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Samedi 29 Octobre 2005 - Sapho

L'énergie d'un cœur.

La salle est désormais silencieuse et dans la pénombre de la scène la musique démarre doucement ; le rythme se précise, l'ambiance s'installe et enfin sa voix jaillit et brode de longues courbes mélodiques. elle s'avance sur scène en chantant, le public est déjà conquis. Quelle voix !
Pour les musiciens qui l'accompagnent ce concert sera un souvenir maussade... Sapho est très fatiguée, épuisée, et les réglages pour "faire la balance" se sont inutilement éternisés dans l'après-midi... cela s'annonçait mal. Durant son récital, à plusieurs reprises, elle appelle le public à l'aide, pour que le rythme de nos mains la réchauffe. Elle a besoin de sentir la vie dans la salle.
Alors Sapho donne tout, y compris l'énergie qu'elle n'a plus. Branchée sur ses batteries de secours elle puise au fond de son âme, de son cœur, la force nécessaire. Sa voix est tantôt limpide comme l'eau, tantôt chaude profonde et envoûtante, parfois brisée, à la limite de la rupture.

Mélangeant le style arabo-andalou et le flamenco, la musique lui convient tout à fait : Sapho est une femme méditerranéenne chaleureuse, généreuse, enflammée. Les trois musiciens sont remarquables ( deux guitaristes et un percussionniste ) ; ils parviennent à construire autour des chants l'ambiance qui convient parfaitement... Discrètement, eux aussi donnent beaucoup.
Quelques chansons ressortent, certes, comme sa mise en musique du célèbre "Dormeur du Val" d'Arthur Rimbaud, ou ce chant arabo-andalou du onzième siècle qu'elle nous interprète en arabe mais il est difficile d'y faire un choix. «Tout est bon chez elle, y'a rien à jeter» chantait Georges Brassens... Il n'y avait pas de place pour la facilité ou la médiocrité sur scène ce soir là car Sapho est aussi une femme de conviction qui sait aller au bout des choses. Comme Léo Ferré (qu'elle interprète à Paris en parallèle avec sa tournée arabo-andalouse), elle s'inscrit dans cette lignée des poètes-chanteurs qui vivent ce qu'ils disent et n'hésitent pas à déposer leur cœur palpitant sur la scène.
Elle devient gamine dansant avec maladresse dans les rues lorsqu'elle évoque Marrakech. Pour interpréter "Il ne faut pas que ça devienne banal" elle est cette mère africaine dont l'enfant meurt de faim, elle rampe sur la scène et sa voix, triste et profonde comme un souffle, nous saisit, nous glace. Elle retrouve la gaieté et l'insolence d'une jeune fille en chantant "Maman j'aime les voyous".
Le rappel sera mémorable : épuisée, Sapho renverse un élément de décors en quittant la scène... puis revient en riant nous dire qu'elle ne peut plus se cacher derrière pour attendre un peu ...
Lorsque la salle se vide doucement, chacun est encore sous le charme de cette diva peu banale... Tout au long de ce récital inoubliable, elle nous a su nous surprendre, nous ravir et nous émouvoir ; le public a été comblé.


Hubert BAYET.