La mort lente et secrète de la six cordes électrique. Et pourquoi vous devriez vous en soucier |
REDACTEUR : JACQUES CARBONNEAUX |
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Why my guitar gently weeps
The slow, secret death of the six-string electric. And why you should care.
(La mort lente et secrète de la six cordes électrique. Et pourquoi vous devriez vous en soucier)
Extraits de l'article paru le 22 juin du Washington Post
Avant propos
Même si la guitare dans son ensemble reste à ce jour l'instrument de musique le plus vendu et le plus pratiqué au monde, elle connait depuis plusieurs années une crise sans précédent qui se ressent plus particulièrement dans la guitare électrique.
La nouvelle réglementation CITES (voir article) du début janvier 2017 a accéléré le phénomène comme l'indique "Music Trades " en mai dernier sur les importations US : " La nouvelle réglementation CITES pour toutes les espèces de palissandre ont eu une incidence sur les importations de guitares acoustiques et électriques au cours du premier trimestre de 2017. Pour la période de trois mois se terminant le 31 mars, les importations totales de toutes les guitares acoustiques ont chuté de 14,1%. Les guitares à prix plus élevé (vente au détail de plus de 299 $) ont diminué de 25,4% tandis que les modèles moins chers ont diminué de 8,9%. Les guitares électriques ont subi une baisse similaire au cours de la période, tombant de 24,5% à 205,922 unités contre 273 007 en 2016. Les importations de ukuleles ont progressé de 7,7% à 268 152 unités, ce qui aurait dû être considérablement plus élevé si les distributeurs n'avaient pas eu de retards d'expédition."
Le cas particulier de la guitare électrique
Comment expliquer qu'en 2015 aux Etats-Unis, il s'est vendu plus de ukuleles (1 197 000) que de guitares électriques (1 005 000) ? Effet de mode ou changement structurel du marché des instruments de musique ?
L'article de Geoff Edgers paru le 22 juin 2017 dans le Washington Post tente d'apporter certains éléments de réponse sur la chute des ventes et donc de la pratique de la guitare électrique. En voici quelques passages clés :
George Gruhn, reconnu mondialement comme un expert en guitares anciennes et mandolines avec plus de 50 ans d'expérience de l'instrument, affirme ce que l'on peut également constater en France avec les luthiers artisans :
"Il y a plus de fabricants maintenant que jamais dans l'histoire de l'instrument, mais le marché ne se développe pas"
Au cours de la dernière décennie, les ventes de guitares électriques ont chuté, passant d'environ 1,5 million vendues annuellement à un peu plus d'un million. Les deux plus grandes entreprises, Gibson et Fender, sont endettées, et une troisième, PRS Guitars, a dû réduire son personnel et développer la production de guitares moins chères. En avril, l'investisseur Moody's a déclassé Guitar Center, le plus grand détaillant des Etats-unis, alors qu'il a une dette de 1,6 milliard de dollars.
Ce qui inquiète Gruhn n'est pas simplement que les bénéfices soient en baisse. Cela se produit dans les affaires. Il est préoccupé par le «pourquoi» du déclin des ventes. Quand il a ouvert son magasin il y a 46 ans, tout le monde voulait être un dieu de la guitare, inspiré par les hommes qui parcouraient la scène, comme Eric Clapton, Jeff Beck, Jimi Hendrix, Carlos Santana et Jimmy Page. Maintenant, ces baby-boomers se retirent, sont de moins en moins nombreux et s'adaptent à la crise. Ils cherchent à revendre leurs guitares ou du moins à ne pas en ajouter à leur collection, et les jeunes générations ne prennent pas le relais.
Gruhn sait pourquoi : "Ce dont nous avons besoin, ce sont des Guitar heroes", dit-il.
La réponse de l’industrie de la guitare électrique
Richard Ash, le directeur général de Sam Ash, la plus grande chaîne de magasins de musique n'a pas peur d'indiquer clairement : "Nos clients vieillissent, et ils vont bientôt disparaître", dit-il.
