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 Valérie DUCHATEAU
Interview

Tu as débuté la guitare de haut niveau très jeune, comment ces moments privilégiés ont-ils été vécus par ton entourage (amis, famille ...) et par toi même ? Avais-tu l'impression de vivre une enfance différente ? dans une "bulle" ? Avais-tu conscience d'être une "enfant prodige" ?
Etant enfant, je n'ai jamais eu le sentiment d'être une enfant prodige. C'est en grandissant que j'ai compris ce que j'avais vécu. J'ai pris conscience de ma différence le jour où j'ai eu à quitter ma famille quand j'ai eu 13 ans pour vivre en pensionnat afin de pouvoir suivre l'enseignement du conservatoire de Toulouse.
  A l'époque, l'enseignement de la guitare n'était pas si répandu et il n'y avait pas vraiment de structures adaptées pour m'accueillir. Ma famille et moi-même avons souffert de l'éloignement et pour ce, j'ai du grandir alors que je n'en avais pas envie et que je n'en avais pas l'âge.

Je t'ai vue à Issoudun nous jouer "les variations sur le Carnaval de Venise", départ classique puis détour par le picking, c'est un magnifique résumé de ton étonnant et unique parcours : flamenco, classique, jazz, picking. Hormis la guitare, quel est, pour toi, le lien entre tous ces genres, qui ordinairement vivent plutôt les uns à coté des autres ? A ce propos, Il semble que les guitaristes classique aient peu de contact entre eux ?
 Le lien que tu as pu sentir à Issoudun c'est celui que génèrent la passion de la musique et la volonté d'en apprendre toujours plus. Il est vrai que les guitaristes classiques vivent très en marge des autres musiciens. Il n'y a pas de culture de partage de la musique dans la guitare classique. Le répertoire est essentiellement soliste, peu de musique de chambre et sans sa partition le guitariste classique est démuni face aux musiciens de culture de transmission orale.

Quelles sont les rencontres importantes ?
Celles qui ont marqué, transformé ton style ?

Ma rencontre avec Marcel Dadi a été décisive pour l'ouverture de l'esprit qu'il avait et qu'il m'a apportée ce qui a rendu possible mon évolution musicale. A ses côtés, j'ai découvert une multitude de guitaristes de talent. J'ai appris la pensée harmonique de la guitare, l'instinct musical et surtout pris confiance en moi. Car mes études classiques m'avaient jusqu'alors enseigné les références et le passé. Marcel a été le premier à me dire que j'avais des choses à dire moi aussi et il m'a encouragée à créer et à composer. C'est ainsi que j'ai rencontré beaucoup de guitaristes de styles différents qui ont enrichi ma vie musicale.

Comment une femme évolue-t-elle au sein de ces milieux essentiellement masculins ? Je pense notamment au picking.
A cette question je répondrai qu'il est plus facile d'être femme dans le monde du picking que dans le milieu du classique. Parce que c'est un style plus jeune et d'origine américaine où les femmes sont depuis bien longtemps les égales de l'homme.

Avec cette reconnaissance dans ce monde du picking et de la country, tes contacts avec les grands de la guitare US, n'as tu jamais eu envie de franchir le pas vers un style différent, folk, country ?
La guitare est un instrument difficile et je ne conçois pas qu'on puisse la jouer médiocrement. Franchir le pas pour bien jouer un autre style voudrait dire un investissement au moins à 90% pour obtenir cette perfection. D'autre part, après m'être souvent posée des questions, je sais enfin que c'est à travers la technique et la culture avec laquelle j'ai grandi que je saurais le mieux transmettre ce que j'ai à dire.

Tu parles de rencontre décisive avec une guitare "Paulino Bernabé" de concert. Explique nous ce rapport particulier entre l'artiste et son instrument.
Rencontrer un instrument c'est se faire l'un à l'autre. Le parcours de cette découverte est long. Cette rencontre est aussi souvent jalonnée d'évènements. La preuve, c'est en faisant l'acquisition de cette Bernabé de concert que j'ai rencontré le représentant de ce luthier qui était aussi le représentant de José Ramirez qui travaillait à l'époque avec Marcel sur un prototype de guitare classique amplifiée.


