Laguitare.com :
Le concept de l'Olympia ne t'es pas inconnu puisque tu as déjà
participé à plusieurs tournois de guitares au Réservoir,
organisés par Jean-Félix Lalanne. Qu'est ce qui te
séduit dans ce type d'événements ?
Yan Vagh :
Ce qui est rare et appréciable dans l'univers des instrumentistes,
c'est le fait de rencontrer plein de gens qui jouent du même
instrument que toi et, par la force des choses, de t'apercevoir
qu'il y a une richesse immense chez ces personnes qui te sont plus
ou moins proches, artistiquement et techniquement parlant. Tu as
presque envie de t'arrêter pour les écouter ! Ce qui
est passionnant dans ces tournois, c'est l'aspect collectif, la
rencontre de gens que tu ne croises d'habitude que sur un disque,
autour d'un instrument qui, finalement, est assez individuel. Ca
t'oblige à ouvrir ton angle d'écoute à 180
degrés et à découvrir de nouveaux styles.
Par rapport à
ton jeu, qu'est-ce que cela t'apporte ?
Le fait d'être mis au pied du mur peut être périlleux
mais, même si dans l'instant tu n'as pas été
brillant, cela développe ta souplesse d'esprit, et par conséquent,
la technique se met parfaitement au service de ce que tu as à
faire. C'est la tête, avant les doigts. Pour ça, l'apprentissage
par la scène est primordial car il fait perdre la notion
d'enjeu pour laisser place à la notion de plaisir et de partage.
Le public est donc
important pour toi. Seule la démarche serait différente
?
Bien sûr ! Lorsque tu as un public en face de toi,
tu as une "énorme oreille" qui démultiplie
ton énergie et ça fonctionne par des échanges
de flux énergétiques.
As-tu un souvenir
mémorable de scène au cours duquel, en temps que guitariste,
tu t'es senti comblé ?
J'ai eu des moments intenses avec mon trio où, tout à
coup, ça n'est plus toi qui joues, c'est la musique qui mène
le jeu et tu es obligé de constater que tu es le témoin
d'un moment unique qui échappe à ta propre volonté.
cela te sert de "carotte" pendant des années. Tu
es en perpétuelle recherche de ce flash, mais c'est au-delà
des doigts, au-delà de la technique. Le plus fou, c'est que
les gens le ressentent dans la salle !
Est-ce que c'est
difficile d'effacer sa personnalité pour être au service
de la musique ?
Ca l'est, oui, mais ça dépasse l'idée de plaisir,
une fois le problème mémoriel réglé,
il s'agit plus d'une histoire de sensations. Les parties improvisées
ont toujours une structure, même si elles sont très
ouvertes. Elles sont improvisées mais très composées.
Avec le trio, on improvise beaucoup et cela nous mène parfois
à des ouvertures incroyables. C'est pour ça que l'interactivité
est passionnante, quand l'autre sait ce que tu vas jouer, ce sentiment
que ce tu fais est juste. Concrètement, ça m'est arrivé
une fois lors d'une répétition avec Jean-Félix
Lalanne, dans ma chambre d'hôtel, lors du festival de Vendôme,
c'était parfait.
Quel a été
ton parcours de guitariste ?
Je suis tombé dans le rock, comme beaucoup de monde, à
treize ans avec les Rolling Stones, Led Zeppelin, Deep Purple. J'avais
un groupe où je jouais sur une Télécaster,
dans le Sud de la France. J'étais à la recherche de
ce qui reliait toutes les musiques ; lors de séances d'écoute
où je passais de Led Zeppelin à Beethoven en passant
par Coltrane, je guettais l'essence commune, le fil conducteur,
pour finalement en conclure que c'était l'homme lui-même
!
Le fait de m'être mis à composer assez vite m'a permit
de ne pas me cantonner à la seule forme de la guitare ; c'est
là que je me suis passionné pour la musique classique
: Wagner, Bach, Scriabine. Que ce soit pour le rock ou pour le classique,
je suis un autoditact.
J 'ai composé des études pour musique classique afin
de ne pas rester ancrer dans la tradition, chercher à aller
plus loin.
