L'énergie
d'un cœur.
La salle est désormais silencieuse et dans la pénombre
de la scène la musique démarre doucement ; le
rythme se précise, l'ambiance s'installe et enfin sa voix
jaillit et brode de longues courbes mélodiques. elle s'avance
sur scène en chantant, le public est déjà conquis.
Quelle voix !
Pour les musiciens qui l'accompagnent ce concert sera un souvenir
maussade... Sapho est très fatiguée, épuisée,
et les réglages pour "faire la balance" se sont
inutilement éternisés dans l'après-midi...
cela s'annonçait mal. Durant son récital, à
plusieurs reprises, elle appelle le public à l'aide, pour
que le rythme de nos mains la réchauffe. Elle a besoin de
sentir la vie dans la salle.
Alors Sapho donne tout, y compris l'énergie qu'elle n'a plus.
Branchée sur ses batteries de secours elle puise au fond
de son âme, de son cœur, la force nécessaire. Sa voix
est tantôt limpide comme l'eau, tantôt chaude profonde
et envoûtante, parfois brisée, à la limite de
la rupture.
Mélangeant le style arabo-andalou et le flamenco, la musique
lui convient tout à fait : Sapho est une femme méditerranéenne
chaleureuse, généreuse, enflammée. Les trois
musiciens sont remarquables ( deux guitaristes et un percussionniste ) ;
ils parviennent à construire autour des chants l'ambiance
qui convient parfaitement... Discrètement, eux aussi donnent
beaucoup.
Quelques chansons ressortent, certes, comme sa mise en musique du
célèbre "Dormeur du Val" d'Arthur Rimbaud,
ou ce chant arabo-andalou du onzième siècle qu'elle
nous interprète en arabe mais il est difficile d'y faire
un choix. «Tout est bon chez elle, y'a rien à jeter»
chantait Georges Brassens... Il n'y avait pas de place pour la facilité
ou la médiocrité sur scène ce soir là
car Sapho est aussi une femme de conviction qui sait aller au bout
des choses. Comme Léo Ferré (qu'elle interprète
à Paris en parallèle avec sa tournée arabo-andalouse),
elle s'inscrit dans cette lignée des poètes-chanteurs
qui vivent ce qu'ils disent et n'hésitent pas à déposer
leur cœur palpitant sur la scène.
Elle devient gamine dansant avec maladresse dans les rues lorsqu'elle
évoque Marrakech. Pour interpréter "Il ne faut
pas que ça devienne banal" elle est cette mère
africaine dont l'enfant meurt de faim, elle rampe sur la scène
et sa voix, triste et profonde comme un souffle, nous saisit, nous
glace. Elle retrouve la gaieté et l'insolence d'une jeune
fille en chantant "Maman j'aime les voyous".
Le rappel sera mémorable : épuisée,
Sapho renverse un élément de décors en quittant
la scène... puis revient en riant nous dire qu'elle ne peut
plus se cacher derrière pour attendre un peu ...
Lorsque la salle se vide doucement, chacun est encore sous le charme
de cette diva peu banale... Tout au long de ce récital inoubliable,
elle nous a su nous surprendre, nous ravir et nous émouvoir ;
le public a été comblé.
Hubert BAYET.
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