LUTHERIE - 18ème Session de la conférences des parties CITES - Genève - 17 - 28 août 2018 |
REDACTEUR : JACQUES CARBONNEAUX |
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Les instruments de musique à la 18ème conférence des parties de la CITES, à Genève – 17 – 28 août 2019
Crédit Photos : IISD reporting Services
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CITES CoP 18 Chair Thomas Jemmi, Switzerland, gavels CITES CoP18 to a close. |
La communauté des instruments de musique vient tout juste d’obtenir le 28 août 2019, dans le cadre de la 18ème Conférence des Parties (CoP) de la CITES, la révision de l’annotation #15 qui accompagne la réglementation sur les palissandres (dalbergia) et les bubingas (guibourtia).
Ainsi, les instruments de musique – de même que leurs accessoires et parties - qui contiennent ces bois pourront désormais circuler sans permis CITES (à l’exception du dalbergia nigra, à l’Annexe I de la CITES).
Avant de lire ce qui suit et si vous n’êtes pas au courant des détails de ce qui vient de se décider à Genève du 17 au 28 août 2019 à la 18ème conférence des parties de la CITES, je vous invite à prendre connaissance du résumé de cette actualité sur la page dédiée à la Cop18 sur le site de la CSFI.
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Rappel de l’annotation #15 telle qu’elle a été révisée à Genève: |
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Pour le commerce de Dalbergia spp. (excepté le dalbergia nigra, palissandre de rio) et Guibourtia demeusei, Guibourtia pellegriniana & Guibourtia tessmannii, toutes les parties et tous les produits requièrent des permis CITES sauf :
a) Les feuilles, les fleurs, le pollen, les fruits et les graines;
b) Les produits finis jusqu’à un poids maximum de bois de l’espèce inscrite de 10kg par envoi ;
c) Les instruments de musique finis, les parties finies d’instruments de musique et les accessoires finis d’instruments de musique;
d) Les parties et produits de Dalbergia cochinchinensis couverts par l’annotation #4;
e) Les parties et produits de Dalbergia spp. Provenant du Mexique et exportés par le Mexique, qui sont couverts par l’annotation #6
IMPORTANT : Conformément aux règles de la CITES, cette nouvelle décision entrera en application partout dans le monde dans 90 jours à partir du 28 août 2019. Dans l'UE, il faudra prévoir un délai supplémentaire pour que le texte soit mis en forme dans le règlement de l'UE. (La date officielle sera publiée sur le site de la CSFI).
Une décision qui a fait l’unanimité au sein de la CITES
La révision de l’annotation #15 n’a pas été votée mais a été obtenue par consensus, que ce soit en groupe de travail, en comité ou en session plénière, et parmi les 2200 personnes représentants les délégations et ONG de 170 pays présents à Genève le mois dernier, aucun d’entre eux n’a refusé le fait d’exempter les instruments de musique. Pourquoi ?
Les règles de la CITES - si elles sont compliquées à mettre en œuvre - répondent à une logique et à des critères précis. Après 3 ans de travail intersession (période entre deux Cop) et après des études réalisées par la CITES, tous sont arrivés au constat que « la réglementation des instruments de musique conférait une faible valeur de conservation des espèces tout en alourdissant considérablement les charges liées aux permis et à la conformité ».
En d’autres termes, l’utilisation de palissandre et de bubinga par le secteur des instruments de musique est infime comparée aux autres secteurs comme celui du meuble (par exemple) ; et les permis imposés depuis 2017 ont surchargé inutilement les organes de gestion CITES et les douanes avec un impact nul sur la préservation des espèces.
Si le commerce d’instruments de musique remettait en question d’une façon ou d’une autre la préservation des espèces de palissandre et bubinga, on aurait vu au moins une des nombreuses ONG environnementalistes présentes à la Cop18 se manifester pour faire entendre leur désaccord.
Les points qui ont pu faire débat avec les ONG et parties et qui ont donné lieu à la création de groupes de travail depuis 3 ans - depuis la CoP qui s’est tenue à Johannesbourg en octobre 2016 - sont la nécessité aux yeux de certains de définir précisément certains termes comme celui d’instrument de musique et le fait qu’une exemption de produits finis pouvait donner lieu à des loophole (contournement illégal des règles CITES).
