C'est au tout début des seventies, peut-être en 1971
ou 72, que j'ai vu et entendu Dick Annegarn pour la première
fois. Il débarquait à Paris, armé d'une guitare
acoustique
Venant de Belgique ou de Hollande, on ne savait
pas trop
Il était venu au TMS voir s'il " Pouvait
jouer dans le concert du mercredi soir ? ".
Le T.M.S, c 'était un "
Folk club " situé à St Germain des près.
Une association de musiciens dont les piliers étaient Bill
Deraime, Gabriel Yacoub, Phil Fromont, Michel Hindenoch, Alain Dubest,
Youra Marcus, Laurent Gérome, Jean Jacques Milteau et quelques
autres, que j'avais rencontré quelques mois plus tôt
à Lambesc, un petit village près de Marseille ou s'était
déroulé le tout premier festival Folk de France.
En rencontrant ces musiciens, je m'étais rendu compte que
je n'étais plus seul. Et comme eux-mêmes cherchaient
à renforcer leur petite bande, j'avais abandonné ville
natale, études et famille pour rejoindre mes nouveaux amis
dans la capitale.
Il faut dire que loin du " Mainstream " musical de l'époque,
on était un noyau de passionnés, tous branchés
sur les musiques " Roots " américaines, comme le
Blues, le Folk, l'Old time et la vieille Country Music, qu'on avait
découvert après être passés par les cases
Rock et Pop des sixties.
En effet, depuis la fin des années 50, tous les musiciens,
que ce soit Elvis, Gene Vincent ou Ray Charles puis les Beatles,
les Stones et Dylan (surtout lui), parlaient (et reprennaient des
chansons) d'artistes mystèrieux et alors inconnus de nous,
comme Lightnin' Hopkins, Arthur Crudup, Bukka White, Robert Johnson,
Jimmy Reed, Howlin Wolf, Jimmie Rodgers, Doc Watson etc
Au T.M.S, j'avais retrouvé Bill Deraime, déjà
influençé par le blues " spirituel " de
Blind Gary Davis et Big Bill Broonzy, Gabriel Yacoub qui jouait
de la musique Ol' Time, avant de découvrir le patrimoine
musical français, Alain " Mémé "
Dubest (banjoiste), Alain Giroux qui jouait du blues traditionnel,
J. J. Milteau et Laurent Gérome qui formait un duo dans la
lignée de Brownie Mc Ghee & Sonny Terry, Mick Larie et
Jean Marie Redon, les piliers de la musique Bluegrass à Paris,
Youra Marcus, Pat Woods & Kathy Love, Roger Mason, Mary Rhoads
et beaucoup d'autres aussi qui ont depuis disparu de la " Scène
musicale ". C'était aussi le lieu de rendez-vous des
musiciens américains itinérants qui savaient pouvoir
trouver là une ambiance fraternelle et un public de connaisseurs.
Au TMS, il se passait des trucs incroyables : Un après midi
d'un mois d'août, comme je passais au local, Youra Marcus
de permanence ce jour là, m' annonça triomphalement
que Mick Jagger était entré quelques minutes plus
tôt, sans doute attiré par les mots peints sur la vieille
vitre qui donnait sur la rue, des mots comme " blues ",
" old time ", " appalaches ", peu courant sur
une vitrine parisienne. Après s'être informé
de " What it was all about ? " Mr Jagger avait sorti une
liasse de billets de sa poche et offert 1000Frs à l'association.
C 'était pour nous une somme colossale car je me souviens
que le montant du Smig était de 700Frs à l'époque.
Pour les Stones ce devait être la période " Sticky
Fingers " à peu près et c'était plaisant
de voir que ce n'était pas des biftons qui collaient aux
doigts de Mick.
Pour en revenir à Dick et comme il devait le dire lui même
plus tard, avec un peu de décéption, on était
tous très (trop ?) branché sur la musique amèricaine,
très roots, pour composer notre propre musique.
Lui c'était différent, bien qu'il joua de la guitare
dans un style très influençé par le blues et
le folk, il écrivait déjà ses propres chansons.
Le soir de son premier passage au concert du TMS, Il joua une chanson
à lui qui devait bientôt se retrouver sur son premier
disque, je crois que c'était " Bébé éléphant
".
Ce qui nous avait bien " esbrouffé " c'est que
d'une part il chantait en français, lui le flammand ! Et
que d'autre part, ça groovait sa mère, comme on dirait
maintenant. Je ne me souviens pas d'avoir entendu ça avant
lui. Au beau milieu de la chanson, il improvisa un passage instrumental
d'une dizaine de minutes, avant de revenir au chant pour finir le
morceau. Il jouait fantastiquement bien de la guitare, c'était
un vrai chanteur musicien dans la lignée de Bob Dylan ou
Bert Jansch. Quelques années plus tard on devait parler de
" Nouvelle Chanson Française " mais c'était
dans le milieu de la variète, Dick lui, prolongeait la tradition
du folk et du blues avec des chansons en français.
Ce soir là pour clore sa prestation, il avait posé
sa guitare, s'était levé et avait entonné,
à capella, une chanson de Jacques Brel tirée de Don
Quichotte, qui s'appelait, je crois " La quète de l'étoile
", mettant ainsi KO le reste de la petite salle.
J'ai perdu Dick de vue, très vite car il allait enregistrer
un disque à succés et se retrouver dans un autre milieu.
Mais je peux dire qu'il avait fait une forte impression sur tout
le monde ; Musiciens et public et que beaucoup, dont moi-même
ont eu l'impression ce soir là d'assister à la naissance
d'un artiste d'exeption.
Chris
Lancry
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