Tu as débuté
la guitare de haut niveau très jeune, comment ces moments
privilégiés ont-ils été vécus
par ton entourage (amis, famille ...) et par toi même ?
Avais-tu l'impression de vivre une enfance différente ?
dans une "bulle" ? Avais-tu conscience d'être
une "enfant prodige" ?
Etant enfant, je n'ai jamais eu le sentiment d'être
une enfant prodige. C'est en grandissant que j'ai compris ce que
j'avais vécu. J'ai pris conscience de ma différence
le jour où j'ai eu à quitter ma famille quand j'ai
eu 13 ans pour vivre en pensionnat afin de pouvoir suivre l'enseignement
du conservatoire de Toulouse.
A l'époque, l'enseignement de
la guitare n'était pas si répandu et il n'y avait
pas vraiment de structures adaptées pour m'accueillir.
Ma famille et moi-même avons souffert de l'éloignement
et pour ce, j'ai du grandir alors que je n'en avais pas envie
et que je n'en avais pas l'âge.
Je t'ai vue à Issoudun nous jouer "les variations
sur le Carnaval de Venise", départ classique puis
détour par le picking, c'est un magnifique résumé
de ton étonnant et unique parcours : flamenco, classique,
jazz, picking. Hormis la guitare, quel est, pour toi, le lien
entre tous ces genres, qui ordinairement vivent plutôt les
uns à coté des autres ? A ce propos, Il semble que
les guitaristes classique aient peu de contact entre eux ?
Le lien que tu as pu sentir à Issoudun
c'est celui que génèrent la passion de la musique
et la volonté d'en apprendre toujours plus. Il est vrai
que les guitaristes classiques vivent très en marge des
autres musiciens. Il n'y a pas de culture de partage de la musique
dans la guitare classique. Le répertoire est essentiellement
soliste, peu de musique de chambre et sans sa partition le guitariste
classique est démuni face aux musiciens de culture de transmission
orale.
Quelles sont les rencontres
importantes ?
Celles qui ont marqué, transformé ton style ?
Ma rencontre avec Marcel Dadi a été décisive
pour l'ouverture de l'esprit qu'il avait et qu'il m'a apportée
ce qui a rendu possible mon évolution musicale. A ses côtés,
j'ai découvert une multitude de guitaristes de talent.
J'ai appris la pensée harmonique de la guitare, l'instinct
musical et surtout pris confiance en moi. Car mes études
classiques m'avaient jusqu'alors enseigné les références
et le passé. Marcel a été le premier à
me dire que j'avais des choses à dire moi aussi et il m'a
encouragée à créer et à composer.
C'est ainsi que j'ai rencontré beaucoup de guitaristes
de styles différents qui ont enrichi ma vie musicale.
Comment une femme évolue-t-elle
au sein de ces milieux essentiellement masculins ? Je pense notamment
au picking.
A cette question je répondrai qu'il est plus
facile d'être femme dans le monde du picking que dans le
milieu du classique. Parce que c'est un style plus jeune et d'origine
américaine où les femmes sont depuis bien longtemps
les égales de l'homme.
Avec cette reconnaissance dans
ce monde du picking et de la country, tes contacts avec les grands
de la guitare US, n'as tu jamais eu envie de franchir le pas vers
un style différent, folk, country ?
La guitare est un instrument difficile et je ne
conçois pas qu'on puisse la jouer médiocrement.
Franchir le pas pour bien jouer un autre style voudrait dire un
investissement au moins à 90% pour obtenir cette perfection.
D'autre part, après m'être souvent posée des
questions, je sais enfin que c'est à travers la technique
et la culture avec laquelle j'ai grandi que je saurais le mieux
transmettre ce que j'ai à dire.
Tu parles de rencontre décisive
avec une guitare "Paulino Bernabé"
de concert. Explique nous ce rapport particulier entre
l'artiste et son instrument.
Rencontrer un instrument c'est se faire l'un à
l'autre. Le parcours de cette découverte est long. Cette
rencontre est aussi souvent jalonnée d'évènements.
