et le CIB (Congo Bassin Institute).
Notre objectif est d'obtenir un commerce responsable de l'ébène. Plusieurs années durant, nous avons appris à couper les arbres et à en faire des instruments de musique, il est maintenant temps d'apprendre à les cultiver et nous impliquer dans la conservation de ces espèces si nobles.
Ces projets son relativement récents et vont avoir besoin quand ils seront plus matures de l'aide et de la participation active du secteur et des musiciens afin de les étendre et les améliorer. |
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5 - Les bois de substitution aux essences tropicales sont nombreux que pensez-vous du projet Leonardo Guitar research et des luthiers qui tentent de proposer des instruments avec des bois non tropicaux ?
Ce projet est très intéressant et nous avons travaillé en collaboration avec eux car nous sommes également fournisseur de bois non tropicaux mais aussi d'un bois technologiquement modifié dont les propriétés et l'apparence sont semblables à l'ébène d'Afrique ou le Palissandre Indien, le Blackwood Tek.
Il y a de nombreux bois controversés sur le marché, mais nous continuons également de travailler avec les bois tropicaux car nous considérons que la solution aux problèmes de ces espèces ne consiste pas seulement à la recherche de nouvelles alternatives.
Dans les pays d'origines des bois tropicaux, la survie des communautés dépend du commerce du bois, et si les entreprises qui acquièrent légalement partent, elles pourraient être remplacées par d'autres dont le respect de la légalité n'est pas la priorité. Par exemple, l'ébène de Madinter. Le projet Crelicam a établi un commerce solide au Cameroun en exportant l'ébène de manière légale et responsable, créant ainsi un nouveau standard dans un secteur qui a pour priorité des prix bas au détriment du respect des lois locales, de la protection de l'environnement et l'amélioration de la qualité de vie de ses employés. L'ébène est un bois unique, tant par sa couleur que par dureté et stabilité. C'est l'un des composants essentiels des instruments de musique tel que la guitare, violon, violoncelle et piano.
Nous sommes par-dessus tout chanceux de travailler dans notre secteur car l'industrie musicale est notre plus grand
allié dans la lutte pour le commerce durable et responsable de ces bois tropicaux. La musique traverse les continents, est entendue par le monde entier ; et va au- delà des divisions culturelles, religieuses et sociales.
Interview de Vidal de Teresa Paredes
réalisée par mail le 05 novembre 2016
Jacques Carbonneaux - le 08 novembre
2016 - Le site de Madinter |
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