Que recherches-tu d'abord dans une guitare, selon les styles joués bien sur ? Quelles autres guitares transcendent ton jeu ?
Que possèdes-tu comme modèles ?
Mon premier critère dans le choix d'une guitare est son confort de jeu. Ensuite, je suis intransigeante sur l'équilibre aigu-basse. J'ai trouvé chez le luthier Gérard Audirac une réponse à ces recherches et je possède trois de ses guitares que je pratique au quotidien. J'ai également eu une Friedrich de 1968 que j'adorais mais que j'ai été obligée de vendre. J'ai également 2 Godin, une Multiac et une Duet que j'ai beaucoup jouées à une époque où les scènes que j'abordais s'y prêtaient.

Je sais qu'en guitare classique, il y a des morceaux inévitables. Mais comment expliques-tu que sur 4 cd reçus récemment, on retrouve 3 fois "Asturias", 3 fois "Recuerdos de l'Alhambra" 2 fois "Sevilla" ? C'est une démarche assez typique du classique et même plutôt du monde des interprètes, qu'on retrouve aussi dans le monde du picking voire du jazz mais qu'on ignore pratiquement dans le rock par exemple.
En ce qui concerne le rock, les maisons de disques veulent des inédits afin de pouvoir bénéficier de l'édition musicale et des droits de leurs compositeurs ce qui leur coûte moins cher que d'enregistrer des compositions récentes. C'est à mon avis ce qui explique le peu de reprises dans le monde du rock outre le fait que généralement ce soit une musique non écrite.
Les oeuvres classiques comme celles que vous citez sont libres de droits et ces best font toujours le bonheur des auditeurs. Le fait qu'elles soient écrites ont permis leur transmission au travers des siècles.


Curieuse coïncidence, le cd de Vincea McClelland (j'ignore si vous vous connaissez) "Intermedio" avec Raymond Cousté, comporte 3 titres communs avec ton cd "America": Missionera/Tango en Skai/West side story, vous êtes vous concertées ?
West Side Story et Missionnera sont des arrangements de Jorge Morel que j'ai eu la chance de rencontrer à Nashville en 1991 grâce à Marcel Dadi. Ce jour là, j'ai eu la chance que Jorge Morel m'offre tous ses arrangements que je joue depuis sans me lasser. Quant au Tango en skaï de Roland Dyens, il y a bien
longtemps que les guitaristes classiques l'ont intégré à leur répertoire, avec Vincea Mac Clelland, nous nous sommes rencontrées il y a plus de 20 ans quand elle est arrivée en France et je crois pouvoir dire que nous nous apprécions beaucoup...il n'est donc pas étonnant que nous aimions les mêmes choses.


La majorité des guitaristes classiques ne sont souvent qu'interprètes, tu es aussi compositrice, ne ressens-tu pas l'envie de t'investir plus dans la composition ?
Mon aboutissement artistique sera le jour où j'enregistrerai ma musique. Jusqu'à maintenant j'ai manqué d'assurance et lorsqu'il m'arrive en public de jouer quelques unes de mes compositions, j'invente un nom de compositeur.
Le plaisir est de voir que ma musique est appréciée. Ce désir de composer est omni présent en moi.


