Une guitare neuve aux sonorités et look Vintage : info ou intox ?
Cet article fait suite à celui diffusé sur le site de nos amis de Guitariste.com concernant une des nouveautés annoncées au NAMM 2015 par la firme Martin autour de la création de 5 modèles qui viennent s'ajouter aux premiers modèles équipés d'une table d'harmonie ayant subit ce fameux procédé "Vintage Tone System". (Voir liste plus bas).
Qu'est-ce que le Vintage Tone System ?
Le VTS utilise un procédé basé sur le système de torréfaction déjà mis en pratique par Yamaha et les guitares Boucher et qui, d'après les luthiers de chez Martin, "consiste à soumettre le bois à une forte pression dans un four sans oxygène équipé d'un aspirateur pour éviter que le bois ne s'enflamme. On peut ainsi retirer toute humidité résiduelle ainsi que des bactéries et transformer un bois récent en un bois vieux de 200 ans !".
Martin prétend même pouvoir cibler le vieillissement du bois sur des périodes entre 50 et 200 ans et proposer ainsi une OM-45 De Luxe Authentic 1930 ou bien encore une D-45S Authentic 1936 !
Arrêtons-nous quelques instants sur la composition chimique du bois utilisé pour la table d'harmonie.
"Appelés aussi bois de résonance, les épicéas, cèdres ou séquoias ont cependant la même composition chimique que les autres essences : 50 % de cellulose, 25 % d'hémicellulose et 25 % de lignine.
- la cellulose est concentrée à l'intérieur de la fibre du bois
- les parois extérieures de la fibre sont composées principalement de lignine et d'hemicellulose
- les lamelles de jonction interfibres sont composées presque uniquement de lignine.
A l'état naturel, les fibres sont liées entre-elles par une interaction de la lignine et de l'hemicellulose:
- la lignine joint les fibres de bois entre-elles
- l'hemicellulose lie la cellulose et la lignine."
La lignine est donc le ciment structurel du bois. On constate que lorsqu'une guitare est jouée, l'énergie vibratoire provoquée altère la structure du bois en brisant, au fur et à mesure et dans un premier temps la lignine, libérant ainsi les fibres du bois.
Cela a pour résultat, dans les premières années d'une guitare, une sonorité plus ouverte, plus ample et plus généreuse.
L'argument de Martin est donc de vouloir proposer des modèles neufs aux allures et aux sonorités de guitare Vintage, très prisées, comme on le sait, des amoureux de belles guitares acoustiques.
Les questions qu'on est en droit de se poser
- Une guitare folk, dans sa construction actuelle, a une certaine durée de vie qui peut varier en fonction de son entretien, des conditions de stockage et de son utilisation par le musicien.
Martin affirme dans son argumentaire commercial que "pendant le processus VTS, l'eau contenue dans le bois est relâchée, et les biopolymères
(cellulose, hémicellulose et lignine) se décomposent pour ne laisser que
le matériau du bois massif, sec et beaucoup plus stable." On peut donc naturellement se demander jusqu'à quel degré de décomposition des biopolymères ce procédé intervient.
Quand la lignine est totalement brisée et ne joue plus son rôle de "ciment", la table perd ses principales caractéristiques mécaniques. Elle sera bien sûr tout à fait jouable mais perdra dynamique, sustain et projection au profit d'un son particulier qui pourra cependant plaire à certains. Dans ces conditions, est-il judicieux d'acheter une guitare neuve, très coûteuse, qui se rapproche, de fait, de sa propre mort ?
Etant l'heureux possesseur d'une D-28 de 1967 acquise en 2009 et que je joue chaque jour depuis, je constate d'année en année, une dégradation de ses performances acoustiques avec cependant un charme boisé qui l'a rend unique par rapport à une guitare plus jeune. Toutefois et malgré le plaisir que j'ai à jouer de cette guitare, je la sens s'approcher inexorablement de sa belle mort.
IMPORTANT : Il faut noter qu'une table arrivée en fin de vie peut retrouver quelques bonnes années si le barrage est totalement reconstitué.
- Deuxième question : Sachant que parmi les premiers concurrents
des guitares Martin, on retrouve leurs propres modèles Vintage qui échappent commercialement à la marque (elle a déjà vécu cela dans son histoire comme bien d'autres grandes marques), ne serait-ce donc pas un bon moyen marketing pour attirer une clientèle à fort pouvoir d'achat qui se tourne habituellement sur des modèles Vintage ?
Quand on constate le prix des modèles déjà commercialisés, on peut légitimement se poser cette question : "entre 6 et 10,000 dollars en moyenne avec des pointes à 99,999$ pour l'OM-45 De Luxe Authentic 1930 ou la D-45S Authentic 1936 à 59,999$ ou la SS-GP42-15 réalisée spécialement pour le NAMM 2015 fabriquée en épicéa Adirondack traité VTS et Koa hawaiien listée à 10,999$".
Le sujet ici n'est pas d'apporter des réponses à ces questions car il faudrait pour cela tester les instruments et analyser de façon scientifique le résultat du procédé VTS sur l'état des biopolymères des tables traitées. J'espère pouvoir vous proposer rapidement un banc d'essai d'un de ces modèles. Quant aux expériences scientifiques, je doute que Martin me laisse étudier une table traitée VTS dans un de nos nombreux laboratoires de recherche acoustique en France !
- En savoir plus sur le procédé Vintage Tone System - Télécharger le PDF
Jacques Carbonneaux - le 22 janvier 2015 - http://www.martinguitar.com/ |