Pour ce qui est de mon expérience rock, j'ai travaillé
avec Didier Malherbe (sax du groupe Gong), Hugh Hopper (bassiste
de Soft Machine), issus de la vague rock jazz anglais des années
70 ; parallèlement, j'ai fait quelques collaborations plus
variétés, ainsi qu'une collaboration passionnante
au sein du Big Band de Gérard Marais, composé de sept
guitaristes. Par la suite, je me suis isolé pendant cinq
ans, et j'ai étudié l'équivalent de dix ans
de travail dans ce laps de temps. Je voulais écrire et me
faire mon propre bagage classique. Mes compositions s'orientaient
vers un certain néo - classicisme, une réconciliation
avec l'harmonie, la mélodie et l'orchestration
j'ai
écrit des musiques de chambre et des symphonies, que des
solistes de l'Orchestre de Paris ont joué. Puis, petit à
petit, le rock et le jazz sont remontés à la surface.
Aux Etats-Unis,
la guitare est très populaire, en France, c'est la variété.
Existe-t-il un moyen de rendre cet instrument moins élitiste,
plus accessible, sans tomber dans la variété ?
Il ne s'agit pas de trouver une "musique compromis", de
l'affaiblir pour la rendre accessible mais de se donner les moyens
de la faire comprendre au plus grand nombre. De fait, réaliser
des soirées au service l'instrument, telles que celles du
Réservoir, peut donner envie une fois l'instrument découvert,
d'aller à la rencontre des différents styles et des
personnes qui les incarnent.
En matière de variétés
françaises, j'ai tout de même fait de belles rencontres,
comme celle avec Johnny Hallyday pour qui j'ai réalisé
l'orchestration de son spectacle à Bercy en 1990. J'ai aussi
joué avec Brigitte Fontaine lors de certains de ses concerts,
et avec Pierre Vassiliu.
Penses-tu que la
guitare aux Etats-Unis soit un peu galvaudée ?
Non, certainement pas, seulement le marché là-bas
est énorme, ce qui peut entraîner une "macdonaldisation"
de certaines formes de musique. Cela dit , la guitare fait partie
de leur culture et ils savent très bien cibler leur marché.
Là-bas, des courants musicaux qui peuvent nous paraître
infimes en France, représentent à l'échelle
de leur pays, des ventes énormes.
Est-ce
que tu peux nous parler de ta guitare fretless ?
Cette
guitare est née d'une rencontre avec le luthier Jean Wellers,
lui-même grand contrebassiste ; je suis tombé sur le
"numéro pilote" de cet instrument, je l'ai essayé,
et ce fut une révélation, d'abord parce que le concept
de cette guitare oblige à penser exclusivement en monodique,
c'est à dire que l'on ne pense plus aux accords, ensuite
parce que cela implique de faire le cheminement instrumental du
saxophoniste ou du violoniste, qui pensent note par note . C'est
une liberté relative car tu perds tout tes repères,
et tu dois tatônner quelques mois avant de bien l'avoir sous
les doigts.
J'ai emprunté cette guitare à Jean pour réaliser
quelques impros sur un album avant de lui en commander une, qu'il
a merveilleusement réalisé à partir d'une douze
cordes entièrement désossée. Son travail a
consisté à réaliser un écartement qui
permet d'avoir cinq fois deux cordes, pour pallier au problème
du manque de son lorsque que l'on va dans les aigues.
C'est une guitare qui a peu de coffre, mais elle est très
ronde, très chaleureuse, donc, l'idée c'est de restituer
sur scène ce que tu obtiens dans ta cuisine. C'est un prototype
très réussi.
Ma guitare fretless m'a été offerte par Joseph Cantalou
qui est un fou génial (cf www.cantalou.net)
Parle nous de tes
influences au sens large du terme...
Ce qui est complexe dans les influences, c'est de faire la nuance
entre ce qu'on sait qui nous a influencé, ce que l'on croit
avoir comme influence, et ce qu'on ignore qui nous a influencé
!
Donc, évidemment, on peut citer l'alchimie et la sensibilité
de Crosby Stills Nash & Young, tout comme celle du quartet de
John Coltrane avec Mac Coy Tyner ! En solo, Keith Jarret s'inscrit
aussi dans mes influences majeures.
