Interview de Fred Vidalenc, réalisée
le 10 février à Lorient au restaurant " Le Celtic
" à Armor Plage, près de Lorient. Je salue ici
l'accueil reçu dans ce restaurant et remercie Fed pour le
temps passé ensemble.
Nous sommes au bord de la mer
pour retrouver Fred Vidalenc après quelques années
de silence après son premier album solo, " la latitude
des chevaux " . L'ancien bassiste de Noir Désir a enregistré
" quelque chose dans l'ordre ", son nouvel album à
Lorient et c'est là que nous le retrouvons pour en parler.
LaGuitare.com
: la genèse de ce second album a été compliquée
?
Fred Vidalenc : Oui ça a été très
compliqué. Ca a pris énormément de temps. J'avais
la volonté que ce soit un album à la différence
du premier qui soit assez large. Avec des musiciens, des arrangements
et donc des moyens pour le faire, mettre tout ça au point
ça a été compliqué. Et il me fallait
aussi m'y lancer, ça me foutait un peu la trouille. Le premier
était fait en 16 pistes dans une maison avec 4 copains. Là
ça a été un peu pharaonique.
LaGuitare.com : Les musiciens ont
changé
FV : Il n'en reste aucun du premier album..sauf Olivier Mellano
avec qui c'est vraiment une collaboration. On est copain avec Oliver.
Olivier arrive une journée, il fait ses guitares et il repart.
Ce n'est pas une participation au projet complet. C'est vraiment
un type qui arrive. On prend du Mellano on met du Mellano. Moi j'adore
ça. En une demi-journée il fait un travail phénoménal.
C'est un travail très typique, très coloré.
LaGuitare.com : Ce que tu voulais
faire après la sortie de ton premier album c'était
faire des concerts
FV : Sur la première tournée il n'y a pas eu
assez de concerts à mon goût mais c'était difficile.
Il n'y avait pas de promo, j'avais le label qui s'est cassé
la figure pratiquement le jour de la sortie. Les messieurs Prod
était en décrépitude complète à
ce moment là. Je n'avais pratiquement pas de tourneur. Tenir
les musiciens sans programme établi à l'avance c'est
compliqué. Mais il y a eu de bonnes expériences. Je
ne le referai cependant pas de la même façon. Les musiciens
étaient plus protectionnistes que moi. Moi j'aime changer
à chaque coup, à chaque répétition.
La complicité n'a pas vraiment marché.
Laguitare.com : Tu aurais voulu
que les morceaux évoluent davantage sur scène
FV : Oui j'aime qu'ils évoluent d'un concert sur l'autre.
Parce qu'autrement on s'ennuie. Et on s'éteint un peu en
jouant. C'est bien de changer même des choses infimes mais
en changer tout le temps.
Laguitare.com : Alors pour cette
tournée tu vas faire différemment
FV : Ca c'est ce qu'on dit parce qu'à la base le format
est comme il est. Quatre musiciens et un mec et c'est un peu toujours
la même chose. Disons que là il y a eu un choix beaucoup
plus pragmatique de ma part pour les musiciens. Il ne s'agit pas
spécialement de copains ou d'amis mais de gens qui correspondent
au projet. C'est plus un choix de musiciens alors qu'avant c'était
des copains qui étaient là. Curieusement je ne voulais
pas d'un groupe et là c'est pas du tout le cas. Il y a des
choses dont je ne veux pas m'occuper. La balance j'y suis parce
qu'il faut faire ma voix mais j'ai pas envie d'y passer mon temps.
Faire le chef d'orchestre ça me gonfle. Je me dis qu'il peut
y avoir un mec dans le groupe qui sera le chef fera régner
l'ordre. Ca permet à tout le monde d'être plus tranquille.
Laguitare.com : En concert as-tu
plus d'énergie que sur le disque ? Sur les deux disques il
y a pas mal de morceaux doux. Sur la tournée du 1er disque
les morceaux étaient-ils transformés ?
FV : Sur la première tournée il y a eu une
volonté presque imbécile de ma part de vouloir en
faire des morceaux plus cartons. Des fois c'était réussi
d'autres fois
J'ai réécouté récemment
et je me suis demandé " pourquoi tu as fait ça,
il était beau ce morceau, augmenter le tempo et mettre les
grosses guitares c'est complètement crétin ".
Mais j'avais peur. Un morceau tranquille c'est extrêmement
difficile à jouer. Parce qu'il faut rester tranquille et
se dire qu'il faut que ça prenne les gens tranquillement.