La preuve, c'est en faisant l'acquisition de cette Bernabé
de concert que j'ai rencontré le représentant de
ce luthier qui était aussi le représentant de José
Ramirez qui travaillait à l'époque avec Marcel
sur un prototype de guitare classique amplifiée.
Que recherches-tu d'abord dans une guitare, selon les styles
joués bien sur ? Quelles autres guitares transcendent ton
jeu ?
Que possèdes-tu
comme modèles ?
Mon premier critère dans le choix d'une guitare
est son confort de jeu. Ensuite, je suis intransigeante sur l'équilibre
aigu-basse. J'ai trouvé chez le luthier Gérard
Audirac une réponse à ces recherches et je possède
trois de ses guitares que je pratique au quotidien. J'ai également
eu une Friedrich de 1968 que j'adorais mais que j'ai été
obligée de vendre. J'ai également 2 Godin,
une Multiac et une Duet que j'ai beaucoup jouées à
une époque où les scènes que j'abordais s'y
prêtaient.
Je sais qu'en
guitare classique, il y a des morceaux inévitables. Mais
comment expliques-tu que sur 4 cd reçus récemment,
on retrouve 3 fois "Asturias", 3 fois "Recuerdos
de l'Alhambra" 2 fois "Sevilla" ? C'est une démarche
assez typique du classique et même plutôt du monde
des interprètes, qu'on retrouve aussi dans le monde du
picking voire du jazz mais qu'on ignore pratiquement dans le rock
par exemple.
En ce qui concerne le rock, les maisons de disques veulent des
inédits afin de pouvoir bénéficier de l'édition
musicale et des droits de leurs compositeurs ce qui leur coûte
moins cher que d'enregistrer des compositions récentes.
C'est à mon avis ce qui explique le peu de reprises dans
le monde du rock outre le fait que généralement
ce soit une musique non écrite.
Les oeuvres classiques comme celles que vous citez sont libres
de droits et ces best font toujours le bonheur des auditeurs.
Le fait qu'elles soient écrites ont permis leur transmission
au travers des siècles.
Curieuse coïncidence, le cd de Vincea McClelland (j'ignore
si vous vous connaissez) "Intermedio" avec Raymond Cousté,
comporte 3 titres communs avec ton cd "America": Missionera/Tango
en Skai/West side story, vous êtes vous concertées
?
West Side Story et Missionnera sont des arrangements de Jorge
Morel que j'ai eu la chance de rencontrer à Nashville
en 1991 grâce à Marcel Dadi. Ce jour là, j'ai
eu la chance que Jorge Morel m'offre tous ses arrangements que
je joue depuis sans me lasser. Quant au Tango en skaï de
Roland Dyens, il y a bien
longtemps que les guitaristes classiques l'ont intégré
à leur répertoire, avec Vincea Mac Clelland,
nous nous sommes rencontrées il y a plus de 20 ans quand
elle est arrivée en France et je crois pouvoir dire que
nous nous apprécions beaucoup...il n'est donc pas étonnant
que nous aimions les mêmes choses.
La majorité des guitaristes classiques ne sont souvent
qu'interprètes, tu es aussi compositrice, ne ressens-tu
pas l'envie de t'investir plus dans la composition ?
Mon aboutissement artistique sera le jour où j'enregistrerai
ma musique. Jusqu'à maintenant j'ai manqué d'assurance
et lorsqu'il m'arrive en public de jouer quelques unes de mes
compositions, j'invente un nom de compositeur.
Le plaisir est de voir que ma musique est appréciée.
Ce désir de composer est omni présent en moi.
Tu prépares, peut-être même est-il déjà
sorti, un cd de chansons de Barbara, peux-tu nous expliquer ce
choix ? Même si les musiques sont importantes chez Barbara,
c'est avant tout quelqu'un à écouter par les textes,
son phrasé et sa manière si particulière
de chanter ? Comment as-tu fait pour faire ressortir aussi fortement
ces particularité au travers de tes interprétations
? Ce rendu est déjà extraordinaire sur ton précédent
cd "America" et la chanson " Gottingen ".
