Double-rencontre
donc chez Line 6 : celle de Michel Doidic, co-fondateur français
de la société et qui nous a accordé un entretien
filmé (voir la vidéo), puis
celle de Jeff Slingluff, grand sorcier du son, qui nous en
dit un peu plus sur la modélisation...
Quel est
votre rôle au sein de Line 6 et comment êtes-vous arrivé
dans cette société ?
Je suis le sound
designer en chef chez Line 6 depuis 10 ans maintenant. Auparavant,
je travaillais chez Alesis qui avait un partenaire du nom de Fast
Forward Designs, lequel est devenu par la suite Line 6. Ils mont
embauché car javais une bonne expérience de
lenregistrement en tant que guitariste et ingénieur
du son. De plus, je communique facilement avec les développeurs
de logiciels. Au début, javais des outils très
simples et je faisais mes réglages à loreille.
Après quelque temps jai réussi à obtenir
de vrais outils que nous utilisons aujourdhui pour créer
des modèles damplis et deffets.
Comment choisissez-vous
les modèles damplis et deffets que vous allez
modéliser?
Bien choisir
les amplis que lon va modéliser est une des choses
les plus importantes. Car si loriginal est mauvais, la modélisation
le sera aussi! Le but est de trouver des amplis représentatifs,
ce qui nest pas forcément évident chez Fender
par exemple : un Deluxe de Juillet 64 ne sonne pas pareil quun
autre pourtant construit le même mois ! On essaie donc en
général une dizaine damplis identiques et on
prend le plus représentatif.
Quel est
le point de départ pour modéliser un ampli ?
On commence
par écouter lampli et rechercher ce quil a dunique.
Après on sort les oscilloscopes et compagnie. On mesure dun
point A à un point B, etc. On fait ensuite des écoutes
A/B en aveugle pour vérifier que tout est bon. Une fois que
50 % des gens choisissent la modélisation, cest gagné.
Si moins de 50% des gens choisissent la simulation, c'est qu'elle
n'est pas assez fidèle. Et c'est pareil si plus de gens choisissent
la modélisation : cest quelle nest pas
assez fidèle à loriginale, même si elle
est "meilleure"
Le son dune
guitare est très important lorsque vous jouez avec un ampli.
Comment fait-on la différence entre le son de la guitare
et le son de lampli?
Un ampli guitare
cest deux choses : laltération du signal injecté
d'abord (transitoires, clipping, réponse fréquentielle
et phase) et lamplification du signal à un niveau plus
élevé ensuite. Notre procédé essaie
de sortir le signal de la guitare de léquation afin
quau final la modélisation agisse de la même
manière que lampli original.
Comment créez-vous
de nouvelles modélisations ? Avez-vous un logiciel spécial
ou utilisez-vous des outils de développement plus traditionnels
comme Visual Studio ?
Nous avons un
système de développement qui consiste à reproduire
un prototype de lampli (haut-parleur, ampli, boite et DSP).
Ensuite nous injectons les paramètres et les coefficients
via un logiciel spécifique. Je peux ainsi tester et écouter
en temps réel.
Grâce
à la qualité des sons qu'ils produisent, les produits
Line 6 sont désormais des incontournables qu'on retrouve
dans chaque studio ou home studio. D'aucuns leur reprochent pourtant
aux sons émulés de manquer de dynamique, comme si
le son en sortie avait déjà été compressé
ou produit : comment expliquez-vous cela ? Y a t'il un compresseur
ou un limiteur caché sur le trajet du signal ?
Une des choses
importantes à savoir à propos des amplis à
tubes, c'est que la façon dont ils emmagasinent et délivrent
de la puissance via les condensateurs de filtrage combinés
aux grandes varations de tension permises, se traduit par une puissance
énorme sur l'attaque de la note. Ainsi, si vous prenez un
ampli Solid State de 100 watts et un ampli de 100 watts à
tube et que vous leur injectez un sinus à 200 Herz, ils vont
tous les deux délivrer le même volume en sortie. Mais
si vous leur soumettez un signal de type pulse et que vous regardez
ce que vous obtenez en sortie, l'ampli à tube atteindra un
niveau bien plus considérable. Bien que cela soit trop court
pour être audible, j'ai mesuré une fois qu'un ampli
à tube pouvait délivrer une puissance de 1800 watts
sur une attaque. Dans une échelle que nous pouvons entendre,
ce serait probablement plus de 600 watts sur l'attaque. C'est à
cause de cet aspect propre aux tubes que nous avons créé
la ligne Spider Valve.
