Mon vieux pote, mon ami, l'ami de dix mille guitaristes ou bassistes équipés d'instruments Jacobacci originaux, est parti rejoindre son frère Dédé.
Malgré mes questionnements inquisiteurs, l'incorrigible bavard sous la fameuse pancarte "soyez bref svp" n'a jamais expliqué la sonorité si particulière commune à la lutherie Jacobacci.
En effet, si on "achète" un instrument même prestigieux, on "mérite" une Jaco, qui ne se révèle réellement qu'aux dompteurs de bêtes fauves.
Mais alors, quelle révélation, comme l'atteste la foule des professionnels et vedettes supporters inconditionnels, depuis Pierre Cullaz ou Sylvain Luc, en passant par le regretté Frank Zappa.
Une petite piste pour les apprentis luthiers: le seul point commun à tous ces instruments, hormis la terrifiante habileté manuelle de Roger, reste le "truss rod" rectiligne, contrairement à la tradition qui le veut courbé, ainsi que la fameuse "frette 0" qui règle à elle seule l'ajustement du sillet de tête.
"Tu as peut-être raison, ... mais seulement peut-être" répondait Roger, simple et confiant en sa seule oreille, mais inconscient de son génie inégalé.
Un exemple parmi tant d'autres: l'exceptionnelle J5 ("Jaco 5", comme il existe une L5 pour "Lloyd Loar 5").
En 1985, sentant la retraite venir, les frères ont senti le besoin de faire une petite série "pour la gloire".
Une série très limitée d'une dizaine de guitares à été fabriquée sur un modèle de base unique et destinées à de "grands amateurs":
- guitares toutes blondes
- formes L5 "round cutaway" (non cutaway pour un exemplaire unique)
- électriques ou acoustiques, sur demande
- tables massives, pressées-sculptées
- manches touche ébène, frette 0 "spéciale", incorporée au sillet
- chevalets posés, "façon ébène" (à remplacer illico presto par un chevalet ébène)
- filets décoratifs mutiples (8 épaisseurs)
- sillets de tête doublés d'une épaisseur de laiton, faisant office de frette 0 métallique
- éclisses et fonds finition érable moucheté, comme la JJ (Jaco Jazz), chère à Pierre Cullaz
- sauf exception, dotées d'un seul micro "neck"
- dos et éclisses laminés, malgré (ou à cause de) sa décoration somptueuse et le "look" appairé des dos (toujours comme la JJ, dont elles partagent le plaquage)
- manches à talon particulier
- encastrement "spécial" des manches, qui laisse la table entièrement libre, contrairement à la Gimenez
- malheureusement, pick-guard qui se délite (à remplacer rapidement)
En fait, malgré ce qui peut être lu, la dizaine de J5 strictement identiques (mis à part la non cutaway) a été faite en une seule fois au début de l'an 1986, puis assemblée et vendue entre 1986 et 1992, avec l'équipement en micro choisi par le client.
Par exemple, la mienne m'a d'abord été livrée acoustique, avant la pose du Charlie Christian de 1938 qui a tardé à être disponible et qui la transformait de J5-CN en J5-CEN-CC, le top du top.
Hormis l'unique J5 non cutaway, qui a en outre été livrée définitivement "acoustique", elle ont toutes été siglées "J5 CN" (Cutaway, Natural)
C'est la rolls du guitariste de jazz, dont la sonorité m'étonne chaque jour.
Mai 2010 - De Jean-Pierre Bourgeois, initiateur du "Projet Jacobacci" (www.jacobacci.org).
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