Cette
édition 2004 du Festival d'Issoudun a été
l'occasion de revoir Jacques Stotzem en concert sur le territoire
français, cela ne s'était plus produit depuis
plusieurs années et l'attente était grande parmi
les amoureux de la guitare fingerstyle. Car ce musicien belge
est considéré à juste titre comme une
"pointure" du genre, reconnu dans le monde entier
et remplissant régulièrement les salles partout
en Europe, en Asie, en Amérique, ... mais pas en France
! Il nous en donnera la raison un peu plus loin dans cette
conversation et surtout nous assurera que cette situation
va changer.
Programmé le premier soir du festival, Jacques nous
a servi un concert extraordinaire, avec des compositions alternant
entre le punch et la délicatesse, des arrangements
originaux et étonnant d'authenticité, et toujours
un sens mélodique unique qui captive littéralement
l'auditeur.
C'est avec beaucoup de gentillesse et de disponibilité
que Jacques s'est prêté au jeu des questions/réponses
et ceux qui ont eu la chance d'être là pendant
cet entretien ont pu mesurer à quel point cet artiste
autodidacte est animé par la passion de la guitare
et de la musique.
laguitare.com : Jacques,
rappelle-nous quel a été ton parcours musical
et guitaristique
Jacques Stotzem : J'ai
commencé la guitare à 16 ans, à cette
époque j'avais vu à la télévision
belge plusieurs émissions où était apparu
Stefan Grossman qui jouait du Country-Blues. J'ai immédiatement
acheté son double album en public et son recueil de
tablatures "Counrty-Blues Guitar" et je me suis
mis à travailler ce style, seul, en autodidacte. Dans
ce bouquin il y avait pas mal de morceaux de Mississippi John
Hurt que j'ai beaucoup écoutés et travaillés.
Dans l'album de Grossman il y avait aussi la tablature du
morceau "Powder Rag", écrite par Marcel Dadi,
j'ai donc acheté également la première
méthode de guitare de Marcel, celle avec la guitare-arbre
et l'arrosoir.
lg : tu as donc commencé
par le picking plutôt "poum-tchic" !
JS : Oui mais à
coté de ça j'écoutais aussi beaucoup
de musique chantée comme par exemple James Taylor,
et le Country-Blues de John Hurt était aussi chanté,
j'étais comme frustré de ne pas pouvoir reproduire
cet aspect de la musique avec la guitare. J'ai donc cherché
très vite à compenser ce manque en essayant
de faire fusionner les acquis du picking avec mon idée
de ce que peut être une mélodie, avec une vraie
ligne qu'on peut chanter ou siffler, ou encore reprendre avec
un instrument monophonique.
lg : tu as du te mettre à
la composition pour ça ?
JS : Oui, j'avais alors
19 ans, je crois. Et abordant la composition, je me suis de
plus en plus intéressé à l'harmonisation,
toujours en autodidacte. Je n'ai pas appris l'harmonie en
"avalant" tous les traités existant sur le
thème mais plutôt en mettant tout de suite en
pratique sur la guitare les concepts que j'abordais, progressivement.
Le fait d'être autodidacte donne la liberté de
se faire sa propre idée des choses, et pour moi en
tant que guitariste cela m'a permis de développer un
style vraiment original et personnel. Je suis très
content de cela, et même fier. L'auto-apprentissage
apporte cette aptitude et ça a été pareil
pour l'harmonisation, j'avais besoin pour composer de comprendre
comment les accords fonctionnaient et comment ils pouvaient
s'articuler entre eux. A chaque notion apprise, je mettais
en pratique directement sur la guitare, ce qui m'intéressait
c'était de trouver le lien entre ces principes d'harmonisation
et l'image que je voulais faire passer dans ma musique. C'est
une idée que j'utilise toujours, elle est par exemple
évidente dans mon morceau "A Taxi Trip In Belfast".
lg : et quelles sont tes inspirations,
comment travailles-tu la composition ?
JS : Je ne sais pas gérer
l'inspiration ! Parfois il peut me venir plein d'idées
en cinq minutes et d'autres fois il peut se passer plusieurs
jours sans rien trouver ! Mais au delà de ça,
je cherche avant tout à écrire des musiques
qui racontent une histoire. Je suis toujours guidé
par le coté lyrique de la composition, c'est ce qui
me motive et je cherche toujours à aller plus loin
dans ce sens. C'est la même chose avec les arrangements
que j'ai faits, comme par exemple "Purple Haze",
c'est un morceau qui m'a bouleversé et qui me bouleverse
encore.
lg : comment choisis-tu les
morceaux que tu joues en concert ?
JS : En concert, je choisis
seulement des morceaux que j'aime jouer, mais il faut trouver
le bon équilibre entre ces morceaux que j'ai envie
de jouer en tant qu'instrumentiste-compositeur d'une part,
et le fait que le public aime aussi à certains moments
du concert se raccrocher à des choses qu'il connait,
d'autre part. C'est pourquoi, dans mes concerts, j'aime mélanger
mes compositions et quelques reprises que j'aime comme "Swing
Medley", "Purple Haze" ou "Come Together".
Il faut mettre en relation la motivation du musicien et ce
que les auditeurs sont venus chercher. Un concert est un partage
avec ceux qui sont là, j'essaye d'établir une
sorte de "fil rouge" de la communication avec le
public, une certaine continuité entre les morceaux
et les parties parlées, sans cassure ni temps mort.
Je pense par exemple que le fait de ré-accorder sa
guitare entre les morceaux casse ce fil rouge, sans s'en rendre
compte, le public décroche et la cohérence du
spectacle n'y est plus. C'est d'ailleurs une des raisons (parmi
d'autres plus théoriques) pour laquelle je n'utilise
plus que l'accordage standard ou éventuellement le
"drop-D", très rapide à régler.
lg : Et quoi de neuf côté
CD et tournées ?