On jurerait l'entendre chanter.
Au départ, lorsque j'ai proposé Barbara à
mon éditeur c'est tout simplement parce que j'aimais cette
femme, ce qu'elle disait. Et puis, en travaillant et en faisant
des
recherches sur elle, j'ai retrouvé des similitudes entre
son vécu et le mien. Comme par exemple le fait qu'elle
ait été longtemps interprète avant de se
révéler en tant
qu'auteur-compositeur. Sa première chanson as été"
Dis quand reviendras-tu ?". Ensuite, sa vie fait, qu'au delà
des mots, je me sens en osmose avec ses mélodies, ses musiques
me parlent sans mot. J'espère que ce livre CD sera prêt
pour Musicora.
A propos du cd "America",
que t'as apporté cet incroyable personnage qu'est Thom
Bresh pendant l'enregistrement à Nashville ?
Tom Bresh est vraiment un personnage extraordinaire. Outre
ses talents de guitaristes, il est aussi à l'aise derrière
une console de studio que sur un ordinateur (il s'occupe lui même
de son propre site) ou derrière une caméra puisqu'il
réalise aussi des films. A propos de cet enregistrement,
il m'a particulièrement appris une autre façon d'enregistrer,
sans aucune pression, à l'américaine. Sa seule différence
avec les autres Américains c'est qu'avec Tom, tout se termine
toujours avec un bon foie gras et une bouteille de vin français.
Vend on "beaucoup" de disque dans le milieu classique
?
- Les ventes de CD de guitare classique sont moins qu'un dé
à coudre dans le monde du classique et une vente aux alentours
de 3000 exemplaires est déjà satisfaisante. Les
meilleures ventes sont celles que nous faisons sur les concerts.
Voilà pourquoi je suis particulièrement fière
que mon CD Peace and Happiness for a new millenium *
qui est sorti à l'occasion du passage à l'an
2000 ait été diffusé à 17 000 exemplaires
même s'il n'a pas utilisé les réseaux de distribution
normaux.
* magnifique CD 4 titres: Adagio G mineur
: T.Albinoni -Concerto n°1 en E mineur OP-11(2) : F. Chopin
-Prélude en D mineur : J.S Bach -Recuerdos de l'Alhambra
(F. Tarrega)
Jamais de lassitude ? De regrets
? Aurais-tu aimé faire autre chose ?
J'ai connu beaucoup de lassitude et de doutes et j'ai souvent
regretté de ne pas pouvoir poursuivre mes études.
Si je n'avais pas été guitariste professionnelle
j'aurais aimé devenir journaliste... Aujourd'hui je suis
mariée ...avec un journaliste.
Des projets ?
- Mes projets se limitent pour l'instant au travail qui m'attend
dans les semaines qui viennent. Je viens de terminer l'enregistrement
du concerto opus 30 de Giuliani qui va déboucher
sur une tournée d'une vingtaine de dates, puis l'enregistrement
de ces 12 chansons de Barbara que je souhaite monter en
spectacle avec une comédienne l'automne prochain. Je vais
également avoir l'immense honneur de représenter
la guitare classique à la Convention de Soave (en
Italie) où je vais retrouver tous mes amis du picking.
Que penses-tu de la presse guitaristique en général,
du travail et de l'impact des sites web amateurs comme le notre
vis à vis du monde de la guitare ? Quel est ton rapport
avec cette presse ?
Je pense qu'heureusement qu'il y a une presse spécialisée
pour les guitaristes car on ne peut pas dire que la guitare soit
mise à l'honneur dans la presse musicale (en général
une critique sur cent dans des magazines comme Diapason ou Classica
et encore pas tous les mois.). Vous faîtes un travail de
passionnés, indispensable pour la survie des guitaristes
professionnels et amateurs. Je consulte énormément
de sites de guitare et c'est une source incroyable de connaissance
qui est mise à notre disposition.
Jph
le Février 2002
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