Cyril Lefèbvre
et la vieille octogénaire
Une soirée
à coulisse donc, la petite scène de l'Archipel a vu
se succéder les invités -amis de Dominique Cravic
nous offrant un voyage musical de haut vol, résonant de multiples
sonorités de diverses couleurs instrumentales.
Néanmoins,
il est un des protagonistes de ce concert dont je n'ai point encore
évoqué la prestation. Ce musicien n'est autre que
Cyril Lefèbvre ! Une référence dans le milieu
de la guitare slide et de l'Ukulélé (entre autre).
Avant de me pencher sur ce que j'appellerais " le cas Lefèbvre
", je me dois à ce stade de la compétition de
vous informer quant à mes aspirations premières :
Oui je suis un de ceux que les guitares à résonateurs
émoustillent, un de ceux que le moindre bottelneck pointant
le bout de son goulot interpelle au plus haut point.
Je suis un aficionado absolu du World Slide Master qui sévit
sous le nom de Bob Brozman !
Dès le
début du concert j'avais évidemment repéré
la tranche d'une National Duolian posée à plat sur
le piano en fond de scène, j'en salivais d'avance vous l'aurez
deviné.
Et ce qui devait
arriver arriva, Dominique appelle le propriétaire de la vieille
National : son complice Cyril Lefèbvre, et celui-ci d'empoigner
la Duolian susdite.
Cyril Lefèbvre
entame sa prestation avec une composition que la reine d'Hawaï
écrivit, nous explique-t-il, "lorsque durant 8 mois,
elle fut enfermée dans son propre palais par les américains",
il fallait le préciser.
Un simple micro
est placé devant le résonateur de la vieille Guitare
de 1927 et en avant.
Dès les
premières notes, la salle entière redouble d'attention
sous l'effet des vibrations de l'antédiluvien single cone.
Le jeu de Cyril dégage une émotion absolue, la sonorité
produite sous les onglets et le bottleneck est phénoménale.
Ce qui frappe en premier lieu dans son jeu (en plus de la qualité
de son son), c'est son Vibrato, un vibrato parfaitement incroyable,
le bottleneck oscille délicatement offrant à chaque
note une incommensurable durée.
Quant à
son jeu, il est d'une clarté absolue, d'une luminosité
rare mais surtout d'une sensibilité outrageante. Il ne joue
pas dans le style slide hawaïen, non, pas une seconde !!!!
Il ne fait pas dans le bon vieux blues. Non. Il joue sa musique
un point c'est tout, cet homme est dans la musique, il n'est que
musique.
Pour ma part
c'est frissons à tous les étages, une sensation déroutante
de vivre un moment de fulgurance exceptionnel. Sous son magique
vibrato, chaque note se transforme en une petite éternité
jouissive.
Les morceaux
se succèdent, en solo ou accompagné de Chris Lancry,
Jan, Dominique, Claire ou Rachelle.
Je découvre donc ce jeu guitaristique à l'opposé
de ce que nous offre le phénoménal Bob Brozman. Bob
dévore la vie, il est dans une avidité de connaissance,
de découverte des hommes, des sons, une boulimie d'expériences
musicales. Il est définitivement techniquement sidérant,
et propose en conséquence à son public une émotion
monstrueuse, une claque absolue, des frissons énormes sous
les raz de marées des vibrations émanant de ses tricones
! Brozman joue comme il est, un fougueux exalté.
Dans ses concerts, Bob Brozman dit : " j'aime l'improvisation,
car c'est une manière de vivre une seconde dans le futur
".
Cyril Lefèbvre
n'est pas une seconde dans le futur, il est dans l'exactitude du
moment présent. Dans l'absolue fébrile délicatesse
de l'instant.
Il n'y a dans son jeu aucun volontarisme outrancier. Chacune de
ses interprétations est d'une fragilité totale. Cette
fragilité qui nous mène à l'émotion
ultime.
Chaque accord joué ne donne aucune piste, aucune évidence
quant à la suite du morceau, rien n'est cousu de fil blanc,
rien n'est surjoué.
Le personnage
Cyril Lefèbvre est lui-même hors normes, on le sent
dans son monde, dans son monde artistique et musical. Un homme,
sorte de bibliothèque musico-universelle quasi anachronique.
C'est aussi peut-être le secret de son jeu, il en sait tellement,
a ingéré tant de mélodies, d'accords, de notes,
qu'il peut aller à l'essentiel, à la note, pardon
à la sensation juste faisant fi de tout superflu.
Un musicien au-delà de toutes techniques explicatives, loin
de toutes futiles ou vaines démonstrations guitaristiques.
Cyril Lefèbvre
nous transporte dans des sphères émotionnelles d'une
rare délicatesse, de lumineux éthers musicaux.
Le public est
pendu à ses onglets, nous sommes dans la fragile furtivité
du moment présent, nous touchons l'impalpable. De l'émotion,
rien que de l'émotion.
Mon sentiment quant au jeu de Cyril Lefèbvre fut complété
par Mike Lewis (Luthier patenté aux commandes de Fine Resophonic)
qui lui aussi m'avoua être fasciné par l'expression
musicale de Cyril. En absolu connaisseur du genre et des outils
qui vont avec, Mike m'avoua en confidence que cette Duolian accusait
véritablement les années et que seul monsieur Lefèbvre
savait en tirer la substantifique moelle sonore.
Un bonheur de
soirée aux multiples surprises
Voilà
le rideau est tombé sur les artistes de cette excellente
soirée. Je sors de l'Archipel, j'ai la tête pleine
de voix, de mélodies, d'accords, de sourires
.
Décidément, les soirées à l'Archipel
sont toujours aussi surprenantes !
Il est à noter que le service de sécurité de
la soirée aurait parait-il repéré dans les
rangs des spectateurs quelques joueurs d'ukulélé (voire
même de banjo ukulélé) qui jusqu'au dernier
moment ont espéré l'apparition sous les projecteurs
de leur instrument fétiche. D'autant que Monsieur Joseph
Racaille en personne a été vu se faufilant entre les
rangs des spectateurs. Mais le petit instrument à quatre
cordes pincées n'a pas ce soir montré le bout de ses
mécaniques, une prochaine fois sans doute.
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Gwenaël
Saladin le
21/01/2007
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