En
novembre 2001, j'étais en tournée en Allemagne. Je
me retrouve à jouer dans un club dans un petit bled : Ober
Otter Bach...
J'avais
déjà joué dans ce lieu et j'avais sympathisé
avec le patron, Alfons. Donc, j'arrive, je pose mes instruments
sur scène, je m'assoie pour boire un thé, schwarz
tee, bitte, en allemand dans le texte, et je vois accrochée
à un mur, une espèce de guitare-harpe toute fracassée.
Le chevalet en l'air, des cordes dans tous les sens... Je
m'approche de la bête et je compte les cordes.... Dix sept
!
D'habitude le thé ne fait pas ce genre d'effet ! Je me retourne
vers Alfons et je lui dis : « C'est quoi, ça ! ».
Il me dit : "Une très vieille
guitare traditionnellement jouée dans les musiques autrichiennes
et allemandes, mais comme tu le vois, elle est complètement
kapput ! ». Quand il dit complètement,
c'est complètement ! Le chevalet avait cédé
en emportant une partie de la table d'harmonie à cause de
la tension des cordes basses. J' oubliais de vous dire que cet instrument
a deux manches. Un
manche avec six cordes, normal, et un autre manche avec les onze
autres cordes. Un truc du diable ! Je dis à Alfons : «
Si tu veux vendre cet instrument un jour, j' achète ».
Il me répond : « Abaji, mais l'instrument est mort,
rien à faire avec ». J'insiste en lui disant que j'avais
une petite idée derrière la tête... Vous
vous en doutez déjà mais à la fin du concert,
Alfons me dit :
Abaji, voilà pour toi, tu nous as fait passer d'excellents
moments, si tu peux en faire quelque chose ». Je ne vous dis
pas, ou plutôt, je vous dis l'effet que ça m'a fait
! Une chaleur intérieure comme quand on revoie une amoureuse...
Vous voyez ce dont je veux parler ? Eh ben, la même chose
!
J'ai
ramené cet instrument à la maison et il est resté
dans mon studio une dizaine de mois avant que je n'aie cette idée.
Au lieu de mettre des cordes graves comme le font les autrichiens,
je demandais à mon luthier de mettre des cordes de sitar.
Six cordes accordées en DADGAD et les autres en Ré,
La et Sol multiples. Une sorte de harpe, parce que je peux jouer
ces cordes en
arpège harpisants, je dirais même arabisants, et une
guitare (NDLR le sillet du chevalet a été enlevé
ce qui donne un son frisé type sitar). Mais le summum,
c'est que ces onze cordes répondent naturellement avec les
six cordes. Il se passe un dialogue inoui et unique. Dans "Oriental
Voyage", j' ai joué « Nour el Nar » sur
cet instrument, ainsi que « Blue desert ».
J'allais oublier, sur le dos de la tête, il y a une petite
plaque : Carl Gottlob Schuster Junior 1824... Oui, vous avez bien
lu, mille huit cent vingt quatre !
ABAJI
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