|
Jean Noël Lebreton
est installé à Angers (Maine et Loire) depuis
7 ans.
Gentiment, il me proposa de lui rendre visite dans son atelier
afin que je l'interroge.
D'où vient votre
passion pour la lutherie ?
Adolescent, je jouais
de la guitare puis du violon. Tout à commencé
lorsque j'ai entrepris de fabriquer un dulcimer.
A quel moment avez-vous décidé de devenir
luthier ?
J'ai eu l'opportunité
de faire un stage chez un luthier, Bernard Poulelaouen à
Chinon. J'ai décidé de m'y lancer plus sérieusement
lorsque je suis rentré dans l'école de lutherie
londonienne "The London College of Furniture "
de 1989 à 1993.
|
Jean Noel Lebreton
sur la scène laguitare.com/Guitarist à Issoudun
2004 pour présenter le modèle qu'il a réalisé
et que Valérie Duchâteau se prépare à
jouer. |
Qu'avez vous fait une fois vos
études terminées ?
Je me suis perfectionné
seul en construisant quelques instruments. Je suis également
allé visiter des ateliers de lutherie en France, en Espagne,
au Brésil afin de me faire une idée plus réelle
du métier.
Combien de guitares avez-vous
réalisées à ce jour ?
Depuis ma toute première
guitare faite à Chinon, environ 90.
Approximativement, combien de temps vous prend la réalisation
d'une guitare ?
Ca dépend du modèle,
des filets, du vernis choisi, dans une large fourchette je dirais
entre 3 et 5 semaines.
Est-ce que la lutherie reste pour
vous une passion, bien que devenue activé professionnelle
?
Cette passion n'est sans
doute plus de même nature, mais elle reste aussi forte,
sûrement plus d'ailleurs.
L'intérêt a changé vers une recherche plus
pointue, plus subtile comme par exemple l'intérêt
des paramètres acoustiques, l'importance des bois, des
épaisseurs des vernis...
Les luthiers français sont-ils reconnus ?
Dans les années
soixante, les guitares étaient toutes espagnoles ou américaines.
Certains luthiers français ont beaucoup oeuvrés
pour cette reconnaissance internationale et ont acquis une clientèle
étrangère importante. Oui, je dirais que la lutherie
française est connue et reconnue pour ses guitares haut
de gamme.
Qui sont vos clients ?
Je travaille pour des magasins,
des professeurs de conservatoire, des musiciens professionnels
et des amateurs.
Localement et doucement, ça a démarré; désormais
mes commandes se font dans toute la France avec quelques instruments
à l'étranger (New York, Canada, La Réunion,
le Brésil.)
Comment les conseillez-vous ?
Je peux les conseiller par
rapport aux bois utilisés :
- Le cèdre donnera un timbre
chaud, rond, doux plus spontané et sensitif.Un son a la
fois puissant et léger, plus immédiat.il sera plus
stable et moins susceptible de se fendre.Le cèdre arrive
a
maturité après quelques mois, alors qu'il faudra
2 ans environ à l'épicéa pour atteindre ce
stade.
- L' épicéa aura un
son plus clair, plus brillant, donnera plus de force, de sustain
et de transparence dans les aigus,il aura une palette sonore très
vaste et plus riche.Cependant l'épicéa aura besoin
de plus de temps pour acquérir toutes ses qualités.
- L'érable et le noyer ont
tendance à être acoustiquement plus transparents
que les autres bois dû à leur basse rapidité
de son (rapidité a laquelle un matériau transmet
l'énergie reçue.) Egalement riche en harmoniques;
sonorité vivante, chantante; bas mediums chaleureux.
- Les palissandres indiens et brésiliens
ont une très haute rapidité de son. Le son, dur
et brillant est très équilibré dans les graves.Les
guitares faites de palissandre ont un timbre de "reverb"
prononcé causé par des harmoniques sympathiques
claires et fortes.
Aussi, nous discutons d'un confort
du manche adapté à sa propre façon de jouer.
