"De la vérité du discours en facture instrumentale : à qui Jean-Yves Alquier parle-t-il donc ?
Samedi 3 nov. 2012, Issoudun. Un triptyque.
Devant un parterre de luthiers, lovés au fond de sièges rouges, sûrs de leur confraternité, Jean-Yves Alquier, boxeur solitaire, sous une douche de scène bleue, tenait sur le ring, propos au sujet de son travail.
Les couleurs y étaient.
Il exposa la genèse de son triptyque.
J'avais été témoin étonné de l'installation de la deuxième de ses guitares-concept, le tricône « Papaleocada » ( des trois volets, le central), au SGM de 2010, où, envoyant la voile, il avait déployé sur sa table une nappe d'autel turquoise , objet d'un culte à venir, d'un bleu coordonné aux incrustations, donnant précisément le ton à sa présentation … le ton d'un cérémonial soigné un peu intimidant.
L'uppercut esthétique était finalement tout en douceur.
Certes on se sentait jeté hors ses voies assurées mais en partie épargné cependant.
C'est cette impression de douceur paradoxale, éprouvée, qui retient le spectateur déstabilisé, le rassure à la fois, et permet , passé le premier regard, de soutenir l'investigation…
On accède alors non sans violence à une heureuse lecture, nécessairement plus complexe.
Par ailleurs, s'impose, évidente,, la perception d'une globalité cohérente , celle d'un univers plastique singulier, logique et homogène, dont l'objet fini, jusqu'à sa technicité, ne serait que l'emblème...
Jean-Yves Alquier prétend procéder dans sa démarche, au grès d'erratiques et libres associations d'idées, presque par contamination…
Mais l'absence totale d'histrionisme** dans le résultat en impose pour une idée créatrice déterminée et préalable.
Il nous parle plus de surdétermination que d'aléas.
Son travail foisonne de références qui contribuent à la constitution d'un vocabulaire plastique propre, en même temps qu'elles donnent accès à ses intentions esthétiques…
Au-delà d'un lexique ancré dans la culture, (Jean-Yves Alquier avoue son ascendance, et ses modèles sont rien moins que Picasso, Sati, les frères Dopeyra, … Leo Fender… des auteurs à succès en somme !..) c'est un néo langage qu'il nous propose.
Ce rouge, le bon, dont il dit qu'il l'a voulu pétant pour être repéré, et dont l'éclat pourrait faire obstacle à ce que la vision s'attarde, fonctionne au contraire, par le choix de sa nuance, et par sa qualité de réalisation, par sa transparence, comme un révélateur du second plan, invitant à la visite derrière l'écran…
On dit que sous le rouge Ferrari il y a une sous couche jaune qui fait tout… comme sous les vernis italiens anciens demeure le mystère..
De fait, dans la couleur elle-même, est contenue l'onctuosité des formes.
On a le sentiment que le bois tient littéralement la couleur, et qu'il est le personnage principal. Cette impression est très nette sur les modèles droit et gauche du triptyque où l'érable et l'épicéa ont la qualité dermique d'une peau féminine, dont on s'attendrait presque à respirer le parfum, mais qu'on ne prétendrait pas pouvoir toucher.
Ce que le modèle central exprime au travers du cloisonnement métallique, formant exosquelette est un peu différent…là, c'est la continuité de la fibre qui subordonne une tension horizontale (l'onde de l'érable) conférant au titane un aspect de résille. Un claustra faussement aléatoire, évoquant des effets architecturaux contemporains (J.P.Lott par exemple) qui ordonne un arrière pays, le fond du tableau dont parleraient Arasse ou Bonnefoy.
Gris bleuté du titane, formant réseau veineux, sur une carnation d'écorché, quelque chose d'organique et d'intime proche d'une pulsion observée à la loupe.
Cloisonnements indéchiffrables, écriture cunéiforme perdue, prémisses d'une nouvelle langue dont on deviendrait locuteur, canaux où la sève s'écoule au profond de la feuille d'un arbre prometteur, secret révélé de la texture des bois pour faire sanctuaire au son.
Dans les guitares deJean-Yves Alquier, on voit le moteur !.. sous le capot transparent, c'est le V8 à 90° de la F430 !..même sensation de réserve de puissance…
La table d'harmonie interne de la Gnossienne (dont la plaque de désignation est stylée à la manière Pininfarina ) apparaît comme dévoilée, laiteuse, en flottaison intermédiaire…
Clin d'œil à Lucien Gelas ?.. à René Lacôte ?.. aux Gérôme de Mirecourt ?..
Ce n'est pas d'âme dont il est question là, mais de cœur battant… Les évents, chemins pour l'air, sont ici des impostes, des fenêtres ouvertes sur l'organisme , pour qu'au spectateur, justement, rien n'en échappe.
Passion pour l'organe mécanique ?.. pour l'architecture de l'intérieur ?..
Le design chez Jean-Yves Alquier n'est pas technologique : il est anatomique…
Ces guitares ne sont pas à essayer, elles sont à comprendre.
A entendre donc, au sens plein du terme
A quel destinataire cet œuvre se destine-t-il ?
A personne dit-il…
Mais ce que Jean-Yves Alquier ne dit pas, c'est qu'il rêve de postérité (pour ses idées tout au moins), comme un Bernard Palissy, capable de laisser dans le brasier son ultime possession, s'engageant tout entier, conscient des risques pris, mais s'arrangeant pour être incontestable en livrant à notre regard et à notre jugement, la qualité d'une réalisation magistrale.
Jean-Yves Alquier ne triche à aucun moment.
Cet œuvre est une création du domaine de l'art contemporain en ce qu'il bouleverse les canons convenus, et pourrait à ce titre figurer à la FIAC, à la Biennale de Venise, plus que n'importe où ailleurs.
La lutherie ici est de surcroît, mais c'est aussi de la lutherie de haut vol…"
Gérard Chatelier - le 16 novembre 2012
** L'histrionisme ou théâtralisme est caractérisé par une recherche constante d'attention excessive. NDLR (merci Wiki)
Jacques Carbonneaux - le 22 novembre 2012 - En savoir plus sur Jean-Yves Alquier
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