Que ça ne se fait pas du premier coup, c'est long à
mettre en place. Il faut vraiment être courageux pour jouer
des morceaux doux. Un morceau avec une grosse intro et " ba
ba ba, ba ba ba " (prononcez très vite ndr) , finalement
quand il s'arrête les gens font " Oh
" et
on ne sait pas si ils sont soulagés ou s'ils ont vraiment
aimé.
Laguitare.com : Justement est-ce
qu'un musicien a peur quand il joue un morceau tranquille et se
dit " bon maintenant il faut que j'aille au bout mais ça
n'a pas l'air de prendre
" ?
FV : Ah oui, c'est le truc le plus compliqué. Même
techniquement c'est compliqué. Mais justement il ne faut
pas se laisser embarquer ni par son allégresse si ça
marche, ni par rien. Il faut rester zen. Moi j'ai un mal de chien
à faire ça. J'ai tendance à accélérer
le tempo. Il faut sortir de soi et ne pas se laisser faire par le
public. Lui dire " ben non tu vas te le bouffer comme ça,
comme il est et c'est pour ça que tu es venu a priori ".
Sans aucun mépris évidemment. C'est comme le courant,
ça tire. Mais il ne faut pas se laisser faire.
Laguitare.com : Tu me diras si je
me trompe mais j'ai l'impression que tu n'aimes pas les grandes
intros. La voix part assez vite.
FV : J'ai tendance à resserrer autour de la chanson.
Sur le nouvel album il y a des morceaux avec des très longues
coda. Des fins très longues. C'était toujours un sujet
d'engeulades entre David Euverte qui a arrangé l'album avec
moi. Parce qu'un morceau ce n'est pas une intro de 2 minutes et
une fin de 3 minutes. C'est ce qu'il y a entre les deux qui m'intéresse
Les arrangeurs ont tendance à t'en rajouter des tonnes.
Laguitare.com : On revient au second
album que j'ai personnellement préféré au premier
peut-être parce que je cherchais trop dans le premier des
choses qu'il n'y avait pas à chercher.
FV : J'estime que le premier est un album super réussi.
Réussi dans ce qui était son projet. Je ne m'attendais
pas à ce que ce soit un succès mondial. Cet album
a fait exactement ce qu'il devait faire. Je ne savais pas chanter
à part faire les churs et donc je m'y suis mis. Je
me suis mis à écrire. Et il est sorti de tout ça
quelque chose de très très personnel. Entre le premier
album et le second il y a un fil conducteur très très
fort. Un autre savoir faire, une autre façon de faire les
choses. Une décision d'arranger plus. Je me demande si le
premier ne s'usera pas moins vite.
Laguitare.com
: Lors
de notre premier entretien tu nous disais que ce premier disque
allait gagner en maturité sur le long terme. Exactement ce
que tu redis là.
FV : Je n'ai pas écouté " la latitude
des chevaux " pendant très longtemps et comme on est
en train de préparer la tournée on l'a écouté.
J'étais très agréablement surpris. Alors que
je ne pouvais plus le voir en peinture. Et à la réécoute
j'aime bien.
Laguitare.com : C'est aussi la remarque que je me suis faite
; le second disque m'apprend à mieux comprendre le premier.
FV : Oui j'espère que c'est comme ça. Au moment où
l'on commence à envisager les chansons pour les jouer sur
scène, le réservoir du premier album plait aux musiciens.
Je suis fier de ce premier disque. Il est petit, réussi,
il est sensible et c'était exactement le projet.
Laguitare.com : Qu'est ce qui pousse
après ça à faire un nouveau disque ?
FV : Se soigner du premier
C'est toujours comme ça.
Dès qu'on a eu fini le dernier j'ai commencé à
me demander quelles choses j'allais mettre en branle pour en faire
un troisième, pour réparer les imperfections que je
vois dans celui-là. Et pour aller un petit peu plus loin.
Parce que forcément c'est une photo. Même si avec les
solutions numériques, jusqu'à ce que le disque soit
dans les bacs, tu peux le retoucher. Moi j'aurais tendance à
le retoucher ad vitam eternam.
J'ai déjà commencé à bidouiller des
trucs pour le prochain album. Parce que quand c'est fini, c'est
fini. C'est un très joli jouet de faire un album. Tu es avec
des musiciens, c'est ton travail et c'est une chose que tu aimes.
C'est mieux que d'être à Disneyland. C'est le plus
beau mecano du monde.Quand tu es en train de le faire tu es fatigué,
tu es en colère, tu râles parce que c'est dur, ça
dure tard le soir, parce que c'est très très humain
Laguitare.com : Tu n'as jamais eu
envie de refaire une chanson qui était sur l'album précédent
?