Dans les amis, je peux citer Pierre Bensusan avec qui je partage
une estime musicale depuis plus de vingt ans, qui se concrétise
maintenant ; il est l'auteur du petit texte qui figure dans mon
album La Yellow Note (cf article).
Avec quel guitariste
français pourrais-tu espérer trouver une connivence
similaire ?
Jean-Félix Lalanne, avec qui je tourne parfois en duo. Ca
a été une rencontre aussi bien musicale qu'une rencontre
humaine... il y a aussi Pierre Bensusan qui me touche beaucoup ou
encore Sylvain Luc que j'ai découvert cet été
où il jouait à Marciac dans le septet de Winton Marsalis.
Que penses-tu de
Yan Vagh ?
.
Je dirais que je suis en devenir et je sais que je n'aurais jamais
un sentiment d'accomplissement. A la fin d'un album, par exemple,
j'ai beaucoup de mal à le réecouter ; en fait ma musique
est en perpétuelle mutation et ce que j'ai fait il y a quelques
mois, je le referais différemment aujourd'hui ! Mon but est
d'exploiter les qualités aristocratiques de la musique classique,
le swing du jazz et l'énergie du rock pour qu'au bout du
compte, les différents publics si étanches les uns
par rapport aux autres finissent par se rencontrer...
Quel regard portes-tu
sur Internet, et sur ce que ça t'apporte en tant que guitariste
?
L'apport est considérable en ce qui concerne les contacts,
les infos
par exemple j'ai appris que l'organisateur d'un
gros festival en Georgie avait écouté mon disque et
cherchait à me contacter pour participer à l'événement,
du coup, je m'y rend en octobre !
En fait, c'est face à la passivité des maisons de
disques vis-à-vis de la guitare et de son développement,
que je me suis mis à considérer Internet comme étant
un moyen fort de faire valoir cet instrument, une vitrine, et artistiquement
parlant un lieu où l'union peut faire la force.
Ne crois-tu pas
que les guitaristes français devraient profiter de cette
ouverture sur le monde pour s'exporter aux Etats-Unis, où
ils sont presque plus considérés qu'en France ?
Oui, certainement, seulement il existe une façon de penser
européenne au sens large que les américains ne possèdent
pas. Le phénomène de Pierre Bensusan est un cas isolé
là-bas, il est arrivé à s'y ancrer en touchant
le public par des accents irlandais, puis il a évolué
sur place, s'est "jazzifié", et le public américain
a mûri avec lui.
Quels sont tes
projets ?
D'abord un album duo avec Jean-Félix Lalanne, idée
qui a germé lors des rencontres au Réservoir, et puis
une histoire folle d'un album que j'ai enregistré en 1994
à la suite d'une opération "carte blanche"
que m'avait offerte la ville de Paris au sein du festival de la
Butte Montmartre. J'ai donc fait un spectacle avec des musiciens
de l'ONJ (ndlr : Orchestre National de Jazz), un véritable
quintet à cordes et une chorale de trente cinq personnes
; l'album issu de cette aventure est resté inclassable aux
yeux des maisons de disque, je pense donc le ressortir sur le Net
dès que j'aurais mon propre site. Et puis bien sûr
mon propre album sur lequel je rêve d'un duo avec Christian
Vander, le batteur de Magma, mais aussi des invités comme
Jean-Félix Lalanne, Pierre Bensusan, Gérard Marais,
Renaud Garcia Fons, le contrebassiste le plus fou de sa génération,
bien entendu les deux membres de mon trio. Ce ne sera pas un album
proprement électrique, mais je pense que l'énergie
que l'on peut y mettre donnera à l'arrivée un résultat
proche de l'électrique.
Quel est ton rêve
absolu ?
Tout simplement pouvoir tourner, avoir un agent qui me permet de
me consacrer uniquement à ma musique.
As-tu un coup de
gueule ou un coup de cur à adresser ?
Plutôt un coup de cur au fait de rencontrer tant de
musiciens enrichissants et de retrouver la disponibilité
des ses vingt ans pour jouer avec eux au Réservoir ou ailleurs
!
|