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JACOBACCI , LUTHIERS
A PARIS. LA SAGA !
Roger Jacobacci, retraité heureux, raconte...
(interview exclusive par Jean-Louis
Biogeaud)
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Fontenay
le Comte est une agréable sous préfecture à quelques
encablures de l'océan, du Puy du Fou et de la Rochelle ; c'est
ici que me reçoit Roger Jacobacci, luthier phare des années
60 à 90, qui s'est installé là, loin de Paris,
après avoir fermé son légendaire atelier. |
Roger Jacobacci
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Jean-Louis
Biogeaud : Bonjour Roger, merci de recevoir Laguitare.com
; à propos, pourquoi avoir choisi Fontenay ?
Roger Jacobacci : parce que j'ai ici beaucoup de souvenirs,
des souvenirs d'enfance car nous venions ici en famille pour les
vacances quand j'étais gosse, nous étions dix enfants
; nous y participions aux activités de la ferme d'a coté
et j'adorais ça. Quand la guerre est arrivée, mes
parents ont décidé de nous mettre quelque temps au
vert et nous sommes venus habiter la ferme pendant que mes parents
restaient à Paris pour travailler. A cette époque,
d'ailleurs, je voulais devenir fermier, j'aimais beaucoup ma vie
ici . Malheureusement, quand j'ai eu treize ans et demi, mon père
est venu me chercher pour que je travaille avec lui à l'atelier
de Lutherie, et ça a été très difficile
pour moi les premiers temps.
JLB : comment votre père,
sicilien pure souche est il arrivé à Paris ?
RJ :Quasiment par la force des choses ; dans les années
20, en Italie, le fascisme était déjà bien
présent ; mon père fabriquait déjà des
guitares la bas. Il avait aussi des activités anti fascistes
qui finirent par lui poser quelques problèmes ; Il décida
donc de quitter (momentanément pensait il) l'Italie et vint
s'installer à Paris en 1920. La, il s'installa dans le 12eme,
(rue de Montreuil) et commença à fabriquer des guitares
avec succès. Il fit donc venir quelques copains de Sicile
pour faire face à la demande croissante. En 1929, il s'installa
rue Duris, dans le 20eme, dans un atelier plus grand. A cette époque,
la mode des musiciens de rue, et le besoin pour les guitaristes
de se faire mieux entendre à rendu le banjo très populaire.
Mon père fabriqua donc des banjos. En 1931, il avait trois
ateliers, dont un à Bruxelles, en association avec un collègue,
et fabriquait lui même ses pièces et cerclages de banjo.
Avant guerre, l'atelier Jacobacci fabriquait dix mille instruments
par an. Il fournissait en guitares et banjos, mais aussi mandolines,
les rayons musique des grands magasins comme la Samaritaine, ou
le Bazar de l'Hôtel de Ville entre autres ; il livrait aussi
l'Algérie, le Benelux avec deux grossistes, et toute l'Afrique
des protectorats Français. L'atelier comptait alors douze
compagnons. Durant la guerre (39-45 ndlr), la demande a considérablement
baissé et l'atelier est passé de douze à trois
compagnons ; c'est en 43 que mon père m'a embauché
pour pallier au manque de main d'uvre disponible.
JLB
: vos frères ont-ils travaillé aussi dans l'entreprise
?
RJ : la plupart de mes frères travaillaient dans l'hôtellerie
à Paris ou à l'étranger ; seul, André
est venu nous rejoindre plus tard. Pour lui aussi ça a été
difficile car il ne connaissait rien au métier en arrivant
.
JLB : l'après guerre a du être faste comme pour
beaucoup d'entreprises ?
RJ : nous avons eu pas mal de travail c'est vrai, ce qui
ne signifiait pas toujours que nous gagnions de l'argent. Nous fabriquions
à cette époque des guitares et des banjos mais plus
de mandolines ; je me souviens d'ailleurs que mon père avait
fait brûler tous les gabarits pendant la guerre.. pour nous
chauffer. Dans les années 50 et début 60, nous avons
eu 12 ans de collaboration intense avec Major Cone, un grossiste
de l'époque ; mais nous n'y gagnions que peu notre vie. Par
exemple, la guitare Ohio (la première guitare de Johnny Hallyday
ndlr) : nous la vendions à Major Cone 106 francs de l'époque
et eux la vendaient au prix public de 540 francs. Nos guitares de
l'époque s'appelaient Royal, Ohio, Superdeluxe et Star. Ces
séries sont cotées plusieurs milliers d'euros aujour
d'hui selon leur état. Nous en avons vendu à pas mal
d'artistes comme par exemple les Chats Sauvages ou les Chaussettes
Noires.
