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Do
Nicolas
Greg

Pour vous, qu'est ce qu'un luthier ?
Je considère qu'être un luthier, ç'est être capable de fabriquer un instrument complet, du début à la fin. J'ai fait des tas d'expériences, des tas d'instruments qui n'ont jamais fonctionné, qui sont toujours chez moi. Ce sont des prototypes, des concepts, des idées que l'on essaye de valider. Un luthier est quelqu'un qui a de l'expérience, ça fait toute la différence entre une bonne et une mauvaise guitare. Le son est effectivement important, mais aussi le fait d'avoir un instrument confortable, qui te plaît, que tu as envie de toucher, et de revenir aux règles d'esthétique, qui comptent beaucoup aussi. Si, quand tu le prends en main, tu te sens bien dessus, le son te vient forcément en même temps ; alors que même avec ces caractéristiques, un instrument injouable ne sonnera jamais. Et tu ne seras jamais à l'aise avec.
Au niveau de la lutherie nous avons longtemps essayé de faire du sur mesure , d'écouter le client. Le problème c'est que le client ne sait pas ce qu'il veut : ce qu'il veut c'est un fantasme. L'expérience prouve qu'au bout d'un moment, tu finis par proposer au client de choisir pour lui ses micros, ses frettes... Nous de toute manière on impose. C'est comme cela qu'on finit par avoir quelque chose de cohérent. C'est une collaboration basée sur une confiance énorme.

Quel a été le déclic qui vous a poussé à exercer ce métier ?
C'est une histoire de campagne, car je viens d'un petit village de province. Mon institutrice venait de Paris, accompagnée de son mari, qui fabriquait des guitares. Et comme dans ces villages de province on s'ennuie plutôt qu'autre chose... c'est ainsi que je l'ai découvert. Contrairement à beaucoup de gens aujourd'hui pour qui avoir envie de devenir luthier est passionnel. Alors que pour moi c'est une histoire de rencontre. Parlons de Dominique, lui aussi c'est une histoire de rencontre, même s'il avait déjà commencé à bidouiller des instruments. Nicolas était guitariste avant. Il s'y est mis lorsqu'il a eu des problèmes sur sa guitare, puis il a bidouillé les guitares de ses potes… A Paris, Nicolas était dans un milieu appelé le Centre Américain . C'était un endroit où les guitaristes acoustiques français et américains se donnaient rendez vous et! faisaient des concerts.

De plus en plus de jeunes et de moins jeunes veulent devenir luthiers. Comment expliquez vous ce phénomène, alors que le monde de la lutherie de guitare est très fermé ?
Le problème c'est la passion. N'importe qui peut apprendre à faire un instrument, à régler une guitare - ou d'autres instruments, car il n'y a pas que la guitare . Il y a aussi les autres cordes, avec le prestige du quatuor : violon, alto, violoncelle, sans oblier la contrebasse, qui bénéficient d'une aura vieille de deux, trois ou quatre cents ans. Alors que pour la guitare acoustique et électrique , il y a peu de place si l'on veut en vivre. Pour le faire de manière passionnelle, il n'y a aucun problème, mais pour gagner sa vie dans le temps, il faut d'abord apprendre, ensuite être assez bon. Et puis la lutherie c'est pas seulement fabriquer une guitare. C'est la proposer à des gens, communiquer, faire des photos, et aujourd'hui utiliser le net …. Alors que l'on a l'impression qu'il s'agit d'un monde fermé, ç'est en réalité en !connexion avec pleins de métiers. On s'imagine que c'est de l'art et que c'est facile à partir du moment où l'on sait faire une guitare. Une guitare faut savoir la fabriquer , mais il faut aussi savoir la vendre. La preuve, on a beau cumuler à nous trois soixante ans d'expérience, ç'est seulement aujourd'hui que l'on est reconnus, avant on a eu une dizaine d'années de galère....
C'est pour cela que je ne dis jamais à quelqu'un qui a envie de devenir luthier "Vas-y", je lui dis "Fais attention, si c'est une passion vas-y, mais si tu comptes gagner ta vie après 3 ans de formation.." C'est comme les gens qui sortent des écoles, les plus assidus montent une boutique, fabriquent des guitares et trois ans après ils ferment. C'est pas un milieu facile du tout. Surtout qu'il y a une concurrence énorme avec les Etats-Unis , qui ont une "culture guitare" beaucoup plus importante que la France. Il y a aussi la concurrence asiatique qui arrive à faire des prix défiant toute concurrence : pour trois cents euros tu as une bonne guitare, alors que ç'est impossible pour nous : ce n'est même pas le prix des matériaux ! il faut compter six cents euros minimum pour commencer à fabriquer une guitare avec deux pièces…. Trois cents euros c'est impossible.
C'est pour cela qu'il faut une valeur ajoutée et une notoriété. Nous avons la chance de travailler avec -M- et d'autres musiciens, c'est là-dessus qu'on a assis notre réputation. Et puis il y a les guitares techs, quand le guitariste est prêt à monter sur scène, le guitare tech lui change ses cordes…. C'est avec ces gens-là que l'on a aussi des rapports fructueux dans le monde des artistes. Tof(Christophe Merlaud), tu le connais? Il nous apporte les guitares, on les règle ensemble. Il doit être capable de démonter la guitare pour la moindre panne, il faut qu'il connaisse par cœur son environnement. Avec -M- , Tof a souffert. C'est compliqué quand tu as vingt guitares et qu'il n'y en a pas deux pareilles : il faut trouver des solutions tout le temps et être efficace. Tof m'a appelé une fois à deux heures du matin à la maison, paniqué! parce qu'il ne trouvait pas la panne pour le concert du lendemain... Après, il y a le bouche à oreille, on ne fait jamais de pub. La pub coûte très cher et attire beaucoup de gens qui n'ont pas compris qu'on ne faisait pas des guitares à trois cents euros.

Intervention de Dominique : C'est pas de la belle tête ça?(en parlant d'une tête de guitare Rickenbacker)…. Il veut la jeter cet andouille!!

D'un autre côté je suis triste qu'il n'y ait pas de volonté de notre part de transmettre un certain savoir. Mais le problème, c'est que ce savoir évolue tellement vite ! Je me souviens, j'ai commencé sur des machines vieilles de quarante ans, alors que je n'avais que quinze ans : C'était il y a une vingtaine d'années... tout ce temps sur le marché du travail, c'est complètement délirant !

Propos recueillis par Emmanuelle Libert et questions proposées par Jacques Carbonneaux.

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