5. Composes-tu ?
Ouaip. Mon frère m'avait dit
dès le début qu'il valait mieux créer ses
propres morceaux plutôt que de massacrer ceux des autres...
Sérieusement, c'est ce domaine là qui m'attire le
plus... Mais une fois le morceau composé, il m'intéresse
moins. Je préfère chercher autre chose ou décomposer
le morceau pour le reconstruire par exemple en changeant la tonalité,
je m'ennuie vite sinon.
L'improvisation m'attire de plus en plus, j'ai d'ailleurs du mal
à conserver mes idées par écrit actuellement,
contrairement à mes débuts. L'arrangement est aussi
un défi que j'essaye de relever, et j'adore jouer ou arranger
pour des chanteurs, expérience malheureusement trop peu
fréquente...
6. Quels instruments possèdes-tu,
lesquels joues-tu le plus souvent et pourquoi ?
Je
possède deux Martin (D28 et D16), une Lowden cordes nylon
Jazz, une Di Georgio brésilienne, un Dobro, une douze cordes
Yamaki, une Telecaster, une Vox électrique demi-caisse
... J'utilise les guitares Martin le plus souvent car ce sont
des guitares "franches" et "honnêtes"
sur lesquelles on se doit de garder la forme, et j'aime retrouver
le son des guitaristes que j'affectionne qui utilisent souvent
des Martin ou des copies... J'aime le son traditionnel, ce qui
ne m'a empêché d'essayer des guitares comme les Ovations
comme tout le monde dans les années 80 (pour le côté
électro-acoustique) à l'époque où
il était très difficile de trouver des bons micros
adaptables sur n'importe quelle guitare. Mais je les ai vite revendues
car ce sont des guitares trop statiques, le son n'évolue
pas. Mais je n'aime malgré tout pas beaucoup le son électro-acoustique
pour les styles traditionnels, bien qu'indispensable pour se faire
entendre par l'assistance sans avoir à s'écorcher
les doigts. Depuis, j'utilise mes Martin en électro (jusqu'à
quand ?), j'opterai bien, en ce qui concerne la scène,
pour le "son" demi-caisse, plus authentique
à
voir.
7. Y a-t-il eu des expériences
particulières, rencontres ou collaborations avec d'autres
musiciens qui t'ont marqué ?
Stefan Grossman m'avait proposé
en 85 de réaliser des recueils sur le style Merle Travis
que j'avais entre autres approfondi, puis ont suivis des recueils
sur Jerry Reed et Chet Atkins jusqu'à que cette tâche
laborieuse ne me lasse. Le "repiquage" note à
note c'est bien, mais point trop n'en faut ... On y perd son âme
à copier même si on en apprend beaucoup ... Mais
cela reste une étape indispensable à tout apprentissage
musical. Et comme je n'aime pas les étiquettes, j'ai préféré
faire un long break que de passer pour le "Travis" français
de service (à l'époque), même si cela est
très flatteur.
Mes voyages aux USA et mes bufs avec les Hill Billy du Tennessee
et des Carolines en passant par les Cajuns m'ont permis de comprendre
ce qu'était une musique "traditionnelle", j'ai
donc renoué avec la technique dite "Travis" pour
le plaisir mais surtout au travers de mes propres arrangements
... Mais surtout, je ne veux pas m'enfermer dans ce style, aussi
intéressant qu'il puisse être, ce n'est qu'une de
mes influences ...
Ensuite, j'ai fait un petit (dé)tour dans la chanson française
e enregistrant ma six cordes sur un morceau de Hubert Félix
Thiefaine (Titre: Bouton de Rose). Plus récemment, j'ai
fait une rencontre inoubliable, celle de John Jackson (hélas
décédé en Janvier dernier), rencontre occasionnée
par un de ses amis, le Bluesman Michael Roach, rencontré
lors d'un festival. John fût le premier guitariste que j'ai
apprécié dès l'âge huit ans et j'ai
éprouvé une des plus grandes émotions de
ma vie de quadragénaire à jouer ces morceaux à
la guitare tandis que lui chantait ... Ami de Gary Davis et de
John Hurt, John Jackson était un des derniers musicens
authentiques dans le le style de la côte est. J'ai pris
une grande leçon de musique et d'humilité, depuis
j'ai bien du mal à jouer de la guitare, c'est le genre
de rencontre qui perturbe ...