En matière de sonorité, je travaille selon un idéal
personnel suivant mes propres critères, convictions et
goûts. De plus, il est très difficile de s'accorder
avec un client sur les caractéristiques acoustiques de
son futur instrument.
Quelle est la formation type d'un
luthier ?
C'est varié: certains
sont autodidactes (surtout la génération des années
80), d'autres ont d'abord exercé comme ébénistes.
Bien sur, il est toujours très positif de continuer à
se former en suivant des formations parallèles comme l'étude
de l'acoustique musicale, des études sur le bois, ou encore
dans des domaines précis tels que les vernis, les problèmes
de résonance (Chadli patterns : l'étude sur le comportement
vibratoire des tables d'harmonies*.)
Pour ma part, je lis tout ce qui tombe entre mes mains.
*Ernst Florens Friedich Chladni(1756-1827)
utilisait un archet de violon et un assortiment de sable et poudres
pour étudier les vibrations de tables rectangulaires.Cette
méthode est maintenant dépassée puisque l'on
utilise aujourd'hui un ampli connecté a un générateur
d'ondes et un compteur de fréquences.Le sable s'entassera
aux endroits immobiles de la table.Les photos obtenues par ordinateurs
en laboratoire seront bien sur plus précises .Ces données
pourront être intéressantes et utiles pour comprendre
les différences entre deux barrages différents par
exemple.
Beaucoup de luthiers témoignent
de la difficulté de vivre en exerçant ce métier,
existe t-il une rivalité importante entre vous ?
Il faut savoir que beaucoup
de luthiers ont des spécialités et des clientèles
différentes (classiques, flamencas, arch-top Jazz, Jazz
manouche, électriques..), nous ne sommes donc pas directement
concurrents entre nous.
De plus, je dirais qu'un bon nombre de luthiers partagent leurs
idées, se conseillent
On peut dire que la concurrence reste assez faible mais cependant
inévitable : le nombre de guitares fabriquées annuellement
est limité (une douzaine) et leur vente conditionne notre
survie.
Quels sont les luthiers que vous
admirez le plus ?
Je parlerais de Daniel
Friedrich, Daniel Lesueur, Dominique Field, Michel Donadey, Antonio
Anoyo, Richard Caro.
En Espagne, Fleta, Marin Montero et Hinues (hollandais installé
à Grenade).
Aux Etats Unis: Humphey, le luthier des frères Assad.
Sans oublier en guitare manouche, Jean Pierre Favino et Maurice
Dupont.
Comment ont évolué
vos instruments depuis votre première guitare ?!
Beaucoup de choses ont
changé comme la qualité des bois utilisés,
la configuration des barrages, des voûtes...
A force de prendre des notes pendant la construction, le travail
est devenu plus précis et les résultats progressent!
Vous arrive t-il de faire de la
restauration ?
Oui j'en ai fait beaucoup;
parfois on apprend des choses mais une bonne partie des travaux
devient vite rébarbative.
Je pense que beaucoup de luthiers souhaitent limiter leurs travaux
de restauration pour se consacrer à la création.
Comment " décorez
" vous vos guitares ?
Les décorations
multiples, incrustations sont rares sur guitares classiques, ce
n'est pas trop dans la tradition. De même pour les guitares
de Jazz manouche, généralement sobres. Le choix
de filets, de teintes de bois, de vinages se mariant... Je travaille
dans ce style de recherche pour l'esthétisme de mes guitares.
Quels sont les moments les plus
excitants du métier ?
Le premier c'est quand
je "ferme la boîte" (table fond éclisses)
avec le manche.
Puis c'est au moment de monter les cordes et de mes premières
sensations en jouant.
Voir un client heureux avec l'instrument est également
une des grandes joies du métier.
Souhaiteriez-vous augmenter la
taille de votre entreprise, embaucher du personnel avec ce qui
s'en suit ?
Pour l'instant, je préfère
garder cette dimension; bien sûr il me faut penser à
produire plus efficacement, mais la moyenne entreprise ne fait
pas partie de mes projets; je pense que tout le monde n'est pas
fait pour ça.
Et l'Avenir ?
Pourvu que ça dure,
je touche du bois !
Antoine
Leroy