Nous avons fini par nous dire que ce que nous voulions vraiment,
c'était fabriquer moins, mais des guitares de haut standard,
plus chères, et avec de meilleures marges, soit non plus
50 guitares par mois mais 20 . c'est exactement ce que nous avons
fait. Raymond Gimenez, du Guitars Unlimited nous a fait réaliser
un modèle jazz spécifique, entre la L5 Gibson et la
super 400. Ce modèle fut naturellement baptisé Gimenez.
Et nous en avons vendu pas mal.Il faut savoir qu'a cette période,
il n'y avait pas encore d'importateur Gibson en France. Nous fabriquions
donc des modeles approchants mais avec nos spécificités.
JLB
: Les clients pouvaient en plus demander des options.. ..
RJ : tout à fait, le client pouvait choisir sa touche,
ébène ou palissandre, ses micros, ce qui n'était
pas courant à l'époque. Nous avions les modèles
signature, la Gimenez, puis la Sacha Distel , la R2 sorte de 335,
les studio 2 et 3.Nous avons gagné la clientèle de
beaucoup des " requins " du métier de l'époque
et beaucoup nous rendaient régulièrement visite ou
commandaient des modèles spécifiques. Nous utilisions
beaucoup les micros Bénedetti qui avaient, et ont toujours
d ailleurs un rendement extraordinaire.
JLB
: vous fabriquiez des basses aussi
RJ : c'est venu plus tard, mais oui, des musiciens nous ont
demandé des instruments, puis sont devenus des clients réguliers
; parmi les plus connus, il y avait Bernard Paganotti, Tony Bonfils
ou Jannik Top. Nous avons conçu pas mal de modèles
differents.
JLB : comment êtes vous arrivés rue Delaitre ?
RJ : en 1982, la ville de Paris, propriétaire des
locaux que nous occupions rue Duris, à voulu récupérer
notre atelier pour démolir le bâtiment et construire
du neuf. Nous avons donc été expropriés avec
le quart du dédommagement qui avait été estimé
pour notre commerce ;Nous avons trouvé le local de la rue
Delaitre que nous avons occupé jusqu'à ce que la mairie
de Paris, également propriétaire du bâtiment,
ne nous mettre à nouveau dehors pour démolir. C'était
en 94, je me souviens que j'ai remis les clefs alors que les maçons
attendaient devant l'immeuble pour murer portes et fenêtres.
C'est à l'occasion de cette nouvelle expulsion que j'ai décidé
d'arrêter l'activité. J'avais suffisamment cotisé.
Mon père m'avait toujours déclaré depuis l'age
de quinze ans, alors j'ai dit basta.
JLB : mais heureusement, il se fabrique
encore des instruments Jacobacci aujourd'hui
RJ : en effet, c'est par le fruit d'un accord avec Camac
et en collaboration avec Lag que le projet a vu le jour. Actuellement,
deux basses sont produites en France et je peux déjà
vous dire que, les guitares vont elles aussi arriver .
JLB : retrouverons nous la Texas, la Studio 2, la Royal ou la
Ohio ?
RJ : vous découvrirez ça bientôt, je
ne peux pas en dire plus pour l'instant mais, oui, il y a de la
surprise dans l'air.
JLB : comment dater les guitares Jacobacci ?
RJ : c'est très simple, avant 79 les numéros
sont sur l'autocollant dans la caisse et sont :nombre d'instruments
produits, mois année. Après 79, c'est gravé
en plus sur le haut de la tête et ça devient année,
mois, et nombre d'instruments produits.
JLB : qu aimeriez vous dire à tous ceux qui vous ont suivi,
vos clients ?
RJ : j espère avoir fait honneur au métier
de Luthier. J'ai essayé d'être disponible ; j'espère
avoir bien servi et dépanné mes clients et amis .
Quand je vois le nombre de témoignages d'amitié que
je reçois, je me dis que je n'ai pas si mal réussi.
Un ange passe dans la pièce, chargé d'émotion.
Il est vrai que Roger ne parle que peu de sa vie à lui, par
discrétion sûrement. Il oublie beaucoup de choses comme,
par exemple, ses voyages à Madagascar et ailleurs pour encourager
à la protection des forets primaires détruites par
l'agriculture forcenée.
JLB : un hommage à rendre peut être ?
RJ : oui, à Léo Fender qui a su trouver des
solutions et produire des instruments de qualité qu'il voulait
bon marché et donc accessibles au plus grand nombre.
Jean-Louis Biogeaud
A visiter, le site d'un collectionneur
passionné de guitares Jacobacci, beaucoup de photos et d'indications
: www.jpbourgeois.org/guitar/photos.htm
. A voir également, le musée de la musique populaire
de Montluçon qui possède une quinzaine de modèles
dont certains rares.
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