LG : Franck Cheval,
quels seraient vos premiers arguments pour promouvoir
les guitares de luthiers face aux guitares de série
?
La réponse me paraît
assez évidente. Comme toute fabrication standardisée
par la production de masse, une machine travaille comme
on lui ordonne, c'est-à-dire qu'une fabrique
comme Taylor qui fabriquera trois cent soixante quinze
guitares par jour, même avec des bois sélectionnés,
ne pourra jamais aller aussi loin qu'un travail fait
à la main. Parce qu'on est à l'écoute
du musicien, on va cheminer avec lui, et lui va aussi
récupérer
Il y a un rapport humain
qu'aucune compagnie peut prétendre atteindre.
Ensuite, il y a les évidences du côté
sur mesure qui font que la forme du manche peut être
adaptée à la morphologie du musicien.
L'habillage est ludique mais c'est l'envie de jouer
qui importe, il faut que la guitare pour qu'on ait envie
de jouer, de poser les doigts dessus. La couleur des
bois, la forme, les essences de bois, le mariage des
deux donnera le caractère acoustique de la guitare.
On n'est pas là non plus pour pointer quelque
chose d'invisible, le son est quand même quelque
chose d'assez abstrait : un son brillant, profond ou
grave, c'est l'échelle de valeur qu'on lui donnera
et qui permettra de travailler. De la même manière,
essayer de guider la personne en lui expliquant le fonctionnement.
Un bois dur donnera un son brillant, alors qu'une caisse
profonde donnera plus de basse. Les commentaires très
sophistiqués ne sont pas nécessaires pour
donner ce genre d'éclairages. Bien sûr,
ça sera aussi basé sur l'expérience
de chacun : " qu'est-ce que tu aimes ? qu'est-ce
que t'écoutes ? " Si on a un minimum de
terrain commun, les choses se font très naturellement.
Mais c'est avant tout humain.
LG : Et alors justement,
jusqu'où peut aller la personnalisation sans
dénaturer le caractère de tes guitares
? Il faut quand même que ça reste des "
Franck Cheval " !
C'est une bonne question,
parce que parfois je vais très loin, je vais
au-delà, pas de mon style, mais
on ne va
pas au-delà de ce qu'on sait faire, donc de toute
façon, à un moment donné, le naturel
prend le dessus. Je travaille avec un peintre breton
qui s'appelle Fanch Moal, qui est un peintre
qui vend bien ses peintures, qui me crayonne les guitares,
et qui met des petites aquarelles, etc. Et là,
on est à la 8ème guitare et ça
devient un espèce de truc un peu étrange,
parce que ça ressemble à autre chose que
mon quotidien et finalement il amène des idées
artistiques mais ça reste quand même des
guitares, on n'est pas dans le farfelu, tant qu'on a
la moelle épinière, tant qu'on a la structure
interne qui fait que la musicalité est là,
on peut rajouter une petite pointe de nacre à
droite, ça change pas grand chose. Quand après
il faut mettre un manche ailleurs ou rallonger des cordes,
bon là après on tombe dans un côté
physique et ça devient compliqué
il ne faut pas perdre de vue la musicalité. Moi
je passe deux mois avec une guitare et en principe la
personne qui va récupérer cet instrument
va passer plusieurs années, en tout cas, va être
accompagnée et l'évolution va se faire
intimement entre eux. Et là, il y a une espèce
de complicité qui ne m'appartient pas. Moi je
peux revoir des guitares, maintenant j'ai quelques années
de lutherie derrière moi, si je revois une guitare
qui a 20 ans, je vais voir des défauts de fabrication,
mais j'ai pas de souvenir de fabrication, donc j'ai
un espèce de côté détaché
de la guitare, et c'est vraiment agréable d'avoir
ce recul pour dire comment elle a évolué,
où étaient les fragilités, parce
qu'elle doit perdurer dans le temps. Donc, il y a aussi
la longévité qu'il faut garantir, c'est
un investissement, un travail à la main, il ne
faut pas faire de l'éphémère
voilà, c'est ma recette !
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