Vendredi, 20h30... Quatre artistes se partagent l'affiche... la soirée promet d'être longue.

C'est le plus jeune, Andrea Castelfranato, qui ouvre les hostilités. De plus en plus de guitaristes ont recours au «tapping» et utilisent ponctuellement la caisse comme un instrument de percussion. Cet Italien dynamique ne s'en contente pas... C'est un adepte d'une discipline récente : la «guitare acrobatique». Finie l'époque où l'on tenait sa guitare sur une cuisse, immobile, en bougeant seulement les doigts et un peu les avant bras... Désormais tout le corps participe. Techniquement c'est d'autant plus impressionnant que le show est devenu très visuel. Musicalement l'attitude adoptée procure un «groove terrible». En plus d'un excellent sens du rythme, Andrea Castelfranato produit une musique très mélodique... ça coule tout seul. Sa prestation me sembla courte, on ne s'ennuya pas un instant. La salle conquise, obtint tout de même un petit rappel. Voilà un artiste dont il va falloir suivre l'évolution car un style finalement assez personnel commence à se dessiner derrière les prouesses techniques.

Sacré introduction !

A peine le temps de souffler ... Valérie Duchâteau arrive. Changement d'ambiance. Elle explique clairement, avec une émotion contenue mais très perceptible, que ce concert est un hommage au couple Lagoya/Presti. Un cas rare et admirable, unis et inséparables à la vie et sur scène, jusqu'à ce que la cruauté de la vie en décide autrement. La première partie du concert est consacrée à des «incontournables» de la guitare classique et chacun a plaisir à ré-entendre, fort bien interprétées, des pièces si souvent massacrées ( rançon du succès...). Viennent ensuite quelques duos... Force est de reconnaître que, contrairement aux interprétations historiques qu'en firent Alexandre Lagoya et Ida Presti, il était là facile de repérer l'origine des différentes notes : Une guitare sur scène, devant nous, l'autre, en play-back, diffusée dans la salle, la différence était nette. C'est pourtant probablement le même instrument qui a servi pour l'enregistrement. Les techniciens qui travaillent dans l'ombre ne sont pas en cause. Des membranes en carton qui vibrent ne peuvent remplacer le chef-d'œuvre de la lutherie qui résonne devant nous sous des mains expertes. En revanche, cet aspect technique mis à part, la richesse de ces partitions fut servie par une interprétation délicate et inspirée. Le récital de Valérie Duchâteau se referme sur de beaux instants de guitare seule. Il ne suffit pas d'avoir un «bonne guitare», encore faut-il savoir s'en servir. Valérie Duchâteaux tient son instrument avec délicatesse, sans l'étouffer, pour en obtenir le meilleur son possible et le résultat était là, admirable...

La musique nous a coupé du temps qui s'écoulait en dehors... Une pause est annoncée ...

La salle retrouve l'obscurité et Pete Huttlinger arrive sur scène. Immédiatement, il démarre et enchaîne des morceaux à toute allure (dont un Canon Ball Rag à 3000 à l'heure ). C'est du «turbo-picking»! Chacun est impressionné par la technique mais certains sont sourdement inquiets. Si c'est ainsi jusqu'à la fin, on va commencer à s'ennuyer... Fort heureusement, après ces menus échauffements, il passe aux choses sérieuses. Ce que j'en retiens, ce ne sont pas les deux ou trois compositions personnelles car finalement ce qui sembla bien plus «personnel», ce furent les arrangements. Pete Huttlinger donne l'impression de ne libérer ses multiples qualités qu'en se mettant au service d'autres compositeurs... Là, la salle est conquise, non seulement parce que les thème choisis sont des chansons très connues des années 60-80 ( The Beatles, S. Wonder, ... ) mais surtout parce que ce sont réellement d'excellents arrangements. Dans un style «fingerstyle» sans frime mais très riche il restitue l'ambiance des titres, la musicalité, le groove, et plus encore. Les choix qu'il fait pour chaque arrangement ne sont pas si évidents, il ne se contente pas de rejouer le thème. Le style choisi amène un éclairage original, améliore l'évocation, enrichit le souvenir... Le plaisir est double : musiques du présent et images du passé... souvenirs et nouveautés... Mieux qu'une évocation, c'est une rénovation de nos souvenirs que ce guitariste inspiré nous a proposé... On comprend pourquoi il est considéré par Tommy Emmanuel comme un des meilleurs guitaristes du monde...

Une fois de plus, le temps s'est écoulé sans nous...
Pete Huttlinger laisse la place à Antonio Forcione.

Encore un Italien adepte du «tapping» et de la «guitare acrobatique» mais en plus le style a mûri et ce diable d'homme qui fait tournoyer sa guitare fait aussi une musique formidable. Il semble savoir tout faire, avec le sourire, et mélange en douceur toutes les musiques de la planète (voire plus... son origine extra-terrestre expliquerait bien des choses). Tout dans cet incroyable show retient l'attention : L'harmonie, les couleurs, les rythmes, les mélodies, les sonorités et, ce qui est plus original pour un guitariste solo, la «mise en scène». Ce n'est pas pour autant un numéro de cirque sans âme, bien au contraire, sinon le public se serait vite lassé. Derrière chaque pièce l'homme est présent. Il en ressort un spectacle complet, passionnant, plein de surprises, de clins d'œil, d'émerveillement et d'humour, mais aussi de chaleur, de tendresse et d'émotion.
Un moment exceptionnel offert par un artiste peu banal... Le public a du mal à le laisser partir et ce n'est que vers 1h du matin que la magie cesse, que la salle se vide.

Comme introduction au festival, ce concert était parfait. Les différents styles se sont succédé sans se gêner. Les artistes étaient formidables. Les organisateurs méritent nos sincères félicitations; ils nous ont offert une soirée inoubliable !


Hubert BAYET.