J.A.: Pouvez-vous nous donner une idée du contenu des deux livres ?
Ervin : Oui. Mais permettez-moi de vous répondre de cette façon: quand j’ai commencé à fabriquer des guitares il y a plus de 40 ans, il y avait peu ou pas d’information sur la manière de créer ce mystérieux mais combien romantique instrument. Aujourd’hui, il y a des douzaines de livre, DVD et matériel didactique sur le sujet. Par contre, il y a très peu ou pas d’explication complète sur comment une guitare devrait sonner ou comment une meilleure guitare est différente d’une médiocre ou même sur comment faire la différence. Les jeunes luthiers commencent à constater cette lacune après avoir complété 5 ou 6 guitares, en réalisant (1) que leurs guitares sonnent différemment même si elles ont été faites de la même manière avec les mêmes mesures, et (2) ils ne savent pas pourquoi.
Mon premier volume fait état de ma propre approche et méthodes pour la construction d’une guitare. Le deuxième livre couvre les principes et les subtilités de la boite de résonnance d’une guitare, et ce qu’on doit comprendre et savoir pour lui donner sa pleine voix. Les deux livres sont donc complémentaires.
J’aime croire que le livre de recette «Comment Bâtir» est le plus complet des livres produits sur le sujet. Il y a par exemple des sections complètes sur l’organisation de l’atelier, les matériaux et même les outils.
Il y a des discussions sur les deux sujets les plus importants pour les guitaristes : les problèmes d’intonation et la «jouabilité» physique de l’instrument. Pour le luthier, il y a des chapitres spéciaux sur la manière d’évaluer son propre travail et celui des autres et les notions très importantes pour un jeune luthier de marketing de ses guitares.
Le deuxième livre est une première. Personne d’autre n’a publié à ce jour un compendium aussi complet sur les problématiques tonales de la guitare.
J.A.: Problématiques tonales… Comment peut-on expliquer le son sur papier sans avoir l‘instrument entre les mains ou sur vidéo pour en faire la démonstration ?
Ervin : Décrire le son sur papier n’est pas facile, particulièrement due au fait qu’il y a un manque flagrant de vocabulaire et de consistance de vocabulaire pour adresser la question. Donc la première chose à faire est de définir et expliquer la terminologie. Et à cet effet, j’ai inclu un chapitre entier à l’explication des mots, du langage et du jargon de la musique. Bien que ce ne soit pas la même chose que de l’entendre avec l’aide d’un guide expérimenté, je considère que c’est un bon début.
Les problématiques du son que je décris ne sont pas celles abstraites qu’on trouverait dans un livre sur la physique de l’acoustique : elles sont bien réelles. Et dans ce métier, ces problèmes sont associés directement à des techniques et les procédures du travail du bois. Elles sont décrites en détail. Je suggère à mes lecteurs non seulement de suivre mon procédé, mais de le faire lentement, dans une pièce où la tranquillité est de mise et où l’écoute est facile, c’est la clé : ce genre de travail doit se faire de manière intime et on doit acquérir des qualités d’écoute.
Et à cet égard, je crois que d’apprendre à écouter le son du bois est similaire à l’apprentissage de l’écoute du son produit par les cordes sur une guitare.
Le fait est que le son transporte de l’information – que ce soit le moteur d’une voiture, deux substances en collision, les millions de nuances et d’inflexions de la voix humaine, le jappement d’un chien, la respiration, le battement d’un cœur et donc celui du sablage et tapement d’une table d’harmonie. Et l’oreille humaine a une capacité formidable de discernement des nuances. Par contre, peu d’entre nous ont eu la chance d’entrainer leurs oreilles.
Je donne des instructions spécifiques pour l’écoute. J’identifie le genre de sons qu’on peut s’attendre à rencontrer, et ce qu’ils signifient en ce qui a trait à la structure de l’instrument. Puis j’identifie le type de changements sonores qu’on doit rechercher et qui annonceront une évolution dans la voix de la guitare (une fois les cordes sur la guitare). Je crois avoir développé une approche qui aidera réellement les luthiers. Plusieurs de mes amis et collègues ont lu mes manuscrits et m’ont avoué que le chapitre sur la voix de la guitare furent une révélation pour eux car j’avais réussi à identifier des techniques dont ils ne soupçonnaient pas l’existence et qui sont faciles à identifier et mettre en pratique.
Votre question adresse une préoccupation fondamentale de l’enseignement.
Sommes-nous mieux de tout expliquer en détail de manière à ce que personne n’ait rien à faire pour comprendre ce qu’on leur communique ou y a-t-il une valeur à ne présenter que les grands thèmes et peut-être suggérer ce qui se passe derrière l’explication, de manière à ce que notre auditoire soit invité à user de sa propre intelligence et puisse bénéficier d’un apprentissage plus profond en participant avec sa propre intelligence, son propre travail de manière à apprendre de l’expérience ?
Le bénéfice dans ce cas est que notre auditoire est impliqué de manière plus importante et qu’il participe à la découverte et au plaisir que celui-ci offre. Cette différence est très bien illustrée dans les films américains vs les européens.
En substance, c’est la différence entre faire de son auditoire un récepteur passif ou inviter la participation individuelle, les efforts et l’apprentissage.
C’est aussi la différence entre L’ENSEIGNEMENT, la fonction de communiquer de l’information et L’ÉDUCATION, la fonction de facilité la compréhension.
J’espère avoir réussi à éduquer mes lecteurs: je les invite à apporter leur propre intelligence lorsque je les guide à travers la problématique de sculpter le son d’une guitare. Je crois fermement que ceci sera plus utile que si j’essayais de fournir toutes les réponses à toutes les questions de la même manière que je les comprends, ce qui est selon moi impossible.
Jacques-André Dupont - Octobre 2009 - http://www.esomogyi.com/ |