Au cours des trois dernières années, le chiffre d'affaires annuel de Gibson est tombé de 2,1 milliards de dollars à 1,7 milliard de dollars, selon les données recueillies par le magazine Music Trades. L'achat en 2014 de la division audio Philips pour 135 millions de dollars a débouché sur une dette. Fender, qui a dû abandonner une offre publique en 2012, est passé de 675 millions de dollars de chiffre d'affaires à 545 millions de dollars. Il a réduit sa dette au cours des dernières années mais elle reste encore d’environ 100 millions de dollars.
Et à partir de 2010, l'industrie a connu une étape qui aurait été impensable à l’ère du metal : les modèles acoustiques ont commencé à dépasser les électriques !!
La clé, dit Andy Mooney (PDG de Fender) est d'amener les débutants à continuer la pratique de leur instrument qu'ils abandonnent souvent au delà de la première année. Dans ce but, en juillet, la société lancera un service basé sur les abonnements, qui devrait changer la façon dont les nouveaux guitaristes apprennent à jouer de la guitare, avec une série d'outils en ligne.
Quand tout va mal, les concurrents font bloc
The Music Experience, une entreprise basée en Floride, a réuni PRS, Fender, Gibson et d'autres entreprises pour mettre en place des stands dans des festivals pour que les gens puissent essayer des guitares.
(NDLR : Il est intéressant de noter qu'en France, l'APLG a initié depuis deux ans la mise en place de stands de luthiers aux festivals "Guitare en Scène" et "Catalpa" et que certains luthiers se rassemblent pour faire de même et présenter leurs guitares au Hellfest. Une nouvelle façon pour le fabricant de se rapprocher d'un large public.
Que penser de tout ça ?
Si l'offre d'instruments de musique est devenue depuis quelques années bien supérieure à la demande, il est évident que certains fabricants vont en payer le prix et le marché n'a pas d'autre choix que de s'adapter à ses propres contraintes.
Mais comme vous venez de le lire, la vie de l'instrument est liée avant tout à la musique même, à sa créativité, à sa capacité de séduire les nouvelles générations et des icônes qui la représentent et qui motivent les jeunes à s'emparer d'un instrument et à le pratiquer.
Où sont les nouveaux "Guitar Heroes" et est-ce vraiment la clé pour rebooster les ventes d'instruments ? Ne serait-il pas plus judicieux d'introduire la pratique d'un instrument (bien choisi) à l'école dès le plus jeune âge ? Quid du renouvellement de la créativité musicale et de la pratique instrumentale ? Le numérique tend-il à faire disparaitre les instruments traditionnels ? Tout un tas de questions difficiles à répondre mais qui n'empêchent pas d'agir !
En effet, des initiatives favorisant la pratique instrumentale se développent de plus en plus à l'image du Learn to Play Day qui est l'événement phare de la "Musique pour tous" au Royaume-Uni, offrant une leçon gratuite sur un instrument de musique sur des centaines de sites du territoire.
En France, la CSFI œuvre depuis des années déjà pour favoriser l'accès aux instruments de musique. Son premier chantier, la création en 1999 du projet Orchestre à l'école (OAE) devenue une association en 2008, autonome depuis 2011, a permis la création de 1190 OAE en France en 2016 et s'implique chaque année de plus en plus.
En 2017, la CSFI relance son projet Osez la Musique (voir présentation et vidéo) qui a pour objectif de favoriser le jeune public mais aussi moins jeune, à la pratique d'un instrument de musique et de pouvoir l'appréhender en quelques heures.
Un événement pilote est prévu en 2018 et des ateliers Osez la guitare et Osez le ukulele vont également être mis en place lors de différents festivals et salons de guitare en France en 2018. Projets à suivre sur le site de la CSFI et sur laGuitare.com.
Pour finir, je ne peux qu'inviter musiciens amateurs, professionnels, fabricants industriels et artisans, distributeurs et revendeurs mais aussi les conservatoires et écoles privées de musique à se fédérer autour de tout projet favorisant la pratique instrumentale et à contacter les associations qui oeuvrent en ce sens, telles la CSFI et l'APLG.
La musique est une grande famille mais elle se comporte rarement comme telle, il est grand temps qu'elle le fasse.
Lire l'article du Washington Post (en anglais)
Jacques Carbonneaux - le 24 juin 2017 - Le site de la CSFI - Le site de APLG - Le site du Washington Post
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