JS : J'ai sorti fin 2003
un CD en studio, "Sur Vesdre" et plus récemment
un CD enregistré lors de différents concerts,
ce CD s'appelle "In Concert". Tous mes CD sont sur
le label allemand Acoustic Music Record ( www.acoustic-music.de
). Mon prochain CD est en préparation, ce sera un duo
guitare/contrebasse avec André Klénes, un musicien
que je connais depuis une bonne quinzaine d'années
et qui a joué avec beaucoup d'artistes, comme William
Sheller par exemple. Pour ce qui est des concerts, je tourne
beaucoup de septembre à début décembre,
puis ensuite de fin janvier à mai. J'ai fait le choix
de me passer d'agent donc je gère moi-même, avec
mon épouse Gaby, toute cette activité autour
des concerts. Je tourne beaucoup en Europe, Allemagne, Angleterre,
Italie, Suisse, Autriche et Belgique bien sûr. Je vais
aussi régulièrement au Japon grâce à
Isato Nakagawa, cet extraordinaire guitariste fingerstyle
qui m'a fait découvrir son pays de l'intérieur.
Avec lui j'ai joué dans des endroits complètements
inattendus, dans des clubs de guitaristes au fin fond de la
campagne japonaise, parfois même des endroits où
j'étais le premier artiste "non japonais"
à venir jouer ! C'est toujours formidable d'aller là-bas
avec Isato. Je tourne à Taiwan également, grâce
au distributeur AMR local qui m'organise tous les ans des
concerts dans les universités où il y a beaucoup
de clubs de guitaristes. Alors c'est vrai que je n'ai plus
joué en France depuis une dizaine d'années,
il n'y a pas vraiment de raison pour ça si ce n'est
que j'étais déjà très occupé
à gérer les tournées dans les pays où
on m'avait invité, peut-être aussi du fait qu'AMR
n'est pas ou très mal distribué en France. J'aurais
sûrement dû démarcher les différents
festival de guitare comme ici, ce que je n'ai pas fait faute
de temps. Aujourd'hui l'équipe d'Issoudun m'a invité
et le fait d'être ici m'a permis de renouer naturellement
le contact avec quelques artistes présents que j'ai
retrouvés avec grand plaisir et il y a déjà
des projets de concerts qui se dessinent ! Je sais déjà
que je viendrai à Bailleul(*) dans le Nord début
avril (avec Isato d'ailleurs), et il y aura sûrement
d'autres dates en France dans les mois qui viennent. Le courant
est rétabli !
lg : Parlons de ta guitare,
je crois qu'elle est un peu spéciale ?
JS
: J'ai joué sur des Lowden depuis très longtemps,
et quand la fabrique Lowden en Irlande est devenue Avalon,
j'ai tout naturellement continué de travailler avec
la même équipe. A l'époque du démarrage
d'Avalon, c'est eux qui m'ont proposé de réaliser
un modèle à mon nom, un modèle signature,
ce que j'ai accepté avec plaisir, bien sûr. J'ai
donc établi un cahier des charges finalement assez
simple, je voulais une guitare de scène, donc légère
et de petite dimension, avec une finition très sobre.
Sachant que je joue avec des cordes extra-light (010-047),
le barrage a été allégé en proportion
pour obtenir une bonne réponse et une sonorité
équilibrée sur tout le spectre. Ce barrage est
d'ailleurs spécifique des guitares Avalon, il s'agit
d'un double X dont le premier est en position habituelle avec
le croisement au dessus du chevalet, le second étant
positionné plus bas avec le croisement en dessous du
chevalet, dans la zone où la table est la plus large.
Pour le choix des essences j'ai retenu le Sitka Spruce pour
la table et le palissandre indien pour le fond et les éclisses,
c'est la combinaison qui me donne le meilleur rendu dans les
médium, avec toute la puissance dont j'ai besoin. La
touche est en ébène avec des frettes "medium-high"
qui donnent une bonne précision avec mon réglage
d'action plutôt haut et les tirants légers. La
guitare est équipée du système Fishman
"Stereo Onboard Blender", donc un capteur dans le
chevalet (le capteur Matrix) et un micro aérien dans
la caisse. Ce système est ce que j'ai essayé
de meilleur à ce jour, il me donne entière satisfaction
sachant que je voyage toujours avec ma guitare et un câble,
et rien de plus ! Je n'ai aucun EQ ajouté au son de
la guitare juste un peu de réverbe. Sur scène
je me branche dans la boîte de direct et c'est tout.
A part ça les gens d'Avalon ont réalisé
une petite incrustation sur la tête pour distinguer
mon modèle signature, il s'agit d'un motif représentant
mes onglets posés à plat en triangle, et cela
me va très bien puisque c'est là une des caractéristiques
très spécifiques de mon jeu, l'utilisation d'onglets
en plastique pour le pouce, mais aussi l'index et le majeur.
Voilà, cette guitare est au catalogue Avalon et doit
coûter aux environs de 2800 euros ( www.avalonguitars.com
).
lg : Et bien il me reste à
te remercier de nous avoir accordé un peu de ton temps,
je dois dire qu'il est très agréable de discuter
avec toi ! On se reverra donc bientôt puisque tu viens
dans le Nord en avril prochain, et j'espère pour de
nombreuses autres dates, sans attendre dix ans !
JS : ... c'est promis
!
* : concert de l'association
"Les Guitares De l'Espoir" - http://guitaresdelespoir.free.fr/
Antoine
Payen
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