Jacques-André : Linda, tu es le luthier de Pat Metheny depuis très longtemps. Peux-tu nous raconter comment et quand cette relation a débuté ?
Linda : Je suis devenue une grande fan de Pat Metheny lorsque que je l’ai vu en concert avec Joni Mitchell. Il avait joué un solo sur la chanson Hejera et j’ai eu le sentiment que ma vie venait de changer. Je me souviens de ce moment de manière très précise. Évidemment à cette époque je n’avais aucune idée que Pat serait si important pour moi. J’ai suivi sa musique avec passion, écouté ses 33 tours (oui 33 tours!) en construisant mes guitares sur plusieurs années. J’ai fait un tour du monde en 1981 et l’ai vu jouer pour la première fois avec son groupe au Japon mais je ne l’ai pas rencontré à ce moment.
En juillet 1982, il a joué à Toronto et j’étais déterminée à le rencontrer et au moins lui dire à quel point j’adorais sa musique. Après ce concert, j’ai été en mesure d’organiser une rencontre et en arrière scène nous nous sommes rencontrés et je lui ai montré deux guitares. Il m’a alors demandée de lui en faire une. Nul besoin de mentionner que j’étais folle de joie.
En quelques mois sa guitare était prête et je lui ai apportée à Syracuse (NY). Très rapidement par la suite il a offert d’endosser mes guitares et c’était le début de notre extraordinaire voyage.
J-A : Tu parles de ce «voyage avec Pat». Il est très rare qu’un tel partenariat luthier-artiste dure si longtemps. On voit souvent les guitaristes sauter d’une marque à l’autre… Comment expliques-tu ce «mariage» qui dure depuis 26 ans?
Linda : Je l’explique par le fait que nous sommes animés de la même passion et que nous avons la chance de gagner notre vie avec quelque chose que nous aimons à la folie. Comment demander mieux? Cet état d’esprit a permis une réelle connexion et une affection profonde. Pat a cette capacité de faire sortir le meilleur de la créativité des gens qui l’entoure. Pour lui, tout est possible. De plus, il a cette magnifique attitude «pourquoi pas». Et J’ADORE sa musique. Je l’écoute continuellement dans l’atelier. Donc travailler pour lui est un sincère plaisir.
J’aime beaucoup aussi travailler à rencontrer ses attentes au niveau acoustique. Parfois c’est une problématique acoustique que nous tentons de résoudre ou une nouvelle sonorité qu’il recherche. Il me fait des suggestions, me donne des idées de ce qu’il recherche; parfois c’est minimal et parfois très détaillé… Je m’enferme pour quelque temps et refais surface quelques mois plus tard avec une guitare pour lui. Je considère que mon travail est de créer un instrument qui va l’exciter et l’émouvoir. J’y mets tout mon cœur et il sait l’apprécier. Il réagit toujours de manière positive avec son grand sourire qu’on lui connait : c’est ma première récompense. Et l’ultime bonheur est d’entendre ce qu’il fait avec la guitare; je suis continuellement impressionnée par ce qu’il réalise.
J-A : Peux-tu nous raconter l’histoire du modèle Manzer 6 original qui a inspiré le nouveau modèle ?
Linda : Je fais une guitare 6 cordes que j’appelle la Manzer. En fait à l’époque, c’était mon seul modèle! Elle présente une magnifique table en épicéa européen (j’ai depuis toujours un fournisseur de bois extraordinaire), un dos et des éclisses en palissandre indien et toutes les pièces habituelles en ébène (touche et pont). J’ai conçu cette guitare pour être un instrument de musique, au sens le plus simple. Un cheval de travail destiné à être joué sans retenue, capable de soutenir la rigueur de la route, tout en restant une guitare aussi sensible que possible; tout un défi! On les veut solide et stable, mais parfaitement sensible pour tous les styles de musique.
En 1981, j’ai fait une Manzer pour Pat. C’était mon modèle de base, mais j’y ai ajouté des incrustations référent à son premier album Bright Size Life. Cordes «light» et touche basse.
J’étais hyper nerveuse lorsqu’il l’a jouée la première fois. Probablement la fois où j’ai été le plus nerveuse de ma vie.
Deux semaines plus tard je l’ai revu en tournée et il m’a offert d’endosser mes guitares.
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