Tu prépares, peut-être même est-il déjà sorti, un cd de chansons de Barbara, peux-tu nous expliquer ce choix ? Même si les musiques sont importantes chez Barbara, c'est avant tout quelqu'un à écouter par les textes, son phrasé et sa manière si particulière de chanter ? Comment as-tu fait pour faire ressortir aussi fortement ces particularité au travers de tes interprétations ? Ce rendu est déjà extraordinaire sur ton précédent cd "America" et la chanson " Gottingen ". On jurerait l'entendre chanter.
Au départ, lorsque j'ai proposé Barbara à mon éditeur c'est tout simplement parce que j'aimais cette femme, ce qu'elle disait. Et puis, en travaillant et en faisant des
recherches sur elle, j'ai retrouvé des similitudes entre son vécu et le mien. Comme par exemple le fait qu'elle ait été longtemps interprète avant de se révéler en tant
qu'auteur-compositeur. Sa première chanson as été" Dis quand reviendras-tu ?". Ensuite, sa vie fait, qu'au delà des mots, je me sens en osmose avec ses mélodies, ses musiques me parlent sans mot. J'espère que ce livre CD sera prêt pour Musicora.

A propos du cd "America", que t'as apporté cet incroyable personnage qu'est Thom Bresh pendant l'enregistrement à Nashville ?
Tom Bresh est vraiment un personnage extraordinaire. Outre ses talents de guitaristes, il est aussi à l'aise derrière une console de studio que sur un ordinateur (il s'occupe lui même de son propre site) ou derrière une caméra puisqu'il réalise aussi des films. A propos de cet enregistrement, il m'a particulièrement appris une autre façon d'enregistrer, sans aucune pression, à l'américaine. Sa seule différence avec les autres Américains c'est qu'avec Tom, tout se termine toujours avec un bon foie gras et une bouteille de vin français.

Vend on "beaucoup" de disque dans le milieu classique ?
- Les ventes de CD de guitare classique sont moins qu'un dé à coudre dans le monde du classique et une vente aux alentours de 3000 exemplaires est déjà satisfaisante. Les meilleures ventes sont celles que nous faisons sur les concerts. Voilà pourquoi je suis particulièrement fière que mon CD Peace and Happiness for a new millenium * qui est sorti à l'occasion du passage à l'an 2000 ait été diffusé à 17 000 exemplaires même s'il n'a pas utilisé les réseaux de distribution normaux.
* magnifique CD 4 titres: Adagio G mineur : T.Albinoni -Concerto n°1 en E mineur OP-11(2) : F. Chopin -Prélude en D mineur : J.S Bach -Recuerdos de l'Alhambra (F. Tarrega)

Jamais de lassitude ? De regrets ? Aurais-tu aimé faire autre chose ?
J'ai connu beaucoup de lassitude et de doutes et j'ai souvent regretté de ne pas pouvoir poursuivre mes études. Si je n'avais pas été guitariste professionnelle j'aurais aimé devenir journaliste... Aujourd'hui je suis mariée ...avec un journaliste.

Des projets ?
- Mes projets se limitent pour l'instant au travail qui m'attend dans les semaines qui viennent. Je viens de terminer l'enregistrement du concerto opus 30 de Giuliani qui va déboucher sur une tournée d'une vingtaine de dates, puis l'enregistrement de ces 12 chansons de Barbara que je souhaite monter en spectacle avec une comédienne l'automne prochain. Je vais également avoir l'immense honneur de représenter la guitare classique à la Convention de Soave (en Italie) où je vais retrouver tous mes amis du picking.


Que penses-tu de la presse guitaristique en général, du travail et de l'impact des sites web amateurs comme le notre vis à vis du monde de la guitare ? Quel est ton rapport avec cette presse ?
Je pense qu'heureusement qu'il y a une presse spécialisée pour les guitaristes car on ne peut pas dire que la guitare soit mise à l'honneur dans la presse musicale (en général une critique sur cent dans des magazines comme Diapason ou Classica et encore pas tous les mois.). Vous faîtes un travail de passionnés, indispensable pour la survie des guitaristes professionnels et amateurs. Je consulte énormément de sites de guitare et c'est une source incroyable de connaissance qui est mise à notre disposition.

Jph le Février 2002

 

Valérie DUCHATEAU -
1 - Présentation
2 - Le cd
3 - L'interview