Après des mois de travail intense en comité CITES et en France en collaboration avec l’organe de gestion CITES (qui dépend du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire) notre équipe a trouvé les termes, les outils (codes douaniers) et les définitions permettant de rendre réalisable l’adoption de l’alinéa c de l’annotation#15 révisée. Le seul point délicat qui a été discuté en groupe de travail à la Cop18 ne concernait pas les instruments de musique mais les petits objets provenant de l’artisanat (alinéa b) pour lesquels des pays comme le Kenya - soutenu par l’UE – souhaitaient une exemption.
Notre responsabilité envers l’environnement est engagée
Extrait du communiqué de presse CSFI rédigé le 28 août par Fanny Reyre-Ménard, luthière violon, vice-présidente de la CSFI et chef d’orchestre de notre équipe CSFI/CAFIM :
« Néanmoins, cette décision ne dédouane en aucune manière le monde des instruments de musique de sa responsabilité en matière de conservation des espèces.
Fabricants, fournisseurs, importateurs, distributeurs, réparateurs, musiciens, orchestres et ensembles, nous devons tous nous assurer que les bois que nous utilisons ont été exploités de manière durable et négociés en toute légalité du début jusqu’à la fin de la chaîne. Nous devons aussi nous engager toujours plus dans des programmes de conservation, de lutte contre la déforestation, de soutien à la replantation et de développement dans les zones de production. Notre communauté est déjà engagée dans ces actions qu’elle doit poursuivre et accentuer.
Les décisions de la CITES ne sont jamais définitives. Dans trois ans, de nouveaux votes interviendront lors de la CoP19 et nous serons interrogés sur les conséquences des décisions prises aujourd’hui.
Nous devrons alors être capables de montrer que cette exemption n’est pas préjudiciable à la conservation des espèces et que, bien au contraire, le secteur de la musique est plus que jamais engagé dans des pratiques éco-responsables. » |
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Bois tropicaux
Si les instruments de musique sont maintenant exemptés, les palissandres et bubingas qu’ils utilisent sont heureusement toujours soumis aux permis CITES et devront continuer d’obtenir des NDFs pour être importés (NDFs - non-detriment findings : avis de commerce non préjudiciable délivré par les autorités scientifiques CITES qui autorise ou pas l’exportation et l’importation d’une espèce). Sans NDFs pas de permis CITES.
Cet enjeu sera l’une de nos principales préoccupations mais pas seulement. Il faudra également participer aux études (si elles sont financées) prouvant que l’exemption des instruments de musique n’a pas d’impact négatif sur les espèces CITES.
Bois locaux
Un autre enjeu, qui n’est pas CITES mais similaire dans la démarche, est celui de l’alternative que représentent les bois locaux. Ce sujet est tout aussi inquiétant que les bois tropicaux compte-tenu de l’industrialisation de nos forêts avec l’enrésinement à croissance rapide (et coupe rapide) et la disparition progressive des espèces d’arbres que nous pourrions utiliser pour nos guitares. D’ailleurs, la communauté des instruments du quatuor, de son côté, s’inquiète de l’avenir incertain de certains érables.
En résumé, bois tropicaux ou non : même combat ! D’ailleurs, CITES et RBUE ont commencé un travail d’harmonisation de leurs réglementations respectives. |
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Luthiers ! nous avons besoin de vous pour ces trois prochaines années
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J’ai envoyé cette semaine aux luthiers membres des associations APLG, EGB mais aussi à tous les luthiers français en guitare n’adhérant à aucune association, un appel à renfort pour les 3 prochaines années car le travail à accomplir sera bien plus conséquent encore que celui qui a été fourni et qui a déjà été colossal. Cette communication sera également diffusée aux luthiers américains et à l’international plus globalement car le secteur de la guitare sera particulièrement concerné ces prochaines années par la CITES comme le montre ce premier bilan des espèces de bois menacées utilisées dans la fabrication d’une guitare : voir liste non exhaustive, étude en cours.
Guitaristes et musiciens, nous travaillons également pour vous
Si la révision de l’annotation#15 exempte également de fait le passage non-commercial transfrontalier des instruments dotés de palissandre (sauf rio) et bubinga, le musicien qui voyage avec un instrument de musique doté d’une espèce CITES classée en Annexe I et qui sont interdits de commerce (ivoire d’éléphant, palissandre de rio, etc.) devra toujours présenter aux douanes (aller et retour) un certificat pour instrument de musique (CIM).