FV : Je l'ai fait entre le premier et le second. J'ai changé
le texte. Sur le 1er CD il y a " la femme sans racine "
et sur le suivant " l'homme aux deux mains droites ".
J'ai fait une suite. C'est une réponse. Le premier texte
était d'Agnès Desmaret et moi je suis parti dans l'autre
point de vue. J'aurais voulu avoir écrit le texte de "
la femme sans racine " et j'ai tourné ça dans
ma tête pour la remettre sur le disque.
Laguitare.com : Dans les textes
on a l'impression de bien voir ta vie actuelle, ou en tout cas ce
que tu veux en donner
FV : De ce côté là il y a une différence
entre le premier et le second. Il y a beaucoup plus de fables dans
le second. Et beaucoup plus de personnages aussi. Les textes je
les écris pendant qu'on enregistre. J'ai écrit "
les chevaux de Mangin " parce que le morceau demandait ça.
Une histoire un peu épique, historique. Ca ça n'existait
pas dans le premier.
Lisa c'est quelqu'un qui " aglomère " plein de
gens.
Le simple fait de dire un nom change complètement la donne.
Agnès Desmaret qui a écrit des textes du premier album
m'a toujours dit il faut dire " je " mais je n'y crois
pas. Dire " je ", absolument c'est s'enlever beaucoup
de latitude.
Laguitare.com : et " nous avons
changé les pièces " (extrait de " le Périmètre
") qu'est ce que ça veut dire ?
FV : C'est un texte différent car il se trouve que
pendant l'élaboration de cet album j'ai perdu mes parents.
Et c'est un texte que j'avais écrit à la mort de ma
mère. C'est un morceau qui parle de manière très
cru de la mort de ma mère. Et du rapport d'un homme qui devient
adulte, à son corps défendant. Parce que cette perte
est quelque chose qui catapulte. Ca s'est passé au moment
où tout le monde autour de moi se posait des questions sur
les euros et les francs et toutes les questions dès qu'il
fallait occuper la discussion c'était " ah..on change
les pièces de monnaie ".
Ca peut être pris de plein de façons mais la réalité
c'est ça. Je me souviens d'avoir vu tous ces gens qui étaient
complètement atteints et qui finalement, quand il n'y avait
rien à dire disaient " mais ça fait combien ça
en francs ? ".
Laguitare.com : C'est l'une des chansons fortes de l'album
FV : C'est une chanson très particulière. A
mon avis c'est une chanson qui n'a pas été écrite
en même temps que les autres. Elle est très typée.
Il y avait une volonté de colère. Ce qui est assez
rare chez moi. La volonté qu'il n'y ait pas de guitare dans
la partie enlevée. Je voulais que ça reste froid.
C'est beaucoup plus violent comme ça.
Laguitare.com : En 2002 tu nous
disais que pour le 1er disque tu avais un peu lâché
la basse pour te concentrer sur les guitares avec une configuration
très " noir desir ", à peine une pédale
de disto' en plus
As tu aujourd'hui trouvé un équilibre
entre les deux instruments ?
FV : Le meilleur équilibre que je pourrais trouver
c'est de ne plus en jouer. Je ne voudrais plus jouer de guitare
sur scène. En studio j'aime ça parce que j'ai un jeu
un peu particulier, assez rigolo et qui se reconnaît, qui
donne des solutions. Pour ça je le fais. Mais sur scène
je m'aperçois que je chante beaucoup mieux si je n'ai pas
à jouer de guitare. Mais on n'a pas de gros moyens alors
on me colle une guitare (rires).
Laguitare.com : On dit souvent que
le bassiste se cache derrière sa basse. Te sentais-tu frustré
dans Noir Désir d'être derrière la basse ?
FV : Absolument pas. C'est tout sauf un instrument frustrant.
C'est un instrument de puissance et un instrument de pouvoir. C'est
toi qui est placé à côté du batteur,
qui maintient le lien entre les guitares, c'est toi qui fabrique
la pompe, la puissance. C'est tout sauf frustrant. Il suffit de
s'arrêter pendant 30 secondes pour s'apercevoir que ça
pose un énorme problème et que tout le monde s'en
rend compte. Même si personne n'est capable de chanter une
basse c'est un instrument qui est élégant. J'adore
cet instrument.
Laguitare.com : Peu savent quel
était le rôle de chaque membre de Noir Désir
lorsque vous faisiez des chansons
.
