Une guitare est faite pour être jouée et on la juge sur sa sonorité, son confort et sa stabilité. Ce sont les trois points essentiels que l'on est en droit d'attendre d'un instrument de musique.
A l'inverse, certains sont plus exigeants sur la présentation et l'esthétisme et mettent les autres qualités de l'instrument au second plan. J'ai déjà rencontré quelques personnes passionnées de guitares qui n'hésitent pas à investir dans des modèles de luthiers ou haut de gamme de grandes marques juste pour l'objet et le côté précieux qu'il représente.
Sans tomber dans cet extrême, ceux qui ne sont pas fans de la sobriété peuvent attendre d'un instrument un habillage, une décoration qui souvent devient intéressante si elle est personnalisée.
Dans les grandes marques de guitares et même le haut de gamme, il est rare de voir un travail de finition digne de celui d'un luthier. Les nacres utilisées sont plus grossières, moins fines et de moins bonnes qualités. L'originalité de la décoration est rarement exceptionnelle et surtout, il vous sera impossible de demander à Martin ou Taylor de réaliser une marqueterie autre que celle disponible dans leur catalogue "Custom Shop". (Soyons fairplay et reconnaissons que ce que proposent dorénavant des marques comme Martin ou Taylor dans leur "Custom Shop" ou "Build to order" est un plus non négligeable et qui vous permet de customiser votre guitare comme il était impossible de le faire il y a quelques années).
Chez un luthier, vos idées les plus folles peuvent prendre forme ou presque !
Pour illustrer mes propos, je vous propose de vous régaler sur un exemple que j'ai trouvé sur un des modèles du luthier Thomas Fejoz qui est à ce jour un des grands spécialistes de la marqueterie de la troisième génération de luthiers en France avec, en autres, Emeric Beaujouan, Pierrick Brua et Hervé Coufleau.
Je ne peux pas ne pas parler du grand spécialiste en la matière qui les a influencés et formés pour certains : Franck Cheval.
Mais c'est aussi grâce aux rencontres de luthiers américains et canadiens effectuées au Salon de Guitare de Montréal que certains de nos luthiers ont pu dévoiler tous leur talent d'artiste.
Revenons à Thomas Fejoz et son travail de marqueterie. Lorsque j'ai vu pour la première fois l'inscrustation sur plaquage de tête
d'un magnifique dessin d'un indien, j'ai eu envie d'en savoir plus et je lui ai posé quelques questions pour en savoir plus sur le travail minitieux qu'il a réalisé sur cette oeuvre d'art, car c'est bien d'art dont nous parlons ici.
Jacques Carbonneaux - Février 2011
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La décoration est peinte ou est-ce un assemblage ?
Il y a les deux.
Une grande partie du dessin est faite de différents matériaux découpés qui doivent s'imbriquer comme un puzzle. Seul le visage et le médaillon sont dessinés et mis en couleur .
Quels sont les matériaux utilisés ?
La tunique est faite de noyer, d'érable, d'amourette et de thuya .
Le médaillon est en laiton, la chevelure en ébène, le visage est en acajou, mais il y a aussi de l'os ainsi que des matériaux de substitution (imitation corail et turquoise) pour le bleu et le rouge .
Enfin, j'ai utilisé deux nacres pour les plumes : de la nacre blanche et de la nacre noir (de Tahiti)
J'ai compté 12 matériaux différents et 38 assemblages !
Combien d'heure de travail faut il compter pour une telle réalisation ?
Difficile à dire ... On ne compte pas vraiment les heures pour ce genre de travail, je dirais environ 25 heures .
Quelles ont été les difficultés rencontrées ?
Içi le dessin était donné (c'est une marqueterie sur commande), donc pas de travail de recherche préalable autour d'une simple idée comme cela peut parfois arriver .
La difficulté première est donc de savoir si, à partir du dessin, il serait possible de faire quelque chose de réussi et de ressemblant .
Pour moi, la plus grande difficulté était de peindre le visage, de lui donner vie .
Pour ça il faut un vrai talent de dessinateur, un vrai coup de crayon que je n'ai pas !
En fait, c'est Aude, ma compagne dans la vie de tout les jours (et la mère de mon fils) qui est mon "arme secrète" pour ce boulot !.... sans elle l'indien aurait eu piètre allure .
T'arrive-t-il de devoir recomposer une telle incrustation suite à une erreur ?
Non, il peut m'arriver de refaire certaines pièces d'une marqueterie si celles-ci sont mal découpées ou si le rendu est décevant mais ça se passe généralement avant l'assemblage final.
Peux tu nous donner les principales étapes de réalisation d'une marqueterie ainsi que les outils utilisés ?
Une fois le dessin défini, il faut commencer par le mettre à l'échelle voulue, puis le positionner sur la tête de la guitare pour obtenir une vue d'ensemble .
Ensuite, je décide des matériaux utilisés pour la réalisation de celui-ci : bois , nacre, pierre , métaux etc...
J'utilise le plus souvent une petite scie de marqueterie manuelle pour chantourner mes pièces.
Une fois mon assemblage terminé, je peux positionner le motif à l'emplacement voulu sur la tête et je trace ses contours.
Le reste se fait souvent avec une mini-défonceuse et des mèches allant de 1 mm à 3 mm .
En matière de marqueterie, il y a un luthier qui est un maître, ses incrustations sont autant de tableaux et sa renommée est mondiale, son nom est William Laskin. (NDLR, luthier canadien que nous avons rencontré Thomas et moi au Salon de Guitare de Montréal en 2008 et 2009, voir report...)
Visitez son site http://www.williamlaskin.com/ ça laisse parfois rêveur.
Cet indien est-il connu ?
Oui, c'est chef Joseph de la tribu des "nez-percés" qui vécu entre 1840 et 1904 et qui se battit pour redonner à son peuple la terre de leurs ancêtres envahie par les blancs pour de l'or.
Thomas Fejoz - Questions : Jacques Carbonneaux - Février 2011 - Coordonnées de Thomas Fejoz
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