Il figure parmi ces musiciens dont le rythme est tellement fin
et swinguant sans être démonstratif, comme tous les
anciens, il n'y a pas de frime, et comme a conclu Sam Mitchell
(l'ex-guitariste entre autres de Rod Stewart) lors de cette rencontre:
"Cette musique ne s'achète pas".
8. La pédagogie est très
présente dans ton parcours, quelle importance y accordes-tu
en tant que professionnel ?
L'enseignement est indispensable
à tout parcours de musicien, à condition d'être
pédagogue, ce qui signifie d'être à l'écoute
des gens et de ne pas mépriser leurs goûts musicaux.
La pédagogie permet de s'ouvrir à des musiques qu'on
n'aurait peut-être pas eu la démarche d'aller approfondir...
Combien d'élèves attirés par le "hard"
ou Francis Cabrel en passant par Goldman découvrent ensuite
avec étonnement et intérêt les racines des
musiques dites "actuelles" ? Je me délecte par
le fait de transmettre en six mois ce que j'ai mis parfois des
années à découvrir, quel est l'intérêt
de garder les choses pour soi... De plus, la pédagogie
n'est pas un travail en solitaire, les élèves, par
leur vision nouvelle d'un style ou d'une musique ou par leurs
questions inattendues et pertinentes, font parfois autant évoluer
le prof que ce dernier ne les fait progresser ! Ils obligent constamment
"l'enseignant" à se remettre en question. Est-ce
cela qui fait que l'on devient un peu plus pédagogue de
jour en jour (pour qui le veut bien) ?
Le fait d'affronter un débutant est le plus difficile,
car tout se joue dans les bases de l'apprentissage, et pour cela
l'enseignant se doit d'être le plus clair dans sa façon
d'aborder le cours et le plus honnête possible avec lui-même.
Le musicien-enseignant s'aperçoit souvent qu'il a oublié
lui-même les lois élémentaires de la musique.
9. Tu as à ton actif un
nombre impressionnant de disques, CD et vidéos : peux-tu-nous
en parler ?
J'ai fait un premier vinyl en 83
ne comportant que mes morceaux, puis entre temps il y a eu les
quatre méthodes pour Grossman, ensuite j'ai enregistré
plusieurs fois avant de me décider à réaliser
un CD en compagnie de musiciens de Bluegrass et de Blues comme
Eric Gloaguen (banjo), Frédéric Hamel (mandoline),
Greg Szlapczinski à l'harmo et aussi Susi Gott au violon...
Cette expérience de "groupe" ponctuelle m'a fait
beaucoup de bien, afin de sortir de mes habitudes de guitariste
"solo", qui font trop oublier que la musique se partage
(et pas seulement qu'entre guitaristes). Depuis, je préfère
jouer avec d'autres instrumentistes que de retomber dans le "duel"
guitaristique", sauf si cela peut se faire sans esprit de
compétition technique et d'esbroufe de "m'as-tu vu"
comme c'est trop souvent l'habitude chez les guitaristes, qui
risquent par ces attitudes immatures de lasser le public. Si on
veut une médaille, on fait de la course à pied mais
pas de la musique ! Après tout la guitare n'est qu'un "instrument"
de musique, autrement dit un intermédiaire.
J'ai réalisé deux vidéos pour Guitar Connection
et une méthode-recueil sur le Blues de 75 pages (petits
caractères, je précise) avec 99 exemples audio,
composition d'étude de styles, approche théorique
et ethnologique, qui m'a pris plus d'une année de travail
dans la rédaction.
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