Notre objectif était donc d’obtenir une entrée sur ce point qui permette la mise en place avant la prochaine CoP d’un groupe de travail sur ce sujet afin de travailler aux améliorations pratiques du dispositif existant, avec comme axes d’améliorations : modifier la période de validité du certificat en la passant de 3 à 10 ans et éviter la présentation en douane lors des voyages dans un autre pays.
Grâce à nos échanges préalables à la CoP nous savions que le secrétariat de la CITES, les Etats Unis, l’Union Européenne et la Brésil étaient intéressés par ce sujet. Le groupe de travail sera créé et commencera son travail probablement au prochain comité permanent.
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Delegates in Committee I: Species Specific-Matters |
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L’industrie des instruments de musique
Certains considèrent que l’exemption des instruments de musique n’aurait pas dû être accordée aux industries mais seulement aux artisans, tandis que d’autres ne la souhaitaient pas du tout.
Une question : sur quel instrument un musicien débute et apprend à jouer ?
Une autre question : qui a contribué à inspirer une partie du travail de tant de luthiers ?
Et une dernière : qui fournit une partie du travail de réparation aux luthiers ?
Quand vous aurez répondu à ces trois questions, vous aurez compris que l’industrie a toute sa place dans l’histoire des instruments de musique et que nous avons besoin d’elle pour que la musique ne soit pas le privilège d’une élite qui a les moyens de s’acheter un instrument haut de gamme !
Cependant, l’industrie ne doit pas faire n’importe quoi, n’importe comment et à n’importe quel prix. C’est justement aux luthiers et aux associations de devenir un vrai contrepoids durant ces négociations où se joue l’avenir des bois de lutherie.
La CITES est devenue l’opportunité pour les artisans de faire entendre leur voix auprès des Ministères en France (Culture, Economie, Ecologie, Affaires étrangères), des autorités CITES de l’UE et du secrétariat CITES. Les artisans sont autour de la table depuis 3 ans, tout comme l’est l’industrie, mais à ce jour et aux côtés d’autres luthiers du quatuor, je suis le seul à représenter les luthiers en guitare à la CITES alors que je ne suis pas luthier.
Alors plutôt que de rester en retrait et de regarder tout cela de loin, j’invite les sceptiques à venir autour de la table de la CITES et du RBUE et à faire en sorte que les meilleures décisions soient prises pour préserver la ressource bois.
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Heather Noonan, League of American Orchestras |
John Bennett, International Association of Violin and Bow Makers |
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Projet scientifique sur les palissandres et sur les bois de lutherie guitare
En juin 2019, a été lancé un projet exploratoire scientifique « Palissandres » porté par Iris Brémaud, chargée de recherche au LMGC (CNRS), spécialisée depuis une vingtaine d’années dans les bois de facture instrumentale, en collaboration avec 4 autres scientifiques dont Patrick Langbour, chercheur au BioWooEB du CIRAD, responsable d’une xylothèque de 8400 espèces de bois et des chercheurs des universités du Mexique et de Madagascar.
En collaboration avec l’association des luthiers en guitare APLG, ce projet a pour objectif de pallier le manque de données sur les propriétés physiques des espèces de palissandre menacées par la surexploitation industrielle. Il sera la première étape indispensable pour contribuer à la conservation conjointe de la biodiversité et du patrimoine socio-culturel.
Afin d’élargir le champ d’analyse, tous les bois autres que le palissandre seront également étudiés.
Dans un premier temps, les luthiers membres APLG ont été contactés début juin. A partir du mois de juillet, tous les luthiers français ont également été invités à prendre part au projet. Les luthiers européens et internationaux seront ensuite invités à participer à partir du mois de septembre.
Parallèlement à ce projet scientifique, l’APLG effectuera des recherches sur les statuts de conservation et de réglementation de chaque espèce étudiée et au-delà, de toutes les espèces utilisées en guitare, afin de dresser un état des lieux précis de la situation des bois de lutherie et de le diffuser le plus largement possible avec pour objectif d’informer et de sensibiliser les consciences (Voir la première liste non exhaustive).
Il n’est plus besoin de prendre conscience des dégâts que l’homme a fait et qu’il continue de faire sur les ressources naturelles de la planète, il est temps d’agir et c’est ce que nous faisons !
Rejoignez-nous !
Jacques Carbonneaux – le 05 septembre 2019
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