Le Spider
Valve integer justement des tubes qui sont habituellement émulés
par les algorithmes de Line 6 : avez-vous dû réécrire
ces derniers pour laisser les vrais tubes faire leur travail dans
le son obtenu ?
Le trajet du
signal dans le Spider Valve est le suivant : Analogique > Numérique
Logiciel Numérique > Analogique 12AX7 Preamp
12AX7 inverseur de phase Ampli de puissance à
tubes et transformateur. Alors oui, il existe bien un préamp
à lampe en amont de l'ampli de puissance mais il est placé
après la modélisation. Le tube travail ainsi et produit
une légère saturation et toutes les modélisations
ont bien sûr été revues pour en tirer parti.
Line 6 a
aussi modélisé des guitares et des basses avec la
série Variax : quelle est la différence entre la modélisation
d'un instrument et celle d'un ampli ou d'un effet ?
Il y a des choses
dans nos procédés de modélisation qui sont
universelles. Par exemple, si la source fait une chose, nous allons
essayer de la reproduire, comme c'est le cas sur la modulation en
anneau à 60 Hz d'une alimentation d'amplis à lampe
(50 Hz pour les amplis européens). Certains diront que ce
n'est pas quelque chose que les concepteurs du produit voulaient
à l'origine, et je répondrais qu'il est difficile
de savoir ce qui a rendu un ampli populaire et apprécié.
Pour la guitare, la différence vient aussi de l'équipement
utilisé pour le test : je n'ai pas à frapper un ampli
à tube avec un 'frequency hammer', mais je dois le faire
pour une Antonio Torrez de 1840. Et modéliser des micros
guitare est fait en parallèle avec la modélisation
du corps contrairement à la modélisation d'amplis
où vous ne savez pas si tout fonctionne bien tant que vous
n'avez pas reliés entre eux tous les éléments
modélisés.
Depuis quelques
années, nous avons vu débarquer de nombreuses émulations
logicielles ou matérielles reposant sur la convolution. Que
pensez-vous de cette technologie ?
La convolution
a sa place et peut être extrêmement efficace. En fait,
nous l'utilisons dans le contexte de nos émulations de HP.
Là où ça devient difficile en revanche, c'est
pour gérer les interactions entres les différentes
sections d'un ampli à lampe modélisé. Et tout
particulièrement dans la façon dont un ampli/baffle
réagit dynamiquement en fonction de l'état du HP.
Les séquenceurs
ont remplacé les magnétophones multipistes, les instruments
virtuels prennent parfois la place des instruments réels,
et les modélisations tendent à remplacer les bonnes
vieilles machines : c'est l'une des grandes évolutions qu'ont
connu l'audio et la musique au cours de ces dernières années.
Quelle sera la prochaine étape selon vous ?
Je pense qu'évidement
la MAO va continuer à évoluer durant les prochaines
années. Et je pense que de plus en plus d'efforts seront
faits pour capturer les plus fameux matériels conçus
jusqu'alors. Ce que je souhaite personnellement, c'est que cesse
la course au son le plus propre et le plus stérile. Ce que
nous avons fait pour un tas de bons enregistrements au cours des
dernières années n'était pas d'offrir un son
clean et pur mais, au contraire, d'amener toutes les petites choses
qui le salissent avec musicalité. De fait, je ne veux plus
lire : "notre préampli micro ou convertisseur A/D sonne
plus propre que n'importe lequel de nos concurrents". Ce que
je veux plutôt, c'est qu'on me donne juste du son et du caractère.
C'est d'ailleurs à ça que je passe mes journées
: chercher le son et le caractère. Et je ne suis pas prêt
d'arrêter
Arnaud Cueff - le 27/02/2008
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