FV : Bertrand écrivait les textes, j'aimais beaucoup ce qu'il
écrivait. Le groupe existait comme ça. Avec une écriture
assez rare. Après j'ai fait mon 1er album, j'ai commencé
à travailler avec Agnès Desmaret parce que je croyais
ne pas pouvoir écrire les textes. Et peu à peu je
l'ai poussée dehors. Maintenant je le fais tout seul parce
que je préfère.
Ecrire les textes c'est la partie qui m'amuse le plus. Là
dessus j'ai la théorie " de l'extrême fatigue
". Tu es en studio et à un moment tu es tellement fatigué
que les portes de la perception s'ouvrent. Ca ouvre la sensibilité.
Moi j'écris pour la musique, dans la musique.
Laguitare.com : Sur le premier disque
il y a Isabelle Becker et Jean Paul Roy, c'était une fin
de Noir Désir ou pas ?
FV : Pas du tout. Quand j'ai écrit le texte sur le
1er je me suis dit " ça c'est pour Isabelle ".
On l'a fait chanter dans un timbre qui est très très
bien. Alors que j'aime pas du tout quand elle chante dans Edgard
de l'est. Mais j'adore sa voix. D'ailleurs maintenant elle fait
du rock.
Quant à Jean Paul j'aimais beaucoup la basse de " A
ton étoile ". Moi la walking bass' je ne sais pas faire.
J'ai donc demandé à Jean Paul de venir faire ça.
Mais ça n'a rien à voir avec les histoires noir désiriennes
Laguitare.com : Y-a-il un lien entre
le septembre de " Lisa des ombres " (un titre du 2e album)
et " septembre en attendant " (titre écrit par
Fred Vidalenc pour l'album 666 667 club de Noir désir) ?
FV : Oui oui
le mot septembre
Non sérieusement
oui car je pense que c'est exactement le " septembre "
que Bertrand évoque dans " septembre en attendant ".
Celui où l'on attend. Je pense qu'on parle un peu du même
septembre
du même concept
C'est la culture Noir
désir ça..Septembre c'est ça
C'est la
forme ou la musicalité du mot qui évoque l'attente
du " désert des tartares "...C'est la fin d'une
période, septembre. C'est la fin des beaux jours et pourtant
il fait très beau. Les ombres sont très allongées.
C'est une période de fin, de nostalgie, d'attente
Laguitare.com : Et toi, tu attends
quelque chose alors
FV : (silence
). Ca c'est une question vraiment compliquée
Moitessier dit qu'il faut parfois savoir être la moule qui
laisse passer l'eau à travers elle
Mais je n'ai pas une attente particulière.
Laguitare.com : Que penses-tu de
" des visages des figures " ?
FV : J'adore la moitié. Il y a une partie qui est
complètement nouvelle, " l'appartement ". Tous
ces morceaux un petit peu étranges
et puis après
il y a un peu le rappel à la maison, on rallume les grosses
guitares, Nini fait tchim poum poum et ça monte. Mais j'adore
cette première partie, " le vent l'emportera "
C'est
un album que j'aime beaucoup. J'avais appelé Bertrand qui
m'avait dit " on ne pourra jamais le jouer sur scène
". J'aime bien les usines à gaz. Quand cet album est
sorti j'avais vraiment les boules de pas y être.
Laguitare.com : Et " 666 "
?
FV : 666 était un album de transition et un album
qui n'injuriait pas l'avenir.
Laguitare.com : Je voulais te parler
des pochettes
celle de ton dernier album est je trouve torturée
FV :
c'est " quelque chose dans l'ordre "
Ce
qui est ostensible c'est qu'il n'y a pas de visage. C'est une réaction
car en ce moment tout le monde a une photo en noir et blanc sur
les pochette. C'est joli et on voit bien le mec. Sur la mienne on
ne voit pas le visage. Mais ce n'est pas torturée en fait.
C'est une photo animal. Après l'intérieur de l'album
est assez froid. Je suis très content de cette pochette.
Laguitare.com : Et la tournée
pour cet album ?
FV : Ce sera pour Avril Mai. J'aimerais un système
plus boisée que sur le premier album.
Laguitare.com : Avec ces deux albums,
savais tu que tu déconcerterais les fans de Noir Désir
?
FV : Non je crois pas que ce soit si déconcertant
que ça
Et d'ailleurs plein de gens ne sont pas du tout
déconcertés. Je crois que j'avais un apport à
l'intérieur de Noir Désir dont ce que je fais est
très très représentatif. Donc je ne pense pas
que l'album soit si déconcertant que ça
Propos recueillis par Julien
Chosalland
Site web : http://www.